L’UGET ou la dangereuse dérive vers la violence organisée
«Le ridicule ne tue pas. On en vit». L’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) vient de d’illustrer cet adage à l’occasion de l’année universitaire actuelle. On espérait plus de maturité, la présentation de revendications à la mesure des aspirations réelles de la base estudiantine de la part d’un syndicat plus que soixantenaire, rallié depuis sa création au mouvement national tunisien, porte-drapeau, pendant 17 ans, de la lutte victorieuse pour l’autonomie syndicale estudiantine depuis le congrès inachevé de Korba en 1971 jusqu’à la tenue en 1988 d’un congrès autonome et représentatif, rebelle à toute inféodation au parti unique, avec à son actif d’autres acquis importants pour le pays et pour les étudiants même si rien ne semblait arrêter la lente descente aux enfers entamée depuis des années. Mais l’UGET, sous la férule de Wael Naouar, a préféré, pour des raisons que nous ne manquerons pas d’évoquer, mener dans de nombreuses institutions universitaires et particulièrement à la faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba ( FLAHM)un faux combat. Sous couvert d’allégement des examens, l’organisation syndicale qui n’est plus qu’un pseudo-syndicat miné par les graves luttes intestines en son sein et qu’une réplique grotesque de l’UGET des sources ou de l’UGET autonomiste du mouvement de février 72, n’a pas hésité à présenter des revendications saugrenues qui auraient contribué à la dégradation de la formation et à la braderie de nos diplômes si elles avaient abouti.
Peu importe la formation pourvu qu’on ait le diplôme
Quand on revoit la lutte féroce de ces pseudo-militants pour arracher au conseil scientifique de l’institution le droit pour les étudiants de connaître, pour chaque module, une semaine avant chaque session (sic !), la matière de l’examen et, suprême gâterie, la question objet de l’évaluation semestrielle au cas où le module ne comporterait qu’une seule matière, on ne peut faire que ce constat affligeant: «le bon sens n’est pas la chose du monde la mieux partagée à l’UGET, ou pour le moins, au sein de son bureau exécutif et du bureau fédéral de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba». On peut même affirmer, sans risque de caricature, que ces pseudo-militants sont partisans du moindre effort et qu’ils déclinent à qui mieux mieux l’une des devises chères aux fainéants : «Peu importe la formation pourvu qu’on ait le diplôme».
La lettre et l’esprit d’une circulaire ministérielle
Il est vrai que les étudiants de certaines disciplines sont astreints à une charge de travail très importante pendant les révisions et durant le semestre en raison de la surcharge d’examens que leur imposent les textes juridiques relatifs aux conditions d’obtention du diplôme national de la licence pour ces disciplines. Mais ce constat ne concerne très peu les lettres ou les sciences humaines. A titre d’exemple certains étudiants de la première année, dans certaines licences, passent dix épreuves de contrôle continu et autant d’épreuves d’examen pendant chaque semestre alors que ceux des lettres et sciences humaines en passent moins de la moitié.
C’est pour appeler à corriger cette anomalie que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a publié une circulaire envisageant la possibilité de l’allégement des examens en fonction de la spécificité des licences sans porter préjudice à la qualité de la formation et à la valeur des diplômes et, comme l’a précisé le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique chaque fois qu’il est intervenu sur la question, dans le strict respect des prérogatives scientifiques et pédagogiques attribuées aux conseils scientifiques .
Mais nos pseudo-militants se sont obstinés à ne pas faire de différence en ce type d’allégement, somme toute légitime et revendiqué par les enseignants eux-mêmes, qui se traduirait tant au moment du contrôle continu que des examens semestriels par une réduction du nombre des épreuves (on passerait d’une évaluation lourde avec deux épreuves par module à une version allégée) et une formation légère, voire au rabais. Cette formation tronquée serait la conséquence directe et inéluctable des nouvelles modalités d’évaluation revendiquées qui autoriseraient en cas d’adoption, au moment de la révision, les étudiants à faire l’impasse sur des matières figurant dans leurs cursus et sur des questions inscrites dans leurs programmes sur lesquelles ils seraient sûrs de ne pas être interrogés.
Quand l’argument de la force se substitue à la force de l’argument
Instrumentalisant la circulaire ministérielle, les dirigeants de l’UGET ont engagé, à partir de la deuxième moitié du mois de novembre 2015, un bras de fer avec le conseil scientifique de la FLAHM et son doyen Habib Kazdaghli dans le but de leur imposer la vision du syndicat étudiant relative aux nouvelles modalités de l’examen. Le conseil scientifique, réduit, dans leur esprit à un organe de ratification des exigences syndicales, n’avait d’autre alternative que d’obtempérer. C’est pourquoi ils se sont obstinés à proposer une fin de non- recevoir à la proposition formulée par ses membres pour la constitution de commissions de réflexion mixtes composées d’enseignants et d’étudiants de chaque département chargées de présenter des modalités d’allégement qui remédient à la surcharge d’examens et garantissent la qualité des diplômes. Développant une mégalomanie qui frise le ridicule, nos militants ont décidé, devant la détermination du conseil scientifique à assumer ses responsabilités, à rejeter toute surenchère et à défendre les normes académiques et les règles d’évaluation en vigueur dans les universités dignes de ce nom, de mettre le feu aux poudres.
Il s’est ensuivi un feuilleton que les observateurs ont cru interminable avec des épisodes rappelant, étrangement, par certains événements « la ghazoua » salafiste de l’année 2011-2012. Grèves ouvertes subies par la majorité silencieuse empêchée d’accéder par la force aux départements, aux amphithéâtres, aux salles abritant les épreuves du contrôle continu, grèves de la faim, sit-in, agressions verbales et même physiques ciblant particulièrement le doyen, qui a gardé plusieurs mois après les événements, les traces d’une lésion à la main, ont constitué les différentes péripéties de cet étrange feuilleton pendant lequel la violence, sous toutes ses formes, a été érigée en mode d’expression et utilisée comme l’unique mode de gestion et de solution des conflits par ces salafistes de gauche. Ne parvenant pas à obtenir l’adhésion à leur projet insensé par la force de l’argument, ils n’ont pas hésité à recourir à l’argument de la force.
Sur ce chapitre, l’événement qui a le plus marqué les esprits a eu lieu au début du mois de janvier 2016, lorsque des étudiants de l’UGET, menés par leurs chefs, ont empêché leurs camarades de passer les examens du premier semestre en utilisant des chaînes pour fermer la porte d’entrée de la faculté. Du jamais vu dans l’histoire de l’université tunisienne!
Une violence préméditée et annoncée
Après ce coup de force suivi de la fermeture de la faculté, les examens se sont déroulés dans de bonnes conditions après un allégement bien étudié conforme à l’esprit de la circulaire ministérielle et les cours du second semestre ont repris normalement. Mais les auteurs d’actes de violence devaient répondre de leurs actes devant le conseil de discipline de l’institution réuni le 21 mars dernier. Malgré la gravité des faits reprochés aux 18 étudiants traduits devant ledit conseil, les accusés ont bénéficié d’un verdict jugé clément par les observateurs au regard des charges retenues contre eux. Des propositions de renvoi allant de deux mois à six mois et qui attendent l’aval du ministère de tutelle ont été prononcées. Une proposition de renvoi définitif de l’institution a concerné un étudiant membre du bureau exécutif de l’UGET.
Mais la direction de l’UGET crie au scandale et menace, une fois de plus de décréter la grève. « La riposte sera dure », écrit Raja Omri, membre du bureau fédéral de la FLAHM dans un post publié sur sa page Facebook tandis que le secrétaire général de l’UGET, Wael Naouar, menace dans un autre post relayé par plusieurs internautes le doyen Habib Kazdaghli, de l’empêcher d’accéder à son bureau lors de la rentrée prévue pour le lundi 4 avril. Il s’agit d’une fuite en avant du secrétaire général qui semble avoir prémédité de nouveaux actes de violence et qui s’est assuré le soutien des organisations de jeunesse des partis membres de sa faction. Dans un communiqué commun publié récemment, ces structures partisanes dénoncent vigoureusement les sanctions prononcées par le conseil de discipline de la FLAHM, considérées comme une atteinte à l’exercice de la liberté syndicale (sic !).
L’UGET ne semble avoir mené ce faux combat aussi stérile que dangereux que mue par une pensée de derrière la tête : imposer sa présence sur la scène syndicale nationale dans un contexte où les élections des représentants des étudiants au sein des conseils scientifiques ont vu le recul de l’UGET par rapport au syndicat de l’UGTE proche des islamistes même si le syndicat de gauche n’a pas perdu son leadership. Ce n’est pas un hasard si le mouvement initié à la Manouba a débuté une semaine à peine après ces élections organisées le 13 novembre 2015. L’aboutissement de la revendication de l’UGET lui aurait permis sans aucun doute de reprendre du poil de la bête mais à quel prix ? Il est heureux de constater que la détermination des enseignants de la Manouba et de son doyen ait permis la sauvegarde des valeurs universitaires.
Par ailleurs, la rentrée à la FLAHM s’annonce chaude en raison des derniers développements de la situation. Mais le conseil scientifique de la FLAHM, la fédération générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et les associations de la société civile concernées par les problèmes de l’université doivent conjuguer leurs efforts pour éviter une fin d’année houleuse avec un risque réel de perturbation des cours et des examens.
Habib Mellakh