News - 12.03.2016
FTF : Les conséquences de l’admission de l'exception préliminaire d’incompétence du TAS dans les litiges du football tunisien
Par Ahmed Ouerfelli, avocat au barreau de Tunis, arbitre au Tribunal Sportif (CNAS, Tunisie)
I. Genèse
1. En vertu de l’article 1er de ses Statuts, la Fédération Tunisienne de Football (FTF) est une association gouvernée par le droit tunisien des associations, en tant que loi du siège de la personne morale, et aussi par les « lois » et règlements de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA, fondation de droit suisse), et de la Confédération Africaine de Football (CAF).
2. De par la loi, elle est membre du Comité National Olympique Tunisien (CNOT), structure sportive hybride, ayant une nature juridique sui generis, se rapprochant plutôt des associations, mais ayant des attributions de la puissance publique par délégation législative. Au 5 mars 2010, le CNOT, présidé par le fameux Slim Chiboub, a réaménagé ses Statuts pour prévoir la création d’une instance sportive spécialisée, le Comité National d’Arbitrage Sportif (CNAS), une institution d’arbitrage au sens de l’article 10 du Code de l’Arbitrage du 26 avril 1993, calquée sur le modèle initial du Tribunal d’Arbitrage du Sport (TAS, domicilié à Lausanne, Suisse), tel que conçu par Kéba Mbaye et Juan Antonio Samaranch, alors président du Comité International Olympique. En vertu du nouvel article 43 des Statuts, le CNOT a été chargé de statuer sur les litiges sportifs. Le même article prévoit, à titre d’illustration mais sans caractère limitatif, les principales catégories de litiges sportifs, dont notamment ceux naissant des recours portés à l’encontre des décisions finales des bureaux fédéraux des fédérations sportives ou des structures sportives (privées) compétentes, des décisions disciplinaires prises par les bureaux fédéraux ou par les autres organes fédéraux compétents, ainsi que les différends relatifs aux élections des fédérations et ligues sportives, outre les litiges qui lui sont confiés en vertu d’une convention d’arbitrage spécifique, conclue directement ou individuellement entre les parties concernées.
3. Le TAS se compose de deux organes, à savoir : le Conseil d’Arbitrage du Sport (CAS), qui est en fait le conseil d’administration de la FTF, et le Tribunal Sportif, composé d’un nombre d’arbitres qui ne siègent pas ensemble, mais dont un ou trois sont sélectionnés par les parties et le CAS afin d’examiner un cas particulier.
4. Pendant longtemps, les spécialistes du droit du sport croyaient que le CNAS est la plus haute juridiction sportive. Malgré les légères allusions à la fausseté de cette analyse, la situation a persisté, jusqu’à ce qu’en 2012, M. Mounir Maaroufi, en litige avec M. Hannibal Jegham concernant la présidence de la F.T.Karaté, a porté un recours en annulation d’une sentence CNAS devant la Cour d’Appel de Tunis, sur la base de l’article 42 du Code de l’Arbitrage, texte de droit commun, normalement applicable à l’arbitrage commercial. Sans surprise, par son arrêt n° 39017 du 13 novembre 2012, la Cour d’Appel de Tunis a reconnu sa compétence en matière sportive et a repoussé la thèse selon laquelle le CNAS serait la « Cour de Cassation sportive » en Tunisie. Nous avons publié à ce propos plus de deux commentaires, dont un à la Revue du Barreau Tunisien, « Al-Mouhamat ».
5. En parallèle, par une décision en date du 13 mai 2014, dans l’affaire n° 417051, le Premier Président du Tribunal Administratif a rejeté une demande en sursis à exécution d’une décision relative aux élections de la même fédération au motif que les dits litiges excèdent sa compétence.
6. Par contre, par un jugement du 23 avril 2014, dans l’affaire n° 36916, la chambre civile auprès du Tribunal de Première Instance de Tunis a reconnu sa compétence pour statuer sur une demande en condamnation au paiement de salaires et primes au profit du joueur Oussama Boughanmi contre l’Espérance Sportive de Tunis. Ce jugement ne peut être approuvé, non pas parce que le club défendeur a invoqué l’exception d’arbitrage, mais surtout parce que le footballeur professionnel est un salarié et non pas un prestataire de services Independent, d’où les litiges le concernant sont du ressort du juges des prud’hommes.
7. En toute hypothèse, cette évolution rapide de l’imagination des litigants permettait de prédire un cafouillage dont les effets sont certainement néfastes surtout que, si l’on reste dans le sillage de l’arbitrage, en droit tunisien, les décisions de la Cour d4appel en matière d’annulation des sentences arbitrales sont susceptibles de cassation, d’où l’affaire prendre une autre tournure si la Cour de Cassation décide de casser et de renvoyer l’affaire devant la Cour d’Appel pour nouvel examen, car dans cette hypothèse, un litige sportif (qui peut être relatif à des élections, à l’attribution du titre de champion, à la relégation d’un club, ou à une mesure disciplinaire, peut s’éterniser avant de donner lieu à une décision définitive qui peut renverser l’état des choses, donc porter atteinte à la crédibilité du sport aux yeux des instances sportives régionales et internationales, alors qu’en Suisse, les recours similaires sont portés directement devant le Tribunal Fédéral, équivalent de la Cour de Cassation en Tunisie, d’où les probabilités d’un litige éternel sont nulles.
II. Epilogue
8. Il faudra avouer d’abord que la tournure des choses en Tunisie n’a rien à voir avec cette évolution et cette problématique. Il s’agit plutôt d’une évaluation plutôt négative d’une série de sentences rendues par le TAS, qui n’ont pas été favorablement accueillies par la FTF. Combiné avec un souci électoral évident, ce malaise a conduit le bureau fédéral de la FTF à convoquer une assemblée générale extraordinaire (AGE) afin d’examiner deux types d’amendements aux Statuts de la FTF.
9. Ainsi, au 29 juillet, la Fédération Tunisienne de Football (FTF) a tenu une assemblée générale extraordinaire, lors de laquelle les clubs membres ont voté en faveur de l’amendement des Statuts de la FTF, notamment en ce qui concerne les conditions requises pour se porter candidat aux élections du bureau fédéral de la FTF et la compétence du CNAS. En effet, en ce qui concerne le CNAS, en première phase, la FTF a réduit la compétence de celui-ci et l’a exclue pour un certain nombre de questions. Cet amendement a fait l’objet d’un recours devant le CNAS qui a rendu une sentence en 2015, par laquelle le tribunal arbitral a conclu à la nullité de toutes les résolutions de l’AGE. La réaction de la FTF ne s’est pas fait attendre. Une seconde AGE a été convoquée afin de voter une nouvelle résolution, par laquelle la FTF a décidé de quitter définitivement le système d’arbitrage CNAS et de rallier le TAS comme unique forum compétent pour tout litige sportif. Cet amendement, qui ne peut s’accommoder aux exigences de l’article 108 de la Constitution, lequel consacre le droit de toute personne à un juge et à l’accès effectif à la justice, a fait l’objet d’un second recours. La FTF s’est suffise d’envoyer une lettre au CNAS, par laquelle elle a contesté la compétence de celui-ci sur la base des résolutions de l’AGE, objet du recours, arguant que l’amendement apporté aux statuts de la FTF lors de l’assemblée générale extraordinaire en date du 29/07/2015, par lequel elle a retiré la compétence du CNAS pour connaitre des litiges de ce type, est déjà entré en vigueur, d’où le CNAS n’est plus compétent pour statuer sur le déroulement des assemblées générales de la Fédération ni sur ses décisions, et partant, il échoit de rejeter la demande d’arbitrage sans besoin de constituer un tribunal arbitral.
10. La FTF n’a pas contribué à la désignation des arbitres, et le CAS a procédé illico presto à la nomination d’un arbitre à sa place. Le Tribunal arbitral constitué à l’effet a statué sur la compétence et sur le fond du litige. Il a estimé, par sa sentence du 28 décembre 2015, qu’il est toujours compétent pour statuer sur ce différend, vu l’annulation des résolutions de la première AGE par une sentence du CNAS, et étant donné qu’au moment où la nouvelle AGE a été tenue, le CNAS était toujours compétent, d’où il lui appartient de statuer sur la validité de la nouvelle AGE. La nouvelle sentence, comme la première, n’a pas fait l’objet de recours, mais elle a été invoquée, par exemple, lors du litige opposant le CSS au Club Africain devant la Commission Nationale d’Appel.
11. Par un communiqué publié sur le site web de la FTF et relayé par les médias, la FTF a annoncé qu’elle ne fait plus partie du système CNAS.
12. Au 5 janvier 2016, le CNOT a publié un communiqué, par lequel il a annoncé le gel de la qualité de membre de la FTF (publié sur http://www.cnot.org.tn/communique-ftf/).
III. Les élections, nouvel épisode
13. Depuis quelques semaines, la FTF a publié un communiqué par lequel elle a appelé à une assemblée générale élective, programmée pour le 18 mars 2016. Cette convocation a fait l’objet de divers recours, dont notamment le recours de Grombalia Sports (GS) devant le Tribunal administratif et, en parallèle, devant le TAS.
14. Par une lettre en date du 08/08/2015, les avocats de GS ont demandé l’enregistrement d’une demande de mesures provisionnelles au secrétariat du TAS (avec, apparemment un appel au fond), sur la base de l’article 37 du Code de l’Arbitrage du Sport, mais ont aussi soulevé l’incompétence du Tribunal sportif pour connaitre du présent litige.
15. La demanderesse a, ainsi, fait recours à l’institution d’arbitrage puis en a contesté la compétence. Cette technique est un peu insolite, car il semble contradictoire qu’un justiciable s’adresse à une juridiction à laquelle il demande de statuer sur son litige, puis lui demande de se déclarer incompétente. De toute manière, il faudra rappeler qu’elle a été utilisée, par exemple, par le joueur égyptien Essam Al-Hadary, dans son litige avec FC Sion, où le TAS a refusé l’exception d’incompétence.
16. Ici, nous devrons apporter une précision de taille : traditionnellement, dans l’arbitrage institutionnel, le pouvoir de se prononcer sur la compétence est reconnu uniquement aux arbitres, en vertu du principe compétence-compétence (kompetenz-kompetenz), qui signifie que la compétence de l’arbitre ne peut jamais être déterminée par un autre juge, y compris par le juge étatique. Ce principe signifie en fait que l’arbitre doit avoir le premier mot sur sa compétence. Or, il s’est avéré que des justiciables, dans un dessein dilatoire ou dans une logique de fishing expeditions, font recours à des institutions d’arbitrage manifestement incompétentes, ou avant que les conditions préalables de l’arbitrage ne soient réunies. Le CIRDI est l’une de ces institutions qui ont don établi un système d’examen prima facie de la compétence de l’institution d’arbitrage par l’organe administratif, don par le Secrétaire Général. Celui-ci, sans besoin de désignation d’arbitres, peut décider ab initio qu’il n’y aura pas lieu à enrôlement de l’affaire ou à constitution d’un tribunal arbitral. Il se réfère à cet effet au règlement de l’institution d’arbitrage et à la jurisprudence constante des tribunaux arbitraux siégeant sous ses auspices. Il examine aussi les pièces qui lui sont communiquées et vérifié s’il existe une « apparence de convention d’arbitrage ». s’il s’aperçoit que le défaut de compétence est manifeste et « crève les yeux » (ou « saute aux yeux »), il n’a qu’à refuser d’enregistrer l’affaire. Dans ce cas, sa décision a le même effet qu’une sentence arbitrale d’incompétence. Elle pourra être invoquée devant un autre forum juridictionnel auquel l’on demande de stater sur ce même litige, afin qu’il ne se déclare pas, lui-même, incompétent. Il est indispensable de lui reconnaître l’autorité de la chose jugée.
17. Dans l’affaire Grombalia Sports c. FTF, le secrétaire général-adjoint du TAS a notifié aux avocats de la demanderesse une décision d’admission de l’exception préliminaire d’incompétence. Bien évidemment, le processus de désignation d’un tribunal a été avorté, dans la mesure où le secrétariat général du TAS a estimé qu’il n’y a aucun intérêt à enregistrer l’affaire et à avancer dans la procédure. Ceci a été confirmé par un courrier qui a été envoyé à la FTF, par lequel le TAS confirme qu’aucune sentence arbitrale n’a été rendue (Cf., communiqué de la FTF à cet effet, en date du 11 mars 2016, http://www.ftf.org.tn/fr/communique-ftf-tas/). Ceci est évident, puisque le secrétaire général n’est pas un arbitre et ne rend pas de sentences arbitrales. Il prend seulement des décisions administratives. Mais, là, il faudra notre que sa décision a un effet équivalent à celui d’une sentence arbitrale d’incompétence. Pour le justiciable qui a cherché ce résultat (GS), il n’ pas de quoi se plaindre. C’est à la partie adverse de se pourvoir, si elle estime que cette décision n’est pas la bonne.
18. Il faudra noter ici que la lettre adressée par le Secrétaire Général-adjoint du TAS s’est fondée sur l’article 52R du Code de l’arbitrage en matière de sport du TAS, qui dispose :
« R52 Mise en œuvre de l’arbitrage par le TAS
Sauf s’il apparaît d’emblée qu’il n’existe manifestement pas de convention d’arbitrage se référant au TAS, que la convention n’a manifestement aucun lien avec le litige en question, ou que les voies de recours internes dont dispose une partie appelante n'ont manifestement pas été épuisées, le TAS prend toute disposition utile pour la mise en œuvre de l’arbitrage. Le Greffe du TAS communique la déclaration d’appel à la partie intimée et le/la Président(e) de la Chambre procède à la constitution de la Formation selon les articles R53 et R54. Le cas échéant, ce/cette dernier/ère) statue également à bref délai sur l’effet suspensif ou sur la demande de mesures provisionnelles.
Le Greffe du TAS envoie une copie de la déclaration d’appel et du mémoire d’appel à l’autorité qui a rendu la décision attaquée, pour information.
Avec l’accord des parties, la Formation ou, si celle-ci n’est pas encore constituée, le/la Président(e) de Chambre peut recourir à une procédure accélérée et en fixer les modalités.
Lorsqu’une partie dépose une déclaration d’appel relative à une décision à l’égard de laquelle une procédure d’appel est déjà en cours devant le TAS, le/la Président(e) de la Formation, ou s’il/elle n’a pas encore été nommé(e), le/la Président(e) de la Chambre peut, après consultation écrite avec les parties, décider de joindre les deux procédures ».
19. Partant, il a informé les auteurs du recours qu’il ne va pas y avoir d’arbitrage TAS vu l’absence d’une convention d’arbitrage qui se réfère valablement à la compétence du TAS. Le paragraphe 2 de la lettre confirme que le secrétariat général du TAS a pris connaissance des procès verbaux de l’AGE des 6 novembre 2015 et de la sentence du CNAS en date du 28 décembre 2015.
20. Le recours au TAS avait en fait pour objectif de le voir déclarer son incompétence, et c’est ce qui a eu lieu. En l’absence de recours ou de nouvelle demande d’arbitrage introduite par l’une des parties concernées, la décision de non-enregistrement de l’affaire pour défaut de compétence sur la base d’une exception préliminaire d’incompétence produit ses effets, à savoir la négation de la compétence du TAS et l’affirmation d’une vérité de la Palice : la sentence du CNAS n’a jamais été annulée par une juridiction compétente, dès lors qu’aucun recours n’a été exercé, personne ne peut juridiquement prétendre qu’elle est nulle. Tout avis ou analyse démontrant la nullité de la sentence, pour défaut de compétence ou pour d’autres raisons, ne sont que des avis doctrinaux ou des opinions personnelles. Dans un Etat de Droit, un jugement ou une décision à caractère juridictionnel ne peut être infirmé que par un jugement. Ni le pouvoir politique (sic !), ni une autorité ou instance sportive ou autre, exerçant une fonction législative ou exécutive, n’a le droit de méconnaitre un jugement qui n’a pas été invalidé par un tribunal compétent selon les modalités de recours prévues par la loi. Partant, le TAS est parvenu au résultat le plus plausible, à savoir la constatation de l’annulation des résolutions de l’AGE de la FTF par lesquelles le système CNAS a été abandonné et celui du TAS a été choisi par le CNAS et la constatation de l’absence de décision juridictionnelle contraire rendue par une juridiction tunisienne, étant donné qu’il est admis en droit de l’arbitrage que les recours en annulation des sentence arbitrales ne peuvent être portés que devant les juridictions de l’Etat du siège de l’arbitrage. Ainsi, il n’y avait aucun besoin de chercher ailleurs ou d’évaluer la sentence du CNAS, puisque le TAS n’a pas été choisi comme juridiction d’appel des sentences du CNAS, chose qui est permise par l’article R27 du Code de l’Arbitrage du Sport du TAS (« Application du Règlement de procédure »), qui dispose :
« Le présent Règlement de procédure s’applique lorsque les parties sont convenues de soumettre au TAS un litige relatif au sport. Une telle soumission peut résulter d’une clause arbitrale figurant dans un contrat ou un règlement ou d’une convention d’arbitrage ultérieure (procédure d’arbitrage ordinaire), ou avoir trait à l’appel d’une décision rendue par une fédération, une association ou un autre organisme sportif lorsque les statuts ou règlements de cet organisme ou une convention particulière prévoient l’appel au TAS (procédure arbitrale d’appel).
Ces litiges peuvent porter sur des questions de principe relatives au sport ou sur des questions pécuniaires ou autres relatives à la pratique ou au développement du sport et peut inclure plus généralement toute activité ou affaire relative au sport ».
21. Maintenant que le recours au TAS a été rejeté, il faudra se retourner à l’article 108 de la Constitution, qui consacre le droit au juge, et aux Statuts de la FIFA qui interdisent le recours aux tribunaux étatiques, ainsi qu’aux principes de l’Etat de Droit.
IV. Des pistes à explorer
A. Le recours en annulation de la sentence du CNAS du 28 décembre 2015
22. Il semblerait que jusqu’à l’heure, la FTF n’a introduit aucun recours en annulation des sentences du CNAS devant la Cour d’Appel de Tunis. Afin de faire disparaitre la sentence du CNAS, la FTF n’a aucune alternative que de porter un recours en annulation devant la Cour d’Appel de Tunis. Pour « ignorer » cette sentence, la FTF a argué que le CNAS n’avait aucune compétence pour statuer sur l’annulation de ses résolutions puisqu’elle a quitté le système, chose qui a, d’ailleurs, confirmée par la décision du CNOT d’en geler la qualité de membre. Or, c’est justement cet argument qui donne le résultat inverse, car l’article 42 du Code de l’Arbitrage dispose : « Même si les parties en conviennent autrement, le recours en annulation d’une sentence arbitrale définitive, peut être formé dans les cas suivants :
1- Si la sentence est rendue en l’absence ou en dehors dune convention d’arbitrage,
2- Si la sentence est rendue sur une convention d’arbitrage nulle ou hors les délais d’arbitrage,
3- Si la sentence a statué sur des choses non demandées,
4- Si la sentence est rendue en violation d’une règle d’ordre public,
5- Si le tribunal arbitral est irrégulièrement composé,
6- Si les règles fondamentales de procédure ne sont pas respectées ».
23. Ainsi, le premier cas d’annulation des sentences arbitrales se rapporte au défaut de compétence. De ce fait, lorsqu’un tribunal (arbitral ou autre) se prononce sur un litige qui n’est pas dans sa juridiction, il faut exercer les recours prévus par la loi. Dans un Etat de Droit, devant un jugement, il n’ya que deux attitudes possibles : acquiescement ou recours. Le défaut d’exercice des recours ouverts par la loi vaut forcément acquiescement. Peu importe la capacité de la personne en question de convaincre le public (y compris la communauté des juristes) ou les médias que l’instance qui a rendu le jugement n’était pas compétente. Si elle laisse les délais s’écouler, elle n’aura aucune chance de se rattraper, et le litige est clos à son encontre.
24. De ce fait, il nous semble assez adéquat pour le présent litige que la FTF forme un recours en annulation contre la sentence du 28 décembre 2015, si cette sentence ne lui a pas été notifiée depuis plus de 30 jours, sachant que selon la jurisprudence tunisienne, le délai de recours ne commence à courir qu’à compter de la date de la notification faite par voie d’huissier de justice par la partie adverse, et la remise d’une copie de la sentence par le tribunal arbitral (ou par le secrétariat de l’institution d’arbitrage) n’a pas pour effet de faire démarrer la computation du délai. A mon avis personnel, il est dans l’intérêt du sport en Tunisie que ce recours ait lieu, car il permettra de rétablir l’autorité de la loi et de la justice. Ensuite, il permettra de dissiper tout doute sur la validité de la sentence arbitrale du CNAS du 28 décembre 2015, surtout que la voie de la cassation est naturellement ouverte. Les juristes spécialisés en droit du sport ne seront pas mieux gâtés.
25. Reste que la sentence arbitrale étant rendue en dernier ressort, elle a la valeur d’un arrêt d’appel, et la Cour d’Appel de Tunis n’aura pas le pouvoir de réexaminer le litige sur le fond. C’est l’essence même du recours en annulation et la raison d’être du droit de l’arbitrage. La Cour exercera donc un contrôle « essentiellement formel » (voir, notamment, notre ouvrage : « L’arbitrage dans la jurisprudence », éd. Latrach-LGDJ, Tunis-Paris 2010, et notre fascicule sur l’arbitrage en Tunisie publié en langue anglaise par l’ICCA sur Kluwer Law International en 2009, mis à jour en 2013 (http://www.kluwerlawonline.com/test/toc.php?area=&mode=bypub&level=5&values=Looseleafs~~International+Handbook+on+Commercial+Artbitration~TUNISIA ).
B. Le problème du gel de la qualité de la FTF de membre du CNAS par le CNOT
26. Que signifie donc le gel de l’appartenance de la FTF au CNAS ? Quelles en sont les conséquences juridiques? Quid lorsque la FTF décide de réintégrer le CNAS? Quid lorsque le CNOT décide de mettre fin à sa décision unilatéralement? Quel sera le sort des recours déjà initiés devant le TAS (Lausanne)?
27. Cette décision n’a pas fait l’unanimité. Fondée essentiellement sur des considérations pragmatiques, penchant vers le politiques plutôt que juridiques, certains ont estimé qu’elle « n'a pas de fondement dévoilé » et que qu’elle reflète une certaine attitude du CNOT vis à vis du CNAS, « une attitude qui va dans une ingérence inapproprié et sans précédent ». Car dans la foulée, le CNOT a pris cette décision sans y associer officiellement le CNAS. Le CNAS et son Président, Me Habib Grami, s’y ont opposés farouchement et ont considéré qu’ils ne s’y plieront pas, et que si un recours est soumis au CNAS, celui-ci statuera à son sujet.
28. Depuis quelques jours, j’ai prédit que nous allons avoir à affronter les questions ci-dessus ou certaines d'entre elles d'ici quelque temps, car, le maintien de la situation en place est impossible (le TAS est le seul organe compétent pour connaitre des contestations du football en Tunisie) car au dernier virage des championnats de football, il y a aura de plus en plus de recours et les gens se rendront compte qu'il leur est très excessivement difficile de faire face aux coûts et procédures requises pour un recours devant le TAS (choix des avocats et conseils, obtention du visa, coût des procédures et honoraires des avocats suisses ou même Tunisiens, frais de déplacement et d'hébergement). Cela pose évidemment la question de l’accès à la justice, droit reconnu et protégé par l’article 108 de la Constitution. En même temps, la création d'une nouvelle instance sportive tunisienne spécialisée en matière de football (annoncée par l’un au moins des candidats à la présidence de la FTF) ne sera pas aussi facile que cela, et requiert en toute hypothèse une réflexion assez profonde pour en assurer, notamment, l'assentiment de tous et l'autonomie nécessaire, sans oublier le financement durable. L'option est donc plausible: le retour au CNAS, même momentanément en attendant soit une réforme profonde qui satisfasse tout le monde, soit la création d’une nouvelle instance arbitrale spécialisée ou pas, avec évidemment les difficultés juridiques que pose l’institution d’arbitrage spécialisée dans un sport déterminé, à l’instar de l’exemple brésilien, notamment en ce qui concerne son indépendance.
29. Dans les médias, les avocats de Grombalia Sports viennent d’annoncer qu’ils ont eu gain de cause devant le TAS, qui a rendu une décision urgente d’incompétence.
30. Cette situation confirme aussi ce que j’ai préconisé depuis la désignation des arbitres CNAS : il faut assurer une autonomie plus grande du CNAS par rapport au CNOT. Aujourd’hui, tout le monde semble y adhérer. C’est certainement le moment de le faire !
C. La réforme du CNAS
31. A mon avis la solution la plus simple est de créer une association s’appelant CNAS, qui soit juridiquement détachée du CNOT et de toutes les autres instances sportives, qui soit financée par les frais administratifs des affaires d’arbitrage, par l’Etat (sous l’égide de l’article 38 du décret-loi 2011-88) et les contributions (cotisations) des fédérations sportives et du CNOT.
32. Il faudra aussi amender le règlement d’arbitrage du CNAS sur cinq aspects au moins :
- Etablir un système d’exception préliminaire d’incompétence, à l’instar de tous les règlements d’arbitrage modernes ;
- Prévoir qu’au cas où une partie à l’arbitrage s’oppose au déclenchement de la procédure arbitrale au motif que l’incompétence de l’institution d’arbitrage, et si le secrétaire général rejette cette exception préliminaire d’incompétence, la partie en question sera donnée une deuxième opportunité de désigner un arbitre (si cette règle existait, la FTF aurait été appelée pour la 2è fois, après réception de sa lettre d’opposition in limine litis à la compétence, à désigner un arbitre, avec notification de la décision préliminaire) ;
- Etablir un système clair, efficace et équitable pour les arbitrages multipartites, qui sont actuellement gérés d’une façon archaïque et inéquitable ;
- Revoir le système de choix des arbitres ;
- Prévoir la possibilité de créer des chambres spécialisées dans le CNAS. Une chambre spécialisée dans les affaires du football pourra être créée, avec une liste d’arbitres à part, pour lesquels la FTF aura un rôle important à jouer pour leur désignation.
D. Les autres réformes
33. Par ailleurs, au-delà du règlement d’arbitrage du CNAS, d’autres réformes s’imposent. Elles ont été étayées dans mon « Précis du Droit du Sport » (éd. Latrach, Tunis 2015) :
- Mettre en place un mécanisme particulier de recours contre les sentences arbitrales sportives, selon lequel ces recours doivent être portés directement devant la Cour de Cassation, à l’instar de la Suisse, en attendant la réforme du Code de l’Arbitrage. Cette réforme a pour finalité de sauver la crédibilité de nos compétitions à l’échelle internationale, car je m’attends à un flux sans précédent de recours devant la Cour d’Appel de Tunis contre des sentences sportives, et je connais le temps que ça prend en général ;
- Prévoir dans les lois sportives que les amendements des règles relatives aux conditions et exigences pour la candidature aux élections n’entrent en vigueur que pour les élections qui suivront celles qui couronnent le mandat du bureau fédéral en poste, de façon à ce qu’elles ne puissent s’appliquer au bureau fédéral sortant. Je suis très heureux de voir que certaines constitutions ont repris cette idée, mais je crois que le principe démocratique doit être consacré et protégé de la même manière et selon les mêmes procédés dans un domaine pas moins sensible, « populaire » et médiatisé que la politique, à savoir le domaine sportif. Je souhaite le voir aussi rajouté un jour à la Constitution tunisienne.
34. Restent les élections du 18 mars. En deux mots, la tenue de ces élections sur la base des procédures effectuées (communiqué et appel à candidatures, et aussi examen des candidatures sur la base des résolutions de l’AGE annulées, par le CNAS) est insensée. Il faut que la course recommence sur la base des règles anciennes, antérieures à celles annulées par le CNAS, dont la décision est rendue en dernier ressort et non susceptible de sursis automatique à exécution du seul fait qu’un recours en annulation est exercé.
35. Je dois avouer aussi qu’à l’occasion de cette affaire, et si la Cour d’Appel de Tunis est saisie, les questions constitutionnelles liées à l’arbitrage peuvent aussi apparaître sur la scène. Ça, c’est vraiment une autre paire de manche, avec des surprises plus déroutantes. Nous en parlerons prochainement, peut être.
36. Certes, dans ces quelques pages, on ne peut pas tout dire, mais il serait utile à ce pays que l’échange d’idées se fasse en temps de crise, dès lors qu’il n’a pas pu avoir lieu comme il se doit en temps normal.
Par Ahmed Ouerfelli, Avocat au barreau de Tunis, Arbitre au Tribunal Sportif (CNAS, Tunisie)
ahmed.ouerfelli1@gmail.com