Cheker Besbes: L’enfant de la radio qui fait briller encore plus Shems
Il rejoint désormais les Hamza Balloumi, Boubaker Ben Akacha et autres Wassim Benlarbi dans la cour des grands sur les ondes radio. Cheker Besbes, féru depuis son jeune âge de politique et d’actualité brûlante, l’animateur-vedette de Shems FM, impose son talent et son style. Intransigeant sur la ligne éditoriale et sa liberté de ton, il laisse tous les points de vue s’exprimer autour de la table ronde du studio de Shems FM. Il n’oublie toutefois pas de recadrer certains de ses invités, quitte à s’attirer parfois quelques inimitiés.
Lundi, 11heures du matin. C’est l’heure à laquelle Cheker Besbes peaufine la préparation de son émission quotidienne en direct du studio jaune et blanc de Shems FM, niché au premier étage d’un immeuble moderne sur le boulevard principal des Berges du Lac. Chaque jour, plusieurs milliers d’auditeurs fidèles sont au rendez-vous pour ne rien rater de «Studio Shems», l’émission quotidienne animée de midi à 14h par Cheker Besbes sur les ondes de la deuxième chaîne la plus écoutée du pays. Débats, échanges de points de vue avec les auditeurs à qui la parole est donnée en direct, éclairage de l’actualité en présence de politiques et d’experts : c’est la mission journalière que s’est fixée ce journaliste de 33 ans, «complètement accro à la radio et à l’actualité brûlante.»
Enfant précoce
Le professionnalisme et l’aisance avec laquelle il orchestre le déroulement de son émission, il les doit à l’engouement qui l’habite depuis des années pour l’univers médiatique et artistique. Très tôt, il s’inscrit dans un club de théâtre en tant qu’amateur au sein d’une petite association culturelle. Une étape qui a dû être riche en enseignements sur l’art de la maîtrise du débit vocal, le contrôle des émotions et les arcanes de la séduction et de la conquête du public. Parallèlement, il commence à se forger une solide expérience au sein d’une station de radio basée à Monastir, sa ville d’origine. «C’est à Radio Monastir que j’ai fait mes premiers pas, alors que j’étais encore au collège», se souvient-il non sans laisser échapper une pointe de nostalgie.
«On nous laissait une grande latitude pour choisir nos sujets et les traiter à notre convenance», dit-il en évoquant ses week-ends dans cette ville côtière durant lesquels il participait à une émission culturelle consacrée aux jeunes et faisant intervenir des collégiens pour les initier aux métiers du journalisme audiovisuel. Le but de l’émission était aussi d’en retenir les trois meilleurs pour les recruter en tant qu’animateurs permanents. Un casting dont il est sorti aisément vainqueur. Hyperactif et précoce, il écrit dans le même temps des piges dans lesquelles il restitue l’actualité du paysage culturel tunisien et les soumet à des revues diverses, dont «majallatmajed», magazine culturel émirati ouvert aux apprentis journalistes du monde arabe.
Montée en flèche
Dans les années 2000, il s’inscrit, comme Hamza Balloumi, à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis où il s’entiche de politique et se construit une solide culture générale qui constituera pour lui «un arsenal très utile pour mon entrée en matière dans le journalisme politique.» Mais si la construction d’un solide capital culturel est le b.a.-ba, Cheker Besbes, en fin connaisseur du fonctionnement de l’univers audiovisuel, sait que les ressources intellectuelles doivent être augmentées d’un capital social étendu. C’est donc à cette période-clé qu’il commence à faire jouer son entregent. Il est l’élève de Yadh Ben Achour et de plusieurs autres personnalités dont l’influence ne tardera pas à reluire sur le terrain encore vierge de la démocratie naissante de la Tunisie post-révolution. «Les professeurs que j’ai eus font partie intégrante du carnet d’adresses que je mobilise encore aujourd’hui pour solliciter des éclaireurs politiques», affirme-t-il, en soulignant qu’il a parfois été le premier à pouvoir leur donner la parole pour commenter les faits turbulents qui secouent le pays depuis 2011.
Conscient des exigences que requiert l’objectif professionnel qu’il poursuit encore, il suit, depuis qu’il est étudiant, des formations journalistiques données par divers centres de soutien à la profession, afin de «me familiariser davantage avec les codes de l’écriture et du traitement de l’information à la radio.» Une démarche qui, selon lui, doit accompagner la totalité du parcours de tout journaliste. Etudiant, il continue dans le même temps à prêter sa voix à des reportages diffusés sur les ondes de Radio Monastir. Année après année, il creuse son sillon et pose les jalons de ses futures prestations en tant que journaliste confirmé. Celles-ci ne tarderont pas à arriver. A 27 ans, il présente sa candidature à un casting lancé par Mosaïque FM en 2010 : c’est la consécration. Reçu en entretien par Amine Gara, qui ne manquera pas de scruter à la loupe ses connaissances et de mettre à l’épreuve son potentiel, il fait montre d’une détermination qui lui vaudra d’être recruté par la suite par Boubaker Ben Akacha au sein de l’équipe de production de «Midi Show». «Mais mes chroniques n’embrassaient pas encore le champ politique», dit-il, comme pour rappeler à ceux qui auraient tendance à l’oublier que les radios tunisiennes, bien que plutôt libres de nos jours, ont longtemps été bâillonnées et cantonnées à la seule critique de la production culturelle.
Révolution!
Sitôt le tournant irréversible advenu à l’aube de 2011, plus question pour Cheker de faire l’impasse sur les faits et gestes des caciques de l’appareil sécuritaire de Ben Ali, alors que les Tunisiens sont massés dans toutes les artères du pays pour faire accoucher la révolution au forceps. «Je suis donc parti couvrir tous les événements chauds qu’a connus le pays à cette période, des grandes manifestations qui ont précédé le 14 janvier aux sit-in de la Kasbah», raconte-t-il. Des moments qui laisseront toutefois des séquelles accablantes : «J’ai encore sous les yeux l’image glaçante du jeune Mohamed, tué sous les balles d’un sniper invisible», se souvient-il. Cheker Besbes commence alors à devenir véritablement accro à la couverture de l’actualité politique sur le terrain et multiplie les tentatives de se frayer un passage au sein, notamment, de la mouvance salafiste. Il s’agit pour lui de s’immiscer dans les réunions organisées par ses membres et ainsi s’abreuver de matière brute, «essentielle à la compréhension de la nouvelle donne politique.»
Fasciné par le métier de reporter de guerre, touche-à-tout, il part en Libye en 2012 puis à deux reprises en Irak, en 2014. Mais pour des projets individuels cette fois : tourner des courts métrages sur notamment «les stigmates psychologiques de la guerre que devront traîner toute leur vie les enfants restés sur place, faute d’avoir pu se réfugier ailleurs», explique-t-il. Un fléau qui lui a naturellement paru devoir être restitué.
Il travaille également en tant que fixeur pour la chaîne Arte, dont les envoyés spéciaux non arabophones s’étaient appuyés sur lui pour pénétrer les régions reculées du pays où sévissaient les LPR. Il collaborera de nouveau avec la chaîne franco-allemande pour réaliser tantôt des reportages sur les événements de la Kasbah, tantôt un sujet sur le retour de jihadistes tunisiens de Syrie. La télévision suisse et Public Sénat solliciteront également ses talents de fixeur.
Toujours en étant chez Mosaïque FM, il collabore également avec la chaîne arabe de la BBC «en tant que producer» pour réaliser des reportages en Tunisie. En 2013, il décide de «changer un peu d’air» et de donner un second souffle à son parcours. Il passe alors chez Express FM, au sein de laquelle il animera une quotidienne consacrée aux news et où il consolidera encore plus ses acquis, notamment «grâce à Najoua Rahoui [directrice de la chaîne jusqu’à 2013, ndlr], une femme qui connaît tous les rouages de la radio tunisienne et qui tire le meilleur de ses collaborateurs.» Las, dans le sillage du départ de Mme Rahoui et de Karim Ben Amor d’Express FM, Cheker Besbes entrevoit des signes de baisse de vigueur au sein de la chaîne. Il bifurque alors de nouveau vers d’autres horizons : après quelques mois passés chez Jawhara FM, au cours desquels il fut présentateur d’une émission hebdomadaire, il déménage chez Shems.
Modestie à toute épreuve
Son émission quotidienne actuelle, qu’il dirige depuis un an à une heure de grande écoute, est le lieu d’échanges de points de vue et de questionnements qui émergent de la scène politique et sociale, parfois par-delà les frontières. Il la dirige avec toute l’assurance et le sang-froid qu’il a pu extirper de ses quelque 20 ans d’expérience passés derrière les micros de radios aussi diverses que disséminées sur toute la Tunisie autant qu’au service de médias étrangers. Pas question, donc, de se laisser intimider par des personnalités haut placées : la liberté de ton est toujours de mise, quitte à ce que les invités les plus susceptibles s’en trouvent parfois titillés. «Cela a été le cas de quelques ministres qui ont manqué de répartie au cours de débats où ils ont été taclés sur des aspects peu reluisants de leur carrière», raconte M. Besbes. Amoureux de radio, l’animateur n’écarte pas pour autant la possibilité de rejoindre un jour la télé, «si une opportunité venait à se présenter.»
Pour l’heure, il vit au rythme de l’actualité qu’il commente sous le casque de Shems FM, une station à laquelle il tient beaucoup, réalisant l’impact d’y présenter une émission de grande écoute à partir de midi, après avoir longtemps été affecté à des matinales. «J’y suis aussi attaché pour son objectivité et sa distance vis-à-vis des partis politiques ainsi que pour l’esprit d’équipe de mes collaborateurs.» Il semble par ailleurs emporté par une nette vague de popularité. «Rien n’est éternel», préfère-t-il humblement tempérer. Et de rappeler : «Il m’arrive tout de même d’essuyer quelques critiques! Certains n’apprécient pas ma liberté de ton.» Des réserves le plus souvent exprimées par des anciens, précise l’animateur de «Studio Shems». Son seul regret : le peu de temps consacré à sa famille. «Quand l’univers des médias te happe, ta vie sociale se réduit comme peau de chagrin. Mais il est là, le secret du métier : poursuivre pleinement ses ambitions sans se laisser complètement envahir par elles».
Nejiba Belkadi