Fawzia Zouari : Le corps de ma mère
C’est un récit personnel mais de grande actualité dans le contexte tunisien actuel que publie Fawzia Zouari sous le titre de : Le corps de ma mère. Edité à Tunis par Déméter, il est également coédité à Paris par Joëlle Losfeld, Gallimard. «Fawzia Zouari, lit-on dans la présentation, raconte avec pudeur et authenticité la vie des femmes bédouines tunisiennes, la révolte de l’héroïne qui a dû parcourir un si long chemin pour se libérer, sans la renier, d’une tradition ancestrale à l’égard du rôle des femmes. La vivacité de l’écriture, la drôlerie de certaines situations, l’inspiration parfois lyrique font songer aux écrits de Taos Amrouche».
Présentation de Boualem Sansal
Fawzia Zouari nous livre un récit familial extraordinaire, shakespearien dans sa trame, son ampleur et son style, dont on ne sort pas indemne.
Le lecteur en est averti, le vertige le saisira, dès les premières pages il ne pourra échapper au désir, plein de risques, de tourner son regard sur lui-même et de s’interroger sur l’histoire de sa propre famille. Il lira le récit de Fawzia Zouari autant qu’il fouillera en lui, et de cette mise en parallèle va sourdre un irrépressible malaise. «On peut tout raconter, ma fille, la cuisine, la guerre, la politique, la fortune ; pas l’intimité d’une famille; c’est l’exposer deux fois au regard. Allah a recommandé de tendre un rideau sur tous les secrets, et le premier des secrets s’appelle la femme», ainsi Yamna, la mère, la matriarche, gardienne du temple et de ses secrets, parlait-elle à sa fille.
Le paradoxe est là, les familles tireraient leur cohésion des secrets qui les habitent et ce lien est d’autant plus mystérieusement fort, aliénant dirions-nous, que les secrets sont lourds, obscurs, compromettants, insolubles. C’est au fond le souci de préserver leurs secrets qui garantit la pérennité des grandes fratries, l’affection pour les siens est un plus, doux et rassurant, mais pas forcément nécessaire, pas forcément suffisant.
Le récit ouvre sur une scène infiniment théâtrale : dans un hôpital tunisois, la matriarche Yamna, plongée dans le coma, se meurt. Mourront avec elle sans doute les secrets qui ont construit et soutenu sa famille et sa tribu. Son histoire est troublante, son corps même, jusqu’à la couleur de ses cheveux, protégée par une incompréhensible pruderie, érigée en religion, est un secret bien gardé. Autour de son lit, tourne la famille, les filles et les frères d’abord, puis arrivent les oncles, les tantes, les cousins lointains et enfin toute la tribu. Tout ce monde relié par de vieux secrets plus ou moins sus, plus ou moins assumés, toujours bien gardés, se délite et se reconstruit à mesure que la matriarche entre dans la mort et de la sorte libère la famille du poids de ses mystères.
Alors que nous fermons le livre sur ses murmures et ses silences inviolés, s’élève en nous un air romantique à fendre le cœur :
Y a tant d’amour, tant de souvenirs,
Tout autour de toi, toi la mamma
Y a tant de larmes et de sourires,
À travers toi, toi la mamma,
Que jamais, jamais, jamais,
On ne t’oubliera.
B. S.