Tunisie 2016 : leur douleur, leur honneur
"Donner est honneur, demander douleur" (Miguel de Cervantès)
Cervantès est connu pour être l’homme d’un grand livre, écrit au tout début du XVII Siècle "Don Quichotte de la Mancha", un succès planétaire, devenu un classique de la littérature.
Il relate la bataille de Lépante, en 1571, qui voit une alliance européenne, comprenant l’Espagne, Venise et les états pontificaux, écraser les Turcs, emmenés par l’amiral Ali Pacha, qui sera décapité.
Au cours de cette bataille titanesque, d’une dizaine de milliers d’hommes, Miguel de Cervantes, alors jeune soldat, perd une main, apprend la douleur, probablement la grandeur et l’honneur.
Son livre narre les aventures d’un hidalgo qui croit qu’il est un chevalier servant.
Il vante les qualités chevaleresques, se distingue par son humour, et rompt avec la littérature classique de l’époque.
Massenet en a fait, bien plus tard, un opéra sur un livret d’Henri Cain, et créé à l’Opéra de Monté Carlo en 1910.
Jacques Brel, chanteur poète, rêveur, amoureux, et aventurier en a fait une comédie musicale, à grand succès, jouée à Paris sur l’une des plus grandes avenues du monde.
Les tunisiens, surtout de Ben Guerdane ont connu sans le demander la douleur de perdre qui un chef de famille, qui un fils, un frère, un amour.
Attaqués à l’aube d’une journée d’apocalypse, ils se sont vite transformés en combattants des lieux, en gardiens du pays, acteurs d’une civilisation, l’arabo islamique, qui ne veut pas se perdre dans les sables de l’Afrique du Nord.
Ils ont fait preuve des qualités chevaleresques, louées dans le livre de Cervantès : la prouesse, à savoir l’ensemble des attributs qui constituent la vaillance des guerriers, qu’ils sont.
Ces habitants d’une ville excentrée, à la lisière de la Lybie voisine, démunie de richesses, et quasiment délaissée, ont montré instantanément, tout au long de ces moments de guerre, un sens aigu du patriotisme.
Ils ont gardé, attitude courante, chez les citoyens simples et humbles, une résilience et une dignité, qui interpellent tous ceux, parmi nous, qui sont, pas toujours mais souvent, parcimonieux dans leur solidarité, spectateurs désabusés et hautains dans leurs critiques à l’encontre de tout et son contraire, et parfois aux premières loges quand il s’agit de crier victoire, oubliant "qu’en cherchant la gloire, on perd souvent l’honneur" (William Shakespeare).
Ces youyous, ces cris de victoire, cet appel à la grandeur de leur pays, à la sortie des cercueils de leurs enfants, c’est tout leur honneur, et grâce à eux celui du pays tout entier.
Ils n’ont pas cherché cet honneur, justement ces policiers, militaires et citoyens, dont certains ont laissé leurs propres vies, ils n’ont pas attendu qu’on fasse appel à eux.
Ils étaient dans l’instant, chevaliers d’une grande cause, qui les dépasse : défendre leur pays, et ses habitants, spectateurs, et auditeurs, haletants, et qui pour beaucoup se sentaient gagnés par cette bravoure, ce don de soi, de son énergie, de sa vie.
Et ce discours, de gens humbles, mais immenses dans leur sobriété : pas de pleurs, pas de larmes, rien que l’immense dignité affichée, l’appel à défendre le pays et la fierté de compter un ou plusieurs martyrs parmi leurs très proches.
Nous avons tous été sidérés, par l’absence de récriminations et de revendications, à l’instar de cette femme et mère, cette fois de la banlieue sud de la capitale, digne et fière épouse d’un membre des forces de l’ordre, qu’elle venait juste de joindre avant d’entendre quelques minutes après, qu’il a été dépossédé de la vie.
Pas de discours larmoyants, juste la fierté répétée d’avoir partagé la vie d’un martyr, d’un héros.
Ces mères, ces pères, et ces familles, nous ont offert à nous tunisiens, une leçon de la grandeur d’âme qu’ont croyait disparue de cette Tunisie méconnaissable durant ces dernières années, mais aujourd’hui, on l’espère, durablement retrouvée.
Mourad Guellaty