De la reine de beauté des Mouhajabet….à Simone de Beauvoir!
C’est le très sérieux al Ahram qui annonce dans son numéro du 13 avril 2016 en dernière page (p. 20) un évènement qui plonge le lecteur dans la perplexité.
On a élu au Caire la reine de beauté des mouhajabet (femmes voilées) de l’Egypte pour l’an de grâce 2016 ! La date de cet évènement n’est pas précisée.
Une époque formidable
Il s’agit d’une dame qui porte un nom prédestiné puisqu’elle s’appelle Sara Houria. Ce qui ne s’invente pas ! On a même la photographie de l’heureuse élue – qui rappelle plus, à notre humble avis, une momie de la 5ème Dynastie entourée de bandelettes qu’à une pin-up. Le journal tient à préciser qu’elle exerce le métier de dentiste. L’élection s’est déroulée à l’hôtel Movenpick à la Cité de l’Information et Houria l’a remportée haut la main, « après une compétition féroce » - al Ahram dixit- parmi 10 candidates finalistes. Le concours – qui a duré pas moins de trois mois- a mis en lice 500 jeunes filles provenant de tous les gouvernorats du pays. La reine est flanquée, comme il se doit dans tout concours de beauté qui se respecte, de deux dauphines.
La reine Houria a gagné une omra ainsi qu’une tournée dans le monde islamique pour « donner une image positive des mouhajabet et de la religion musulmane» conclut le quotidien cairote….qui nous laisse sur notre faim car on n’a aucune idée de l’âge des candidates comme on est dans le noir s’agissant des critères sur lesquels on a choisi, parmi les 500 candidates sur les rangs, une reine de beauté dont on n’aperçoit que le tour du visage. Pour ne rien dire du financement de cette affaire.
Assurément, nous vivons dans le monde islamique une époque formidable….si on fait abstraction de ce qui se passe au Sinaï, en Palestine, au Yémen, en Syrie, en Lybie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan…..
«On ne nait pas femme, on le devient»
Le 14 avril 1986, disparaissait une femme exceptionnelle, romancière, philosophe et essayiste. Simone de Beauvoir, une figure majeure du féminisme et l’émule de Jean-Paul Sartre. Son ouvrage « Le deuxième sexe »(1949) est un best-seller mondial. Il se termine par le mot « fraternité ». « Fraternité » entre les sexes et non revanche sur les hommes comme le prétendent les réactionnaires.
« On ne naît pas femme, on le devient » : cette affirmation capitale ne dénie pas aux filles leur biologie de femmes mais elle met en exergue « la difficulté spécifique des femmes que des siècles de société patriarcale et de mortalité précoce ont assujetties aux mythes masculins du féminin… » dit l’écrivaine Pascale Fautrier (L’Humanité, 14 avril 2016, p. 22) qui ajoute : « Beauvoir, dans la conclusion de son livre de 1949, conditionnait la réalisation effective de la fraternité entre les sexes à la construction d’une société nouvelle où l’égalité serait de fait et non seulement de droit……En première ligne du soutien aux militants de l’indépendance algérienne, elle aurait certes considéré que le voile renvoie les femmes à l’assujettissement patriarcal, mais, hostile à toutes les stigmatisations racistes, elle aurait attiré l’attention sur le fait que personne ne peut s’ériger en juge du rythme auquel un individu parcourt le long chemin qui conduit de la piété filiale envers les traditions à l’émancipation subjective ».
Lors de sa omra et de ses pérégrinations dans le monde islamique, il faut espérer que la reine de beauté égyptienne des mouhajabet trouve le temps de lire Fatima Marnissi, Nawal Saadaoui et Simone de Beauvoir pour réaliser ce que beauté veut dire pour ces femmes ! Mais les sponsors le permettront-ils ?
Mohamed Larbi Bouguerra