"L'Etat transfère vers des autorités administratives indépendantes des pans entiers de sa souveraineté: monnaie, budget, politique industrielle, médias, énergie, mais aussi droits des citoyens... Dans ces secteurs, les décideurs sont des experts inconnus nommés dans l'ombre à des postes stratégiques. Les ministres sont de passage, les gouvernements sont éphémères. La caste des décideurs, elle, reste, et saute d'un pouvoir à l'autre. Les gouvernements nationaux se retrouvent privés de toute marge de manœuvre économique. Qui a tous les pouvoirs? Les banquiers centraux !" 1
Béni M’tir prépare son deuil. Elle pleurera bientôt la loi née sur ses terres, jalon incontournable sur le chemin de l’affermissement de la souveraineté nationale: les Statuts organiques de la Banque Centrale de Tunisie.2
Le projet de loi fraîchement débarqué dans les bureaux de l’Assemblée des Représentants du Peuple (l’APR), après avoir été adopté par le Conseil des ministres, annonce en effet la mort toute prochaine de la loi de 1958 portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie, après qu’elle aura accouché d’un être nouveau. 3
La loi de Béni M’tir nous quittera ainsi à l’âge juste adulte et ne célébrera pas son centenaire comme nombre de ses consœurs. Elle emportera dans ses limbes funéraires, une belle épopée écrite de sang et de sacrifices par les pères de l’indépendance qui, après avoir affranchi la patrie du joug du colonialisme, l’ont restituée deux ans à peine dans sa souveraineté monétaire.
Feu Hédi Nouira, doyen des gouverneurs, n’aura pas imaginé que l’œuvre dont il est l’un des grands artisans sera ensevelie ainsi, sans gloire.
La loi de 1958 est-elle atteinte de maladie incurable? Est-elle soupçonnée de sénilité? Ne répond-elle plus au goût du jour ? Les dames illustres, nous a-t-on appris, plus elles vieillissent, plus elles sont dans l’harmonie. Un petit tour de lifting suffit souvent pour que renaisse leur jouvence. Mais au-delà, est-ce notre destin que de cultiver l’oubli? L’avenir se nourrit aussi de mémoire. C’est une dialectique.
L’exposé des motifs du projet ne donne pas les raisons de ce «châtiment», excepté «la nécessité de se mettre au diapason des standards modernes de la gouvernance monétaire» et un réquisitoire dont nous éprouvons du mal à déceler le lien avec le projet, à l’endroit des réformes multiples du Code des Changes (sic), autre facette de la souveraineté monétaire et véritable rempart d’une économie encore trop fragile.4
Les apports du projet sont le fruit d’un effort appréciable de recherches et d’études comparées visant à satisfaire aux critères d’une banque centrale moderne.
(Rôle de prêteur de dernier ressort; Pouvoir d’émettre les sukuks sur les marchés financiers internationaux et de refinancer les opérations de Swap devises contre dinar effectuées par les banques tunisiennes avec des institutions financières étrangères; Mise en place d’un dispositif de contrôle interne et d’un comité permanent d’audit interne rattaché au Conseil; Audition du Gouverneur par les Commissions compétentes de l’Assemblée des Représentants du Peuple; Création d’un Comité de surveillance macroprudentielle et de gestion des crises financières).
Mais ceci justifie-t-il pour autant une refonte? La Banque centrale a-t-elle changé de mission principale ou de fonctions? A-t-elle changé d’organes et de modes de gouvernance? A-t-elle changé de nature et de régime juridiques? La politique monétaire, unique raison d’être de toute banque centrale, a-t-elle changé d’objectif final? Le projet ne le démontre pas.
Ailleurs, les banques centrales ont vu leurs Statuts amendés maintes fois, sans qu’il ne fût besoin de les abroger. Les Statuts de la Banque de France offrent à l’occasion un exemple fort éloquent. Selon le professeur André de Laubadère, avant la simplification de 1973, les Statuts de la Banque de France étaient dispersés sur 192 articles provenant de 35 lois, 6 ordonnances, 16 conventions, 6 décrets- lois et 40 décrets.
En matière de législation, «Il faut faire stable, (…) il faut faire durable», insistait le grand publiciste J.Rivéro à l’occasion de la célébration à Tunis du centenaire du fameux décret de 1881 sur le contentieux administratif.
Les Statuts de la Banque centrale ont été revisités six foix, successivement en 1975,1980, 1988, 2000, 2006 et 2007 et sans assistance étrangère. Les réformes introduites en 1988 et 2006, sont celles qui ont touché le plus grand nombre d’aspects.
La loi n°1988-119 du 03 novembre 1988 a (i) revu l’organisation de l’Exécutif de la Banque, en remplaçant les deux Vice-gouverneurs par un seul et en supprimant la fonction de Secrétaire général, (ii) levé l’incompatibilité entre le mandat de Gouverneur et la qualité de membre du Gouvernement, affaiblissant ainsi le statut du Gouverneur (iii) précisé le mandat de la Banque centrale qui consistait à l’époque à défendre la valeur du dinar et à veiller à sa stabilité et (iv) interdit les participations (par portage)au capital d’entreprises résidentes.
Quant à la loi n°2006-26 du 15 mai 2006, elle a (i) réécrit le mandat de la Banque centrale notamment en consacrant la stabilité des prix comme objectif final de la politique monétaire et la stabilité financière comme autre mission, (ii) interdit les avances accordées au Trésor, renforçant ainsi l’indépendance de l’Institution (iii) consacré en tant que pendant à l’indépendance de la politique monétaire, le principe de «redevabilité» (Accountability) vis-à-vis du public et du pouvoir législatif, et soumis la Banque à un audit externe privé exercé par un Co-commissariat aux comptes.
Par- delà ces commentaires préliminaires et ce bref rappel historique, le projet de refonte, préparé selon l’exposé des motifs avec l’assistance du FMI, suscite un certain nombre d’observations critiques dont nous exposerons ici celles qui sont parues à nos yeux, essentielles pour les besoins de cet exercice. Notre propos ici est de restituer, en concédant l’effort pédagogique utile que réclame la technicité de la matière, les grandes problématiques autour desquelles devrait s’articuler le débat parlementaire sur les Statuts de la Banque centrale.
En effet, l’exposé des motifs de trois pages (pour un texte de cent articles) s’est contenté de citer les axes du projet, sans s’approfondir sur les raisons qui sous-tendent la refonte des Statuts, ni renseigner sur les enjeux auxquels la Banque centrale sera confrontée à l’avenir, les nouveaux défis qu’elle devra relever et les choix de gouvernance et autres retenues pour réussir son prochain parcours, privant ainsi les Commissions et la Plénière et par devers elles, le public, de comprendre et de s’associer au débat sur des questions pourtant essentielles, quoique complexes.
Nous examinerons tour à tour, le mandat principal de la Banque centrale (I), son indépendance (II) et son régime juridique (III).
(I) Le mandat principal de la Banque centrale
Nous traiterons ici des objectifs finals assignés à la Banque centrale : la stabilité des prix (i) qui cohabitera désormais avec la stabilité financière (ii).
(i) la préservation de la stabilité des prix
Les dispositions sur la politique monétaire, ses objectifs et ses instruments, sont de première importance, car la politique monétaire est la raison d’être de toute banque centrale, son âme. C’est pour elle, en d’autres termes, une question existentielle. Tous les autres mandats peuvent être confiés à d’autres entités juridiques. Il en est ainsi de l’émission de la monnaie légale, de la tenue du compte courant du Trésor, de l’application de la réglementation des changes, de la gestion des avoirs en devises, de la réglementation et de la supervision bancaire, etc.
La séparation entre la politique monétaire confiée à la banque centrale et les autres instruments de la politique économique, notamment la politique budgétaire, confiés au gouvernement, n’est en réalité qu’une déclinaison, un corollaire du principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu. Dans le prolongement de ce vieux principe qui se manifeste à travers les trois pouvoirs qui constituent l’Etat, il existe au sein d’un même pouvoir, ici le pouvoir exécutif, des fonctions conflictuelles qu’il faut séparer car si elles étaient déléguées à une même autorité, celle-ci peut être amenée à en faire un mauvais usage. C’est le cas de la politique monétaire. Nous y reviendrons.
L’analyse du projet à la lumière des Statuts actuels et de la législation comparée, nous laisse hélas perplexes, sur cet aspect. Rappelons d’abord ce que disent les Statuts actuels sur le mandat de la Banque centrale relatif à la politique monétaire.
Suivant l’article 33, «La Banque Centrale a pour mission générale de préserver la stabilité des prix». L’alinéa premier de l’article 34 enchaine comme suit: «La Banque Centrale prête son appui à la politique économique de l'Etat».
Ces dispositions définissent les objectifs de la politique monétaire «préserver la stabilité des prix» et «prêter appui à la politique économique de l'Etat ». Cela veut dire en substance que l’objectif de la politique monétaire, n’est pas unique ni indépendant et que l’Institution doit prendre en considération les objectifs assignés aux autres instruments de la politique économique et qui concourent tous à la réalisation de ce que les économistes appellent «le carré magique» : croissance de la production nationale, plein emploi, équilibre extérieur et stabilité des prix. Ces dispositions semblent d’ailleurs, avoir nourri le débat à l’occasion de la réforme de 2006, l’arbitrage ayant finalement profité à la cohabitation des deux objectifs.
Nous sommes bien ici en présence d’objectifs concurrentiels et sans hiérarchisation tranchée. Les difficultés résultant d’objectifs multiples peuvent être évitées quelque peu, en hiérarchisant les objectifs ; ce que les Statuts actuels n’ont pas réussi à faire, sauf que l’ordre de l’écriture donne la priorité à la préservation de la stabilité des prix. Le Droit comparé offre de bons exemples d’objectifs hiérarchisés. Avant son entrée dans le Système Européen des Banques Centrales (SEBC), la Bundesbank avait comme mission «la stabilité de la monnaie et en toute compatibilité avec cette dernière, de soutenir la politique économique du gouvernement fédéral».
Le SEBC a un objectif principal «maintenir la stabilité des prix ». Le même article s’inspirant des dispositions précitées relatives à la Bundesbank, mais mieux écrit, précise qu’«une fois la stabilité des prix assurée, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales(…). Revenons maintenant au projet et observons que le premier § de l’article 34 précité a « disparu ». Ceci laisse de toute évidence présumer que l’objectif de stabilité des prix est devenu l’objectif unique (si nous laissons de côté la mission consistant à «contribuer à la stabilité financière») et que la politique monétaire est désormais affranchie de l’obligation de prêter appui à la politique économique de l’Etat.
Sur ce point, le projet semble donc, de prime à bord, marquer un changement radical par rapport aux Statuts actuels et s’inscrire dans la mouvance observée dans un certain nombre de Statuts récents de banques centrales, comme ceux de Bank Al-Maghrib rédigés en 2005 avec l’aide du FMI. En effet, «Le besoin d’un objectif monétaire clair pour une banque centrale est de plus en plus reconnu»5. «Un objectif unique, clairement établi et étroitement défini, a l’avantage de faciliter le suivi de la performance d’une banque centrale par les autorités politiques et l’opinion publique» 6.
C’est l’exemple de la BCE (bien qu’il soit assez particulier) à qui il est confié un mandat clair et unique : «préserver la stabilité des prix ». Un autre exemple, celui d’un objectif clair et unique se trouve à la Banque de Réserve de Nouvelle-Zélande : «la poursuite de la stabilité des prix ». Le Gouverneur s’accorde avec le Gouvernement sur une marge étroite d’inflation, accord qui constitue le Policy Target Agreement (PTA).
Curieusement toutefois, le § commenté, pourtant lourd de charge, comme expliqué plus haut, ressurgit dans l’article 29 du projet, qui siège dans le chapitre intitulé «Rôle de Conseiller Economique et Financier du Gouvernement».
Ce transport effectué dans l’indifférence, d’une disposition clé de la loi, car elle est au cœur du mandat de la Banque centrale, vers un chapitre réservé aux « attributions consultatives » de l’Institution, étonne car il dénature fondamentalement le sens de ladite disposition, son substratum. On n’appuie pas la politique économique de l’Etat par des conseils, des propositions et des alertes. Non. L’effet utile de l’article 34 des Statuts actuels, devenu l’article 29 dans le projet, est autre; Il est aussi double.
D’abord, tirant les conséquences de la cohabitation des objectifs de préservation de la stabilité des prix et de soutien à la politique économique de l’Etat, l’article 34 met en place les canaux de communication entre les responsables de la politique monétaire (la Banque centrale) et les responsables de la politique économique (le Gouvernement) en conférant aux premiers l’initiative de proposer aux seconds toute mesure de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la politique économique («carré magique») et d’être consultés toutes les fois que l’Exécutif délibère sur des questions intéressant la monnaie ou le crédit.
Ensuite, cet article organise la résolution des conflits qui pourraient naitre entre le Gouvernement et le Gouverneur lorsque la conduite des affaires monétaires et partant, la cohérence entre les deux politiques est menacée par le fait du Gouvernement ; Arrive alors le § 3 qui permet au Gouverneur d’alerter le Président de la République et de solliciter son arbitrage, en sa qualité de Chef de l’Exécutif et de dépositaire de la prérogative constitutionnelle d’« orienter la politique générale de l’Etat». Dans le projet, l’alerte est donnée au Chef du Gouvernement, qui pour la circonstance, devient alors pour ainsi dire, « juge et partie ».
L’exposé des motifs passe sous silence cette modification pourtant capitale, comme si elle était de pure forme, alors qu’elle constitue la problématique essentielle autour de laquelle des arbitrages politiques devraient être faits. La question est au cœur du débat sur la gouvernance monétaire et au-delà, sur la gouvernance économique. La politique monétaire aura-t-elle pour seule préoccupation la stabilité des prix ? Ou devra-t-elle aussi intégrer dans ses paramètres, les autres objectifs de la politique économique ? L’enjeu est de taille, car dans le premier cas, la politique monétaire sera plus indépendante, alors que dans le second, elle le sera moins.
Pour nous, le premier § de l’article 29 en cause, devrait soit disparaitre complètement si l’intention du pays légal était d’affranchir la politique monétaire du souci de prendre en considération les objectifs assignés aux autres instruments de la politique économique, soit maintenu, mais alors en le réintégrant dans son siège d’origine, tout en établissant une hiérarchisation claire et non équivoque entre l’objectif de stabilité des prix et celui du soutien à la politique économique de l’Etat.
(ii) la contribution à la stabilité financière
Le projet assigne à la Banque centrale, comme autre mandat principal, celui de «contribuer à la stabilité financière», sauf que cette charge y est érigée en «objectif», alors qu’elle est qualifiée dans les Statuts actuels de «mission générale». C’est l’exposé des motifs lui-même qui souligne ce changement et l’inscrit dans le cadre d’une volonté d’élever ce mandat à un rang supérieur, sans nous renseigner toutefois sur la nuance qui existerait entre une mission et un objectif, notamment sur la portée de cette nuance aux plans de la nature juridique de l’obligation qui pèsera dorénavant sur la Banque centrale et de la responsabilité juridique et politique qu’elle implique.
Les Statuts actuels utilisent dans l’article 33, une autre formulation : «préserver la stabilité et la sécurité du système financier». Les deux formulations ne couvrent plus le même spectre puisque la notion de «sécurité» a été supprimée sans que l’exposé des motifs ne nous en indique d’ailleurs les raisons; Elles n’ont pas non plus la même intensité car la rédaction de l’article 33 semble donner à la Banque centrale, un mandat de plein exercice « préserver », alors que le projet semble lui confier un mandat plutôt lâche, celui de «contribuer» (avec les autres régulateurs du système financier) à la stabilité financière.
L’exposé des motifs ne donne aucune explication sur cette « rétraction » et n’en tire aucune conséquence sur le plan de la cohérence d’ensemble du nouveau dispositif projeté, car pour s’inscrire dans le raisonnement soutenu dans l’exposé des motifs, le fait d’élever la stabilité financière au rang d'objectif devrait naturellement conduire tout au moins, à maintenir l’actuelle rédaction et confirmer ainsi à l’instar des Statuts actuels, la prééminence de l’Institution sur les autres autorités de régulation compétentes. Ceci est d’autant plus vrai que la légitimité du rôle de toute banque centrale dans la stabilité financière est réelle à plus d’un titre.
En effet, la stabilité monétaire est, déjà en soi, favorable à la stabilité financière. Mais, les Banques centrales ont aussi une responsabilité essentielle, dans deux domaines primordiaux pour la stabilité financière : la sécurité des systèmes de paiement et la régulation et le contrôle des établissements de crédit. La légitimité du rôle des banques centrales provient également de leur connaissance du système bancaire dans son implication sur les marchés de capitaux où il entretient des liens étroits avec les autres institutions financières, comme de sa connaissance du fonctionnement global de l’ensemble des marchés dont les différents segments sont des terrains sur lesquels se transmettent les signaux et les effets de la politique monétaire.
Un autre facteur de légitimité du rôle des banques centrales dans la stabilité financière provient du fait qu’elles sont les seuls fournisseurs ultimes de monnaie centrale, ce qui leur donne une responsabilité de premier plan dans la gestion des crises financières et in fine pour jouer éventuellement le rôle de «lender of last resort».
Mais, pour le cas de la Tunisie, cette légitimité devrait être appréciée à la lumière du particularisme qui affecte le marché tunisien. Nombre de questions devraient alors être posées afin de recentrer la problématique de la stabilité financière, profitant du bilan de l’expérience vécue jusqu’ici sur le fondement de l’article 61 (bis) des Statuts actuels et des enseignements que procurent les crises financières récentes qu’a connues le monde et les solutions de gouvernance adoptées pour y faire face.
Quels sont les risques potentiels d’instabilité financière en Tunisie? Quelle pourrait être l’ampleur de ces risques dans une économie, la nôtre, caractérisée par la rigueur du Droit en vigueur des changes et des investissements en portefeuille, un marché financier encore en gestation, et par la prédominance du secteur bancaire qui accapare environ 90% des concours à l’économie et qui reste soumis à un contrôle rapproché et fort de la part du superviseur bancaire ? Les dernières crises financières observées dans le monde ont-elles eu des effets directs sur la stabilité de la place financière nationale ?
Sur un autre plan, celui de la gouvernance, le compartimentage actuel de la régulation financière partagée entre trois autorités, reflète-t- elle encore les interférences qu’entretiennent aujourd’hui les trois marchés de l’argent et partant, l’élargissement du spectre du risque systémique, sous l’effet de la filialisation et de l’émergence de « groupes » qui agissent dans les domaines de l’industrie, de la gestion d’actifs financiers, des assurances et de la banque? La création du «Comité de surveillance macroprudentielle et de gestion des crises financières » dépourvu de pouvoirs de décision puisqu’il agit par voie «recommandations», ne fait que confirmer ce compartimentage, même si la présidence du Comité soit confiée au Gouverneur. Enfin, la recherche de la stabilité des prix est-elle optimale pour une banque centrale si elle interfère avec des considérations de stabilité financière ?
Autant de questions cruciales au titre desquelles l’exposé des motifs aurait gagné à être moins austère, afin de permettre à nos parlementaires de mieux apprécier les réponses institutionnelles proposées dans le projet et d’arbitrer en conséquence.
(II) L’indépendance de la Banque centrale
L’indépendance est une condition sine qua none de l’efficacité de la politique monétaire et au-delà, de la crédibilité de la Banque centrale. Le projet l’annonce dans ses premiers articles, laissant se profiler en filigrane le souci profond de l’Institution d’ôter d’emblée au gouvernement toute velléité de conquête.
Trois paragraphes entiers sont ainsi consacrés à l’indépendance de la Banque centrale, à laquelle le projet confère toutefois, une portée absolue couvrant l’ensemble de ses missions. L’article 2 du projet dispose à cet effet que : (1) dans la réalisation de ses objectifs, dans l'exercice de ses missions et dans la gestion de ses ressources, la Banque Centrale est indépendante et rend compte de l’exercice de ses missions conformément aux dispositions de la présente loi, que (2) nul ne peut porter atteinte à l’indépendance de la Banque Centrale, ni influencer les décisions de ses organes et ses agents dans l’accomplissement de leurs fonctions, et que (3) dans l’accomplissement des missions et dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi, la Banque Centrale ne peut ni solliciter, ni accepter des instructions du Gouvernement ou de tout organisme public ou privé.
Ces dispositions suscitent deux commentaires :
D’abord, l’indépendance s’apprécie uniquement par rapport à la politique monétaire. Elle n’a point d’autre portée. Nous avons écrit récemment que « le principe d’indépendance(…) recommande de priver le gouvernement de la possibilité de donner des injonctions à la banque centrale. Les promesses électorales d’un niveau d’activité économique plus soutenu ainsi que la tentation d’un financement plus aisé des déficits publics à travers la création additionnelle de monnaie incitent en effet à soustraire aux gouvernements l’instrument monétaire pour le confier à des organismes plutôt techniques, les banques centrales, car moins exposés aux « political business cycles » et aux influences des divers groupes de pression et donc plus aptes à mener une politique monétaire saine et à même de rassurer les opérateurs économiques ».7
Le principe d’indépendance tel que formulé dans le projet demeure donc inconciliable avec l’exercice de nombre de missions confiées à la Banque centrale. Il en est ainsi à titre d’exemple, de l’émission de la monnaie légale où la Banque centrale agit comme simple mandataire légal et peut recevoir des instructions de la part de l’Etat, dépositaire originel du privilège d’émission.
Ensuite, le bénéfice de la personnalité morale et de l’autonomie financière objet de l’article 2 marque suffisamment, au plan juridique l’indépendance de la Banque centrale à l’égard de l’Etat et prive celui-ci de la possibilité d’intervenir dans son domaine d’attribution, ni d’exercer quelque tutelle sur ses actes sans y être autorisé par la loi. La tutelle étant une exception au principe de compétence, (elle) ne peut s’exercer sans texte, selon les principes: «pas de tutelle sans texte» et «pas de tutelle au-delà du texte».
(III) Le régime juridique de la Banque centrale
(i) La nature juridique de la Banque centrale
Le projet, reprenant les dispositions des Statuts actuels, qualifie la Banque centrale d’Etablissement public national, sans autre précision sur son caractère administratif ou commercial. La définition du caractère de l’Etablissement public est pourtant importante à double titre, car elle facilite la détermination du Droit applicable (privé ou public) et du juge compétent (le juge judiciaire ou le juge administratif).Le projet qualifie par ailleurs la Banque centrale de commerçant dans ses relations avec les tiers, la soumet au Droit commercial et à la comptabilité commerciale.
L’application du Droit commercial n’est que de principe, «sauf dérogation apportée par les lois et les statuts qui lui sont propres». Elle s’explique par le fait que la Banque exerce des actes de commerce par nature à l’occasion notamment de ses interventions sur le marché monétaire, de la gestion des réserves en devises, des opérations de banque qu’elle effectue au profit du Trésor et des banques et celles auxquelles elle s’adonne dans ses relations avec les banques correspondantes, etc. A cet effet, la loi fait profiter l’Institution, des commodités qu’offrent le Droit commercial et la comptabilité commerciale.
La nature du service public confié à la Banque centrale demeure toutefois éminemment administrative. En effet, l’ensemble des missions confiées à l’institution, relèvent de l’exercice d’un service public administratif dans un but d’intérêt général et impliquent l’utilisation de prérogatives de puissance publique (PPP). Il en est ainsi de la politique monétaire, des autorisations et du contrôle de change, de l’émission de la monnaie légale, de la régulation bancaire, du contrôle des systèmes des paiements etc.
Même lorsqu’elle exerce des actes de commerce par nature, la Banque n’a point de souci mercantile et peut même être amenée à enregistrer des pertes si tel était l’intérêt général, (à l’occasion par exemple des opérations de ponction de la liquidité bancaire). Selon l’important arrêt d’assemblée Union syndicale des industries aéronautiques (C.E., Assemblée., 16/11/1956), le service public bénéficie d’une présomption d’«administrativité». Cette présomption ne peut être renversée à notre avis (par le "faisceau d’indices") car l’objet du service confié à la Banque centrale est d’intérêt général, l’origine de ses ressources est publique et les modalités de son organisation et de son fonctionnement sont fondamentalement différentes de celles appliquées dans les sociétés privées.
Le projet aurait constitué une opportunité réelle pour apporter les précisions utiles sur la nature juridique de la Banque centrale, sur le régime de ses actes, notamment dans ses rapports avec les usagers du service public, les prestataires de service et le personnel ainsi que sur le régime juridique de ses biens. Si les choses ne sont pas déjà claires sous les Statuts actuels, elles ne le seront pas davantage dans la nouvelle loi. Trois exemples au moins illustrent ce constat :
- L’Etat est un tiers par rapport à la Banque centrale ; Celle-ci bénéficie en effet de la personnalité juridique. La présomption de commercialité dans les relations entre ces deux personnes morales de Droit public n’est pas sans abus car excepté les actes de gestion du compte courant du Trésor, c’est le Droit public qui s’applique.
- Le projet soustrait la Banque centrale à la tutelle de l’Etat et au principe de spécialité. Pour ce qui concerne la tutelle, l’article 5 § 3 du projet dispose à cet effet que « la Banque centrale n’est pas soumise aux dispositions de la loi n°89-9 du 1er février 1989 relative aux participations, entreprises et établissements publics ». Quant au principe de spécialité, le projet ne reprend pas l’article 39 des Statuts actuels suivant lequel « La Banque Centrale ne peut, en aucun cas, faire ou entreprendre d'autres opérations que celles qui lui sont permises par la loi ou par ses Statuts ». Rappelons à ce propos que l’établissement public est soumis à trois principes (i) l’autonomie qu’indique le bénéfice de la personnalité morale,(ii) le rattachement à un niveau de l’administration (État ou collectivité publique locale) en le soumettant afin de compenser son autonomie, au contrôle de ce niveau d’administration, et (iii) la spécialité, qui garantit l’établissement public contre les empiètements éventuels d’autres personnes ,mais surtout limite son champ d’action de sorte qu’il ne puisse agir en dehors des compétences qui lui ont été dévolues par la collectivité créatrice et inscrites dans ses statuts. Le principe de spécialité des établissements publics est le corollaire de leurs compétences d'attribution, par opposition à la compétence générale des collectivités de plein exercice. L’exclusion de la loi de 1989 sur la tutelle participe en réalité du même raisonnement qui a conduit les rédacteurs du projet à ériger l’indépendance de la Banque centrale en principe absolu, entretenant ainsi une confusion entre l’indépendance de la politique monétaire et l’indépendance de l’Etablissement public. Elle semble aussi contredire le sens de l’adjectif «national» attribué à l’établissement public, et qui signifie le rattachement à l’Etat et de toute évidence, à sa tutelle.
- Pour ce qui concerne le personnel, le projet dans son article 3 l’exclut du champ d’application du Statut Général de la Fonction Publique et de celui des Personnels des Offices, des Etablissements publics à caractère industriel et commercial et des entreprises publiques et le soumet à un Statut approuvé par le Conseil d’administration.
Ce « déclassement » suscite quelques remarques :
- Le projet marque une grande hésitation sur la qualification du personnel de la Banque centrale et sur le droit qui lui est applicable. En effet, le personnel ne peut pas être régi par les deux Statuts généraux à la fois pour les exclure tous les deux, mais soit par l’un, soit par l’autre. Si l’Etablissement public qu’est la Banque centrale était convenablement qualifié, il aurait été facile d’identifier le Droit applicable à ses personnels. Il a fallu attendre que le Tribunal administratif le fasse à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir. Les services de la Banque n’ignorent pas que le Tribunal a clairement tranché en affirmant que les agents de la Banque étaient justiciables du Statut Général des Personnels des Offices, des Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial et des entreprises publiques.
- La question ne relève pas du détail, car la rédaction proposée conduit à admettre que le personnel de la Banque est aux yeux de la loi éligible aussi à la qualité de fonctionnaire et à l’autorité du Statut Général de la Fonction Publique (SGFP); Autrement, l’exclusion de l’application du SGFP serait superflue. Dans ces conditions, la disposition critiquée pourrait même être soupçonnée d’inconstitutionnalité, car le régime juridique des fonctionnaires relève du domaine de la loi, sur le fondement de l’article 65 de la Constitution qui réserve au législateur la compétence de «fixer les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires».
Par ailleurs, en excluant l’application des deux Statuts généraux, le projet donne un blanc-seing au Conseil et prive les agents de la Banque du droit de lui opposer le cas échéant, les garanties qu’offrent lesdits Statuts généraux.
Si l’intention était d’apporter plus de souplesse aux procédures de recrutement, de rémunération ou autres, les solutions juridiques existent, mais sans pour autant prendre le risque de priver les agents de la Banque des garanties qu’offre la loi.
(ii) Le régime juridique des organes de la Banque centrale
(a) Le Conseil d’administration
La composition du Conseil a été fondamentalement revue. Outre le Gouverneur et le Vice-gouverneur, siègeront au Conseil, trois membres choisis ès-qualités (le Président du Conseil du Marché Financier, le responsable du Trésor public et le responsable de la Prévision au Ministère chargé du Développement Economique), deux universitaires et deux anciens banquiers.
La composition des Conseils d’administration dans les établissements publics est au cœur de la gouvernance et revêt par suite, une importance particulière, car elle renseigne sur les intérêts qui y sont représentés, les "ayants droits" (citoyens, pouvoirs publics, partenaires, actionnaires...) et sur l’équilibre des pouvoirs en leur sein. La gouvernance veille en priorité au respect de ces intérêts et à faire en sorte que leurs voix soient entendues dans la conduite des affaires.
Selon l’Institut de recherche et de débat sur la gouvernance, « (celle-ci) concerne essentiellement les modes d’organisation et de régulation du « vivre ensemble » des sociétés, du niveau local au niveau mondial, et la production de règles du jeu communes. […] Elles seront d’autant plus légitimes que, loin d’être imposées « d’en haut », elles résulteront d’un processus d’élaboration collective, guidé par la recherche de réponses aux défis communs, conformément à des valeurs explicitées et partagées ».
Les intérêts représentés selon le projet dans le Conseil de la Banque centrale sont ceux de l’Etat (y compris le CMF), du « savoir bancaire » si nous pouvons appeler les choses ainsi (deux anciens banquiers) et du savoir scientifique (deux universitaires). Deux intérêts essentiels au moins sont absents, la société civile représentée par des compétences indépendantes 8 et dont le bien-être est l’objectif même de la politique monétaire et l’appareil de production, l’entreprise, alors que les banques et les compétences scientifiques sont sans raison avouée, doublement représentées. Les banquiers et les universitaires sont proposés par le Gouverneur, ce qui lui procure un ascendant réel à leur égard de nature à affaiblir leur indépendance. De surcroît, comment peut-il être admis que les conditions de révocation des membres du Conseil ne soient pas homogènes et que le Gouverneur et le Vice-gouverneur soient les moins pourvus à cet égard.
Sur un autre plan, Le Vice-gouverneur, les deux universitaires et les deux anciens banquiers sont nommés par le Chef du Gouvernement, alors que le responsable du Trésor public et le responsable de la prévision au Ministère Chargé du Développement Economique sont des fonctionnaires et donc soumis à sa hiérarchie.
Ce choix donne aussi à réfléchir sur l’indépendance des membres du Conseil vis-à-vis du Gouvernement, même si la révocabilité des universitaires et des banquiers soit soumise à des conditions sévères citées dans le projet.
Maintenant, s’agissant des pouvoirs du Conseil, il est à souligner la disparition de la disposition des Statuts actuels suivant laquelle «Le Conseil dispose des pouvoirs les plus étendus pour l'administration de la Banque Centrale dans la limite des présents statuts ».
Cette disposition est importante car elle ne concerne pas, comme le projet a tendance à le croire, les divers mandats dévolus par la loi au Conseil et qui sont énumérés dans le projet, mais les pouvoirs dont il doit disposer pour les exercer : déterminer les orientations stratégiques de l’activité de la Banque, prendre les décisions qui s’y rapportent et veiller à leur mise en œuvre ( pouvoir d’orientation); s’autosaisir de toute question intéressant la bonne marche quotidienne de la Banque et régler par ses délibérations les affaires qui la concernent (pouvoir d’évocation) et procéder aux contrôles et vérifications qu’il juge opportun. Pour pouvoir exercer cette surveillance, les administrateurs disposent à titre individuel d’un droit à l’information. Ils reçoivent toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de leur mission et peuvent se faire communiquer tous les documents qu’ils considèrent utiles (pouvoir de surveillance).
(b) Le Gouverneur
Le projet de refonte énonce dans l’article 45 que «le Gouverneur de la Banque Centrale est nommé conformément aux dispositions de l’article 78 de la Constitution pour un mandat de six ans renouvelable une seule fois. Il est choisi parmi les personnalités reconnues pour leur compétence dans les domaines économique, monétaire et financier ».
Remarquons d’abord que ces conditions sont cumulatives et donc difficiles à réunir chez une même personne. Une formulation alternative aurait été à notre avis autrement plus heureuse. Ensuite, cette disposition est contraire à la nouvelle Constitution du pays, car en posant le principe du mandat, elle apporte une limite au pouvoir discrétionnaire dévolu aux autorités compétentes de révoquer le Gouverneur ad nutum. La Constitution ne pose aucune condition de délai ni aucun motif pour révoquer le Gouverneur. En effet, Il est mis fin à ses fonctions dit-elle «de la même manière (que pour sa nomination) ou à la demande d’un tiers des députés et avec l’approbation de la majorité absolue des membres ». Le silence de la Constitution sur le mandat n’est plus rattrapable. C’est au moment où le Constituant écrivait la loi fondamentale, qu’il fallait éclairer sa lanterne sur la portée des dispositions réservées au statut du Gouverneur. La chose n’est plus possible aujourd’hui et sauf à réviser la Constitution, ce qui serait un vœu pieux, l’article 45 du projet est pour nous inconstitutionnel.
En effet, en cas de conflit entre la Constitution et la loi, celle-là l’emporte sur celle-ci, en vertu du vieux principe de la hiérarchie des normes. Sauf délégation express, l’acte subordonné ne peut apporter impunément de limites à l’acte supérieur. Au-delà de l’inconstitutionnalité de l’article 45, le projet consacre curieusement la révocabilité ad nutum du Gouverneur, du Vice-gouverneur et des membres visés aux troisième, quatrième et cinquième tirets de l’article 57 du projet, ôtant ainsi au principe du mandat toute pertinence. Cette conclusion est suggérée par un raisonnement a contrario (que nous utilisons ici avec précaution), car cet article met des conditions à la révocation des seuls membres visés aux sixième et septième tirets de l’article 57 à l’exclusion des autres. «Il ne peut être mis fin aux fonctions des membres du Conseil visés aux sixième et septième tirets de l’article 57 de la présente loi avant l’expiration de leur mandat que dans les cas suivants : (…)».
(c) Le Vice –gouverneur
A l’instar du Gouverneur, le Vice-gouverneur bénéficie lui aussi dans le projet, d’un mandat de six ans renouvelable une seule fois. Le mandat est rappelons-le, un critère important dans l’appréciation de l’indépendance de la Banque centrale. Sa portée, rappelons-le encore une fois, ne dépasse pas cependant, l’exercice de la politique monétaire, car c’est uniquement dans ce domaine qu’il retrouve toute sa signification et sa pertinence. En dehors de ce périmètre, il n’en a point. La charge du Vice-gouverneur est de «veiller en permanence à la bonne marche de tous les services de la Banque Centrale».
Exceptionnellement et pour de courtes durées, il peut assurer la suppléance (à ne pas confondre avec l’intérim) du Gouverneur en son absence. Les charges du Vice-gouverneur ainsi définies s’accommodent mal du principe du mandat. Les rédacteurs des Statuts de 1958 semblent avoir mieux saisi la nuance, en s’abstenant de faire bénéficier le Vice-gouverneur d’un mandat.
Le mandat du Vice-gouverneur est, par ailleurs, incohérent avec l’absence de mandat pour le Gouverneur, mais aussi avec sa révocabilité ad nutum comme expliqué plus haut.
(d) Le Secrétaire Général
Le projet institue la fonction de «Secrétaire Général » et dote son titulaire d’un régime d’incompatibilités similaire à celui applicable au Gouverneur et au Vice-gouverneur ainsi que d’un régime de rémunération fixé par le Conseil.
Le Secrétaire Général est «notamment chargé de la gestion des affaires administratives de la Banque Centrale». «Le Gouverneur fixe par décision réglementaire les attributions dévolues au Secrétaire Général qui les exerce sous l’autorité immédiate du Vice-gouverneur».
Ces dispositions nous interpellent sur plus d’un plan :
D’abord, l’exposé des motifs ignore complètement cet ajout et ne donne aucune explication sur l’intérêt de la fonction. Nous rappelons à cet égard que celle-ci existait à la Banque centrale et a été supprimée par la révision des Statuts de 1988. Elle se justifiait à notre avis, à une époque (fin des années 70 et début des années 80) où la Banque construisait son Siège et ses Comptoirs, recrutait des centaines de cadres et installait son système d’information.
Ensuite, les frontières entre les charges du Vice-gouverneur : «veiller en permanence à la bonne marche de tous les services de la Banque Centrale» et celles du Secrétaire général : «notamment la gestion des affaires administratives» sont assez floues, la seconde participant logiquement de la première. Le législateur devrait être mieux éclairé sur la question, d’autant qu’elle a des implications financières. Le principe de compétence réclame lui aussi que les attributions des organes de la Banque recueillent davantage de précision dans la loi elle-même. L’emploi de l’adverbe «notamment» inquiète, car il insinue que les choses ne sont pas encore claires dans l’esprit des rédacteurs du projet ; ce qui risque d’occasionner le moment venu des querelles positives ou négatives de compétence et des frustrations inutiles voire, contreproductives.
Enfin, la question peut légitimement être posée de savoir si la loi, autant que le chapitre 1er du titre (III) intitulé («du gouvernement de la banque Centrale») serait le siège indiqué pour créer une fonction somme toute d’intendance alors qu’une modification de l’organigramme aurait largement suffi et si dans ces conditions, le régime d’incompatibilités assigné à la fonction demeurerait encore de quelque pertinence.
Pour conclure
Premièrement : Le choix en faveur d’une refonte n’a pas de justification pertinente. D’abord parce que la Banque centrale est demeurée dans sa mission principale « préserver la stabilité des prix » et dans toutes ses missions et autres fonctions traditionnelles. L’abandon de l’objectif consistant à prêter appui à la politique économique de l’Etat mérite une mure réflexion dans un contexte où l’économie nationale connait ses pires souffrances.
Ensuite, parce que sur le plan de la gouvernance, qui suivant l’exposé des motifs, fonde pourtant la légitimité de la refonte, il n’y a pas eu d’évolution remarquable, bien au contraire, car l’Exécutif a renforcé sa main mise sur les organes dirigeants, dans le sillage du glissement des pouvoirs du Chef de l’Etat sous les Statuts actuels vers le Chef du Gouvernement. Cela fragilise davantage l’indépendance de la politique monétaire, car c’est vis-à-vis du gouvernement que celle-ci doit s’apprécier. Sous les actuels Statuts, l’autorité exercée par le Chef de l’Etat sur les organes de la Banque s’explique par sa légitimité démocratique autant que par son rôle d’arbitre entre le Premier ministre et son gouvernement d’un côté et le Gouverneur de l’autre. Or, le chef du gouvernement sous la nouvelle Constitution n’a ni cette légitimité ni, pour des considérations objectives, cette vocation.
Troisièmement : Les choix retenus dans le projet ne sont pas expliqués. Pourquoi la stabilité financière est-elle érigée en objectif final ? Avons- nous entrepris les dosages utiles en termes de gouvernance, compte tenu de la réalité de notre système financier et de l’expérience comparée?Quelle autre forme juridique plus accommodante pourrait être attribuée à l’Institution (Autorité Administrative Autonome à l’image du CMF par exemple) ? Pourquoi la Banque centrale cumule-t-elle les prérogatives de réglementation, de supervision et en partie, de discipline ? Cette problématique n’est-elle pas aussi au centre de la gouvernance monétaire ?
Par Samir Brahimi
Ancien Directeur Général à la Banque centrale de Tunisie
Ancien membre du Collège du CMF et du Conseil Economique et Social
Ancien Secrétaire Général de la Commission Tunisienne d’Analyses Financières
Ancien Président du Groupe d’Action Financière Moyen Orient Afrique du Nord
Ancien gouverneur suppléant auprès du Fonds monétaire arabe, FMA
(1) Livre, Secret des Etoiles Sombres (Le), Anton Parks, Ed. Nenki, Source: Magazine Marianne N°331, août 2003 ; (2) La loi portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie fut promulguée dans le village de Béni M’tir, village du Nord-Ouest de la Tunisie ;
(3) L’article 100 du projet de refonte abroge la loi du 19 Septembre 1958 ;
(4) L’exposé des motifs semble évoquer l’épisode du décret-loi 2011-98 du 24 octobre 2011 :
"ولكن التنقيح له أيضا حدود وجبت مراعاتها. فكلما تراكمت التنقيحات تحت ضغط الظروف والتسرع أو كلما إرتبطت أحيانا أخرى بمزاج السياسيين وإملاءاته مثلما كان في الماضي القريب، عوض أن تستشرف التحولات الهيكلية للإقتصاد أو تواكبها عبر مسار تشاركي موسع يشمل أصحاب الشأن والأطراف الفاعلة في الحوكمة النقدية، يتحول التنقيح حتما إلى ما يشبه عملية ترقيع وينتج فسيفساء من القوانين والتراتيب والمناشير غير المنسجمة والمبهمة والمهجورة. وأبرز دليل على ذلك ما آلت إليه مجلة الصرف الحالية التي بات تحويرها أمرا ضروريا "
(5) J. DE HAAN, F. AMTENBRIK, S.C.W. EIJFFINGER, Accountability of Central Banks : aspects and qualification, mai 1998.p.5 ;
(6) Marwan M. Nsouli ; Recherche sur les critères d’une banque centrale moderne ; L.G.D.J. 2003 ; p 182
(7) Samir Brahimi ; Le mandat du Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie : mythe ou réalité ? « Leaders », 14 décembre 2015 ;
(8) Docteur Hachemi Alaya ; L’indépendance de la Banque centrale de Tunisie : Une vraie-fausse question