Nous sommes tous Bruxelles
Je venais tout juste de me libérer du travail toujours pénible pour moi d'écriture. Il s'agit de la version définitive du texte Sâmed à l'épreuve de la question de la drogue face au Droit. Et, avant de m'engager dans l'écriture du texte Identité et Mimésis, et tout en réfléchissant un peu au texte promis pour nos amis espagnols sur Crise mondiale et psychose des peuples…Or, comme à mon habitude pour prendre une certaine distance, j'avais plongé depuis le 19 mars dans la lecture en parallèle de trois textes: un texte de Hanna Arendt, Du mensonge à la violence, avec son texte sur la violence; un livre de Jean-Hervé Lorenzi, Un monde de violences (L'économie mondiale de 2016-2030); et enfin un texte d'Alain Badiou que j'ai reçu seulement avant-hier et qui porte pour titre : Notre mal vient de plus loin (Penser les tueries du 13 novembre)aux éditions Fayard janvier 2016… Et voici que Daech frappe encore plus fortement et à nouveau au coeur de l'Europe, Bruxelles, la ville qui symbolise l'Europe unie, après avoir tenté d'envahir une partie du sud tunisien à travers la bataille de Ben Guerdane où cette organisation qu'est devenue Daech voulait installer un émirat, c'est-à-dire une province dépendante du fameux Abou Bakr Al-Baghdadi, (ou au risque d'être conspirationniste, Simon Elliot selon, entre autres, Edward Snowden), renforçant par là-même l'émirat de Syrte en Libye... Nous nous réveillons avec l'évidence qu'il nous faudrait aujourd'hui nous atteler à devoir penser à ce qui jusque-là était en partie de l'ordre de l'impensable : comment appréhender clairement l'évolution d'un tel cadre de notre devenir si l'on continue à considérer Daech et ses semblables (jabhat ennosra, ansar achari'a, fajr libya, etc) comme de simples organisations terroristes, certes barbares, à contenir mais non à détruire tant qu'elles restent utiles pour certaines missions stratégiques en vue de déstabiliser le monde arabe et ses fondements culturels, et en vue de donner appui à l'islamophobie et à la stigmatisation de cette altérité radicale que serait devenu le musulman serait-il occidental de naissance et de constitution ? La principale et la plus dangereuse de ces organisations, Daech, la voici aujourd'hui ,en tant qu'Etat aux frontières flottantes et changeantes, plutôt qu'une simple organisation, la voici qui défie tous ceux qu'hier la soutenaient et auraient même participé à son émergence.
Elle en arrive à se retourner contre tous les services de renseignement et tous les plans sécuritaires en Europe, en Tunisie, en Algérie et partout dans le monde, ceci pour planifier, faire exécuter et réussir des sortes d'attaque de guérilla, d'une violence inouïe et touchant soit des lieux hautement symboliques soit des lieux névralgiques au centre même des capitales européennes: en janvier, il y a un an, c'était Paris, en novembre 2015, c'était encore Paris, et aujourd'hui c'est Bruxelles en ciblant des lieux hautement névralgiques, et en cherchant chaque fois à ce qu'il y ait un maximum de victimes humaines.
L'on est bien obligé de constater que nulle part on ne peut échapper à la menace pouvant soudainement ébranler notre bien-être quotidien. C'est qu'on ne peut plus ne pas tenir compte de leur sens de l'organisation, de leur compétence en matière de planification, en matière de renseignement, en matière de sens stratégique et tactique, ainsi qu'en matière du choix des lieux et du timing de leurs opérations militaires ciblées. Autant dire que l'on ne peut plus ne pas apprendre à vivre avec les questions : quand et où leur prochaine action, non pas terroriste mais militaire soit : a) parmi les pays aujourd'hui alliés pour combattre leur extension après avoir échoué à les contenir ? soit, b) et après leur échec très récent d'installer un émirat au sud de la Tunisie, quelles seraient les zones que ce monstre va choisir pour étaler "ses territoires" à conquérir ? Donc voici Daech avec 1- un territoire qu'il cherche à étendre par un mode d'actions militaires avec un esprit de conquête (ghazwa), associé à 2- un autre mode d'actions militaires dirigées vers l'Europe dans le cadre d'une guerre de part et d'autre asymétrique. Voici Daech en démonstration de force pour établir de son côté aussi une contre-stratégie de l'ordre d'une guerre asymétrique ! En somme, Daech semble vouloir s'imposer à nous comme réalité géopolitique avec d'un côté comme de l'autre, une stratégie et une contre stratégie de l'ordre de celle de deux joueurs d'échecs en confrontation. Certes, une telle évolution vers une guerre asymétrique réciproque pourrait permettre, selon Badiou, d'"élargir l'espace des affects publics; mais il y a lieu, comme le souligne A. Badiou, de ne pas se laisser piéger en laissant ses affects publics se limiter à l'identitaire. Il s'agit, pour ne pas renforcer le jeu de Daech, de se souvenir et de savoir que l'espace du malheur et de la terreur "est un espace que nous devons envisager, en définitive, à l'échelle de l'humanité toute entière et que nous ne devons jamais enfermer dans des déclarations qui le restreignent à l'identité ».
Ceci dit, je souscris tout à fait à la proposition de Hervé appuyée par Sofiane d'un colloque sur la question du terrorisme et du cadre de l'évolution et de la banalisation de la violence aujourd'hui.
Toute notre solidarité et notre soutien à nos amis belges.
Essedik Jeddi