À la mémoire de: Abdelaziz Skik , un soldat au grand cœur
Le 30 avril 2002, disparaissait un des plus prestigieux officiers de l'armée nationale contemporaine, feu ABDELAZIZ SKIK, Général de brigade et Chef d'État -Major de l'armée de terre, suite à un accident d'hélicoptère dans la région de Mejaz- el- bab.
Ceux qui ont eu le privilège d'accompagner ce chef charismatique sont unanimes sur ses qualités humaines et professionnelles. Mêmes ses détracteurs les plus patentés lui reconnaissaient son extraordinaire maîtrise de son métier de meneur d'hommes. Son commandement s'articulait essentiellement autour de cette quête de l'excellence pour promouvoir l'armée à travers sa composante humaine en la nourrissant de ses paroles remplies d'amour et de verbes puisés dans une culture raffinée.Il était un homme au grand coeur, il ose aller vers les gens et tenter de leur communiquer un message d'amitié et d'espoir. Il était d'une modestie à faire brûler de honte ses paires comme ce général obscur, qui a, comble de la démesure et de la médiocrité, pris l'infâme décision de le dégommer de la mémoire collective de l'armée. Cet individu est aujourd'hui aux oubliettes alors que les étoiles de A.Skik éclairent encore et pour toujours les coins et les recoins des lieux de l'imaginaire et des espaces de la culture militaire tunisienne.
Abdelaziz Skik n'avait cure de ces reconnaissances ou de ces hommages pour morts que l'on célèbre ici et là dans le silence mortel des cimetières et dans l'indifférence totale. Mais le contexte morose actuel m'inspire le devoir de témoigner par ces quelques lignes, des moments professionnels que j'ai partagés avec un homme aussi représentatif de sa génération d'officiers que le général Skik. Un témoignage pour aussi périphérique et, forcément, incomplet qu'il puisse paraître, de prime abord, a l'avantage de prendre le recul nécessaire vis- à- vis du sujet.
Ma route a croisé et recroisé celle du grand défunt. L'une de nos dernières rencontres était au Cambodge, dans le cadre d'une mission Onusienne (UNTAC: United Nation Transitional Authority in Cambodia) où J'ai découvert en lui un Officier bourré de talents et doté d'un flair militaire qui lui faisait décoder les situations les plus extravagantes.
De mon court séjour auprès de lui au Cambodge, il m'a été donné de découvrir ces qualités .Je me limiterai à citer deux circonstances.
La première, c'était sur le chemin ( il n'y en avait pas de goudronnées ) entre la capitale Pnom penh et le lieu de son PC en pleine jungle cambodgienne.Une distance d'environ 150km qui longe par moment le cours du Mekong, l'un des plus grands et mythiques fleuves d'Asie . Cette région est truffée de check -points sous contrôle exclusif des bandes rebelles KR ( ndrl: khmers rouges ) du tristement célèbre " Pol Pot", un pur produit de l'occupation vietnamienne.
On a été auparavant longuement briefé sur les actes de terreur et de la cruauté sauvage qui endeuillaient ce pays et qui semblaient le renvoyer aux premiers âges de l'humanité. Lors de notre expédition, car c'en est une, nous avons subi des tourments que je n'oublierai jamais. A chaque check-point, des hommes armés jusqu'aux dents surgissaient de la jungle, excités et aveuglés par haine de l'étranger. Ils exigeaient de l'argent pour passer. A. Skik démontrait, chaque fois, une maîtrise de soi et une capacité de communication hors pair. Je ne sais pas comment il arrivait à sympathiser avec ces hommes résolument agressifs et hostiles à ceux qui ne sont pas conformes au mythe de l'homme cambodgien pur. Ses capacités de communication et de transmission ont été mises en évidence. Elles lui seront d'un grand recours pour la suite de la mission.
La deuxième, est inhérente à la spécificité de ce pays. La religiosité est partout présente, mysticisme sombre jusqu'à la superstition la plus noire, goût de la fête et des jeux d'eau, mais en même temps accès de folie et de cruauté féroce qui renvoient à l'ancestrale culture sauvage où les guerriers vainqueurs se nourrissaient du foie de leurs ennemis abattus.Dans ce contexte inextricablement confus, le général Skik, qui a saisi ces éléments, a eu la conviction que pour gagner la sympathie de ce peuple mystique et religieux, la rédemption ne pouvait être que mystique et religieuse. C'est donc dans cette direction qu'il fallait chercher. Aussitôt des contacts ont été effectués avec les bonzes bouddhistes, indifféremment de leur allégeance, soit du côté du Roi Sihanouk ou de celui de Pol Pot, pour la réhabilitation des monastères sérieusement endommagées par les combats. Ce qui a été fait par les hommes du bataillon tunisien et tout le monde a trouvé son compte. Chez les cambodgiens, les âmes se sont quelque peu apaisées; les Tunisiens ont eu la paix pour le reste de leur séjour dans ce pays.
A. Skik , un grand leader militaire? le connaissant, il aurait recusé ce qualificatif et aurait préféré celui de soldat engagé pour le bien de son pays et la gloire de son armée. De toute manière, il avait choisi, dès le début de sa carrière de baliser sa vie d'une astreinte qui a pour nom la discipline. À partir de là, il ne pourrait, en aucune façon, s'imaginer revêtir un autre costume que celui de l'uniforme militaire.Peut être que trop modeste - malgré ses apparences seigneuriales - mais c'était le trait qui caractérisait tant d'autres Officiers de sa génération.
En jetant un coup d'œil en ces moments où tout va à l'encan, on est bien obligé - qu'on ait été d'accord ou pas avec leurs convictions et leurs méthodes - d'admettre que ces chefs emblématiques nous manquent aujourd'hui, énormément et davantage, encore à un paysage qui s'étiole chaque jour, un peu plus, sous les coups de l'affairisme du reniement et du mensonge.
Le seul espoir qui nous reste est que ces anciens soient abondamment consultés par la relève afin que le levier de leur legs puisse servir à faire émerger une armée de rêve pour les Tunisiens et la Tunisie.
Je voudrais, avant de conclure, associer, à cet hommage particulier que nous rendons à un militaire exceptionnel, le souvenir de ses compagnons morts tous dans le même accident et à travers eux, dédier cet hommage à toutes celles et tous ceux qui ont mis leur vie en péril pour la Tunisie.
Mes pensées se tournent, bien entendu, vers son épouse et ses enfants (dont le capitaine Nabil), à qui j'adresse toutes mes amitiés et sympathies...Allah yarhmou.
Le Colonel ( r )M. Kasdallah