News - 21.03.2016
Nicolas Dufourcq : Tunisie, mère courage
« Un an après l'attentat du Bardo, la Tunisie reste en état de guerre. Mais elle fait face », écrit Nicolas Dufourcq, président de la Banque publique d'investissement, dans une tribune publiée ce lundi 21 mars dans le quotidien parisien Les Echos.
Ainsi le 19 mars, Zine Abidine Ben Ali a-t-il été, au terme d'un procès de cinq ans, condamné à dix ans de prison par contumace. Pourtant, dans certaines couches de la société, heureusement minoritaires, on dit regretter « ces années-là ». Certes, le chômage reste à un niveau élevé (à 15 % et même 35 % chez les jeunes), et les régions de l'intérieur, d'où la « révolution de jasmin » est partie naguère, restent largement défavorisées. Mais c'est oublier que la Tunisie est un pays en état de guerre. Un an après les attentats du Bardo, qui firent 22 victimes, un semestre après le massacre sur les plages de Sousse, l'attaque sans précédent de la ville de Ben Gardane par 60 djihadistes tunisiens formés en Libye confirme que l'Etat islamique a décidé de saigner à blanc la Tunisie en la privant de ses revenus touristiques (qui ont chuté de 35 %), de ses échanges avec la Libye voisine et en tentant très simplement de la désespérer. L'impact de ces événements peut être estimé entre 6 et 8 milliards d'euros depuis trois ans, soit la moitié du budget de l'Etat
Une transition exemplaire
Nul doute que les attaques reprendront car la chute de la Tunisie est un but de guerre affiché. Pourtant, c'est dans ce contexte que la Tunisie accomplit sa transition démocratique : des élections exemplaires fin 2014, la nomination d'un gouvernement de coalition bénéficiant d'une large majorité au Parlement, l'annonce sans ambiguïté par Ennahdha d'un positionnement désormais « équivalent à la démocratie chrétienne européenne », la promulgation d'une Constitution laïque et ferme sur l'égalité totale entre hommes et femmes, l'entrée en activité d'une Cour constitutionnelle qui a déjà invalidé des articles importants de la loi de finances, le vote d'une loi interdisant les discours politiques dans les mosquées, une négociation sociale conduisant début 2016 à des accords triennaux avec les syndicats, tous éléments d'une révolution démocratique que les jurés du Nobel ont reconnue en attribuant le prix aux acteurs de la société civile tunisienne.
La bataille est désormais économique, avec un PIB à l'arrêt, une inflation de 4 %, un endettement extérieur de 54 %du PIB et en dérive. La Tunisie a bénéficié de 300 millions d'euros d'aides de l'Union européenne, quand la Grèce reçoit 74 milliards. Il y a évidemment disproportion, notamment quand on sait les sommes mobilisées par l'Arabie saoudite pour financer l'islam fondamentaliste. Sans attendre d'être aidée, la Tunisie réforme ses ports, promeut un nouveau Code des investissements étrangers, crée son réseau d'incubateurs, équipe le pays en fibre optique, lance la 4G, développe la « TunisieTech », décroche la 7 e place dans le baromètre « Forbes » des destinations mondiales pour la création de start-up, crée des fonds d'investissement, dont un fonds franco-tunisien avec bpifrance, et démarre quatre initiatives importantes de microfinance. Dans cette course contre la montre, en état de guerre, peu aidée, la Tunisie n'est ni un miracle ni un mirage, juste du courage.
Nicolas Dufourcq