Taoufik Habaieb: Est-ce acceptable?
Dans un mois, la Tunisie replongera dans la léthargie du Ramadan et le farniente de l’été. Soumis au régime de la séance unique, le pays tout entier se mettra au ralenti. Comme si nous avions déjà rempli nos objectifs. Comme si les climatiseurs n’existaient pas. Tout est reporté, comme si rien n’était urgent, comme si nous ne voulions pas l’affronter sur-le-champ, impuissants devant l’enchevêtrement des intérêts.
Nous attendrons la reprise en douceur, trois mois plus tard, de la rentrée en septembre et nous nous réveillerons alors sur la lourde facture qui ne fait que s’aggraver : chômage, inflation, endettement, désinvestissement... Dans l’insouciance de chacun et de tous. Est-ce acceptable ?
Les médias du buzz s’acharnent à attiser les querelles sur de faux problèmes, relevant de convictions personnelles ou de comportements intimes. Dans cette œuvre pour détourner l’attention, ils imposent de fausses priorités du débat sociétal, économique et politique, urgemment indispensable. Est-ce acceptable ?
Le changement du chef du gouvernement, avec toutes les tractations, pressions et transactions d’usage, est du moins reporté, faisant gagner quelques mois de répit. La fièvre est heureusement tombée, mais reste à surveiller.
Le congrès d’Ennahdha, au cours de ce mois de mai, sera décisif. Rached Ghannouchi doit le réussir pour marquer une mutation substantielle de son mouvement islamique en un parti civil.
Nidaa Tounès doit, de son côté, se reconstruire, d’une manière ou d’une autre, et retrouver, ne serait-ce que partiellement, l’éclat que lui avait conféré son fondateur, Béji Caïd Essebsi. Aucune entrave, de quelle que part que ce soit, ne doit empêcher tout nouveau parti de se constituer. L’offre politique doit être la plus large, la plus variée et la plus attractive possible pour les Tunisiens. Les élections municipales, en mars prochain, constitueront un scrutin essentiel.
Reste cependant ce grand défi opposé à l’Etat, à ses institutions, à ses lois et à ses représentations. Les attaques personnelles contre le ministre de la Santé et le bras de fer mené à l’hôpital de Sfax sont inadmissibles. La fronde menée à Kerkennah contre la liberté du travail et d’approvisionnement de Petrofac (société tunisienne à 55%) et la violence exercée contre les forces de l’ordre sont inacceptables.
Ici et là, des postes de police et de garde nationale sont incendiés. Les mêmes, parfois, plus d’une fois. Trois fois, comme à El Hamma (Gabès) qui compte une population de 120 000 personnes ou à Souk El Ahad (Kébili), avec plus de 27 000 habitants. Les forces de sécurité intérieure se trouvent, depuis plusieurs mois, dans l’obligation de se retirer, en attendant que les tensions s’apaisent. Qu’attendent les sages de ces localités et la population entière pour garantir leur retour et s’engager à les respecter ? Est-ce acceptable ?
Le défi à l’Etat s’exerce partout. Pas seulement à l’intérieur du pays, à l’étranger aussi. Comme ces think-tanks qui de Washington, au titre du «soutien à la Tunisie et de la nécessité de le renforcer», ne se privent pas de formuler les «recommandations» les plus surprenantes. Ils appellent tout simplement le gouvernement à créer des commissions conjointes (G7 +) pour «établir des mécanismes de coordination, avec la participation de la société civile et du secteur privé, pour la mise en œuvre de l’assistance économique, dans la transparence et la responsabilité ».Un mandat extérieur à peine déguisé.
Mais encore, établir un mécanisme parallèle pour l’exécution accélérée des projets, avec des procédures d’exception, qui contournent la réglementation en place, avec de nouvelles procédures de coordination interministérielle, les appels d’offres d’achats... Une administration parallèle. Le tout sans la moindre contrepartie, ni le moindre engagement quant aux dons financiers ou crédits bonifiés qui seront consentis en faveur de la Tunisie. Est-ce acceptable ?
Une fois encore, les Tunisiens doivent se ressaisir. Ils ne sauraient laisser leur vigilance se relâcher, leur union se fissurer et leur ambition pour un mieux-être individuel et collectif s’évaporer. Ils doivent œuvrer pour ce qui est essentiel et dénoncer l’inacceptable.
Taoufik Habaieb