Opinions - 24.03.2010

Le commissaire aux comptes: gendarme ou conseiller ?

En ces temps de crises, une avalanche de textes législatifs et réglementaires est venue, partout dans le monde, combler le vide des périodes d’euphorie.

Après les folles années de la  fin du siècle dernier, les législateurs, ont mis sur les rails un arsenal juridique sans précédent, pour contenir les débordements de tous ordres imputés à l’existence à un défaut de réglementation, bancaire principalement.

Pointée du doigt, l’abrogation, aux USA en 1999,  de la loi  Glass Steagall qui a permis aux banques de s’adonner à des activités multiples, allant de l’intermédiation, à celles de "Private equity". En multipliant l’innovation dans les produits nouveaux, pour saucissonner le risque de bilan, elles en ont créé de bien plus importants, notamment  ceux, ravageurs, des "subprimes ".

Une réglementation multiforme a vu le jour, succédant aux scandales Enron, Parmalat, Tyco, Worldcom du début de la décennie et se prolongeant jusqu’à nos jours, accentuée par la peur d’une crise systémique au lendemain des événements telluriques du dernier trimestre 2008, dont la planète finance appréhende encore et  avec effroi la réplique.

De nombreuses lois ont vu le jour, dans tous les pays, et en premier lieu, dans ceux les plus affectés par les derniers événements économiques et financiers.

La loi Sarbanes Oxley, est devenue une référence, suivie par une floraison de lois et règles, de toutes obédiences, dans de très nombreux pays, poussés par le nécessaire alignement, que la mondialisation réclame.

Bien évidemment, et comme d’habitude, en ce genre de circonstances, la recherche du bouc émissaire est l’exercice le plus facile et le plus prisé.

La déception Enron a mis la pression sur les auditeurs qu’ils soient contractuels ou légaux, les commissaires aux comptes, tenus pour responsables de toutes les déconfitures, de Enron bien évidemment (Oh Arthur Anderson !), et de toutes les autres.

Ils sont une proie facile  et muette,  tenus qu’ils sont   au secret professionnel, ils ne peuvent répliquer aux allégations, en tous genres,  qui portent atteinte à leur  honneur et à leur  devoir de professionnels.

Certes, des faiblesses  peuvent exister ici ou là. Nul n’est infaillible. Mais en miroir, combien y a-t-il de cas d’exercice irréprochable du mandat de commissaire aux comptes ?

En fait, le débat qui accompagne les lois nouvelles tourne autour de la nature de la mission du commissaire aux comptes, dont beaucoup veulent qu’ils soient un "gendarme des entreprises" alors que d’autres le préfèrent dans un rôle de conseiller.

Gendarme ou conseiller, ange ou démon, qu’en est il exactement ?

Il peut être tout cela, à la fois, ou successivement,  cela dépend de la manière dont on le regarde, dont on le souhaite, dont on l’abhorre !

Gendarme des entreprises? Oui, assurément, mais il n’est pas le seul à remplir cette fonction ! Et sa tâche ne se résume pas à cet aspect coercitif !

L'exigence d'une information fiable

L’objectif principal du mandat du commissaire aux comptes est de donner un avis sur les informations financières établies par les entreprises.

Il s’agit  essentiellement, de celles contenues, dans les états financiers (bilans, comptes de résultats etc.) et qui donnent aux actionnaires et aux tiers concernés une information sur le patrimoine de l’entreprise et sur  ses performances durant une période donnée.

Cet avis, d’un expert extérieur à l’entreprise, qui par ailleurs n’est en aucune manière associé à sa direction,  et  qui est contenu généralement dans  une ou deux pages, n’est pas une information anodine ou neutre, c’est un engagement du commissaire aux comptes en termes de responsabilités professionnelle, civile, voire pénale, sur ces informations essentielles.

De cet avis peuvent dépendre des décisions  d’une importance cruciale, pour ceux qui les prennent : Participation dans l’entreprise, rachat,  partenariats de formes diverses etc.

L’exigence d’une information fiable est sacro sainte, car elle est le véhicule de la confiance sans laquelle les relations économiques sont altérées.

Les dirigeants d’entreprises peuvent, en certaines circonstances, être tentés de prendre des libertés avec cette exigence.

C’est dans ces moments que doit s’affirmer le double rôle du commissaire aux comptes: Le gendarme inflexible  sur les principes et le conseiller  convaincant.

Inflexible sur les principes,  pour ne pas permettre  que  les tiers concernés, soient lésés  par une information contestable, et convaincant dans son explication de texte  en  faisant  comprendre : Que jouer avec l’information c’est s’exposer soi-même à l’effet boomerang d’un tel exercice.

Car, qu’on le veuille ou non,  les dirigeants de l’entreprise payent toujours "cash", leurs "arrangements" avec l’information financière.

Dés lors qu’ils  se livrent  à de telles pratiques, ils  donnent à d’autres,  au sein même de leur entreprise, un exemple dont ils pourraient  s’inspirer.

Les cadres apprennent vite les leçons de leur dirigeants et peuvent les appliquer à des fins identiques : Améliorer, ou lisser leurs propres résultats, ceux de leurs départements, pour leur seul bénéfice.

Il y va de la culture dominante au sein de l’entreprise,  dont les plus hauts dirigeants donnent le la.

Par ailleurs, dans un monde où l’opinion est devenue  un juge intraitable, ces pratiques, qui ne restent jamais longtemps ignorées,  peuvent exposer les entreprises  à un risque pénalisant  de réputation et d’image,

Ainsi donc le commissaire aux comptes peut réaliser d’une pierre deux coups: Etre un gendarme utile  et un conseiller convaincant.

Bien évidemment, il  n’est pas le seul à assumer cette mission au service  de la  fiabilité de l’information, il doit jouer collectif  dans son rôle de conseil, qu’il exprime dans sa lettre de direction, en aidant l’entreprise, par exemple,  à favoriser l’émergence, et la consolidation, de structures complémentaires : Le comité d’audit, le  département de gestion des risques, celui de la sécurité des systèmes d’information, en un mot de tout ce qui contribue à la pratique d’une bonne gouvernance.

La mise en oeuvre de structures organisationnelles performantes


Le commissaire aux comptes, en tant que tel,  n’est certes pas un organisateur des structures des sociétés, exercice complexe qui nécessite une ou plusieurs interventions spécifiques, d’experts spécialisés.

Il reste,  que dans l’exercice de sa mission,  il peut, dans le cadre de son examen obligatoire des procédures de contrôle interne en vigueur, localiser les zones de risques et de faiblesses, que ce soit dans les procédures de protection des actifs de la société,  celles de   transmission et d’application  des instructions de la direction, ou  enfin  celles  relatives à  la gestion des risques inhérents à des défauts de la sécurité des  systèmes d’information. Et être, conséquemment,  un élément déclencheur et incitatif,  dans la mise en œuvre des processus organisationnels, auquel sa connaissance  de tous les rouages de l’entreprise, confère une autorité et une influence utiles auprès de ses  organes dirigeants.

Pour cela, il faudrait que son comportement soit empreint d’une conscience, qui lui permet de transcender son  rôle implicite d’auxiliaire de la justice.

Il doit,  pour cela,  veiller à ce que  son action  ait pour but de prévenir l’entreprise contre elle-même et pour elle-même : Etre un partenaire qui prévient,  et qui œuvre pour que l’entreprise se mette à niveau,  et non celui qui vient, après coup,  établir le procès verbal des dommages.

Il est important de rappeler cette vérité simple, pour le commissaire aux comptes,:  Travailler, en partenaire   ce n’est pas faire preuve d’allégeance ou de soumission à l’entreprise, et ce n’est pas aliéner  son indépendance.

C’est simplement faire œuvre utile, pour l’entreprise elle-même et pour l’environnement économique, qui regarde, parfois, le commissaire aux comptes comme un mal nécessaire, et non comme le conseil,  certes indépendant, mais surtout utile, à l’amélioration de la performance de l’entreprise, dans la transparence et la bonne gouvernance.

Conclusion


L’avalanche, des dernières années, des textes régissant le droit des sociétés n’a pas épargné le commissaire aux comptes.

Sa mission dont l’objectif premier, est la certification des comptes, a été étendue significativement jusqu’à inclure des tâches nouvelles touchant,  notamment, à la divulgation dans ses rapports,  des infractions  et  des  rémunérations des dirigeants et mandataires sociaux,  généralement du ressort des organes dirigeants.

Mais cela ne change rien à l’essence de sa mission et de son statut de boussole exigeante et de conseil indépendant auprès des entreprises.

Dans les normes générales d’audit, qui sont le credo du commissaire aux comptes, il y a les trois expressions suivantes qui résument, me semble t-il,  tout ce qui vient d’être écrit: Science, conscience, indépendance.
 

                                                                                                                                     MOURAD GUELLATY