Marais mésopotamiens et sécheresse à l’Institut du Monde Arabe à Paris
Dans le cadre des «Jeudis de l’IMA», le bel écrin de l’auditorium Rafiq Hariri a été le théâtre, le 28 avril 2016, d’une manifestation patronnée par l’ONG «Nature Iraq» traitant de la sécheresse dans le Croissant Fertile et de l’état des marais mésopotamiens en Irak. Elle avait pour titre: «Pénurie d’eau et disparition des marais mésopotamiens: un enjeu au-delà des frontières irakiennes ».
Après une brève allocution de M. Maati Kabbal - représentant de M. Jack Lang, président de l’IMA - on a projeté un film documentaire « Eden à son crépuscule » réalisé par Bob Tollast et Scott Chasserot. Cette œuvre traite de la sécheresse dans les marais et de son terrible impact sur les hommes, leur mode de vie et sur leurs bêtes ainsi que sur la faune et les poissons qui constituent une source de revenus importants pour les communautés des marais. Le film a mis en évidence le caractère unique des marais, leur architecture si particulière à base de roseaux et la culture originale de ses habitants. Il montre, de façon on ne peut plus claire, comment ce milieu unique, ce biotope exceptionnel, est menacé d’extinction par les conflits, le manque d’eau, la dégradation de l’environnement due à la pollution ainsi que par les maladies frappant les hommes et leurs buffles d’eau du fait de la sécheresse persistante et de la qualité de l’eau. Un mode de vie ancestral est menacé de disparition.
Les marais mésopotamiens sont situés dans la grande région qui s'appelait autrefois la Mésopotamie ou "entre les fleuves", là où l’écriture, l’agriculture et l’irrigation ont permis aux humains d’avancer**. Les marais se trouvent principalement dans le sud de l'Irak et une partie du sud-ouest de l'Iran. Couvrant à l'origine une superficie de plus de 20 000 km², les marais de Mésopotamie ne couvrent plus actuellement qu'un peu plus de 10 000 km². Ces marais se trouvent sur une plaine alluviale formant un delta de faible altitude. Ce dernier procure un environnement qui permet au Tigre et à l'Euphrate de serpenter, formant de nombreux bras. 300 000 personnes habitent les marais. Avant l'invasion de l'Irak en 2003, environ 90 % des marais ont été drainés. Cet assèchement a provoqué une baisse sensible de la diversité biologique. A la chute de Saddam, les Arabes des marais ont abattu les digues et la vie a semblé reprendre, permettant aux gens de quitter les bidonvilles de Bassorah où ils s’étaient réfugiés. La sécheresse et les prélèvements d’eau effectués en amont, en Turquie, en Syrie et à Bagdad les ont de nouveau mis en péril.
A la fin de la projection, l’ambassadeur d’Irak en France, M. Farid Yassen, a introduit les débats , mettant en évidence les atteintes infligées à cet admirable milieu par l’ancien régime irakien dans le but d’assécher ces marais qui constituaient alors un refuge pour les chiites et les communistes.
Les débats ont été animés par Hélène Sallon, journaliste au Monde et spécialiste du Moyen-Orient.
Quant à M. Azzam Alwash, président fondateur de Nature Iraq et récipiendaire du Prix international pour l’environnement Goldman (en 2013, qui a beaucoup œuvré pour la restauration des marais mésopotamiens, il a insisté sur le danger que représente le barrage de Mossoul - « une arme de destruction massive » -pour l’Irak et a brillamment évoqué la question de l’eau et des marais à l’heure où Daech sévit. Facteur de déstabilisation et de migration au Moyen-Orient, l’eau est au cœur des conflits et des luttes socio-économiques. En Irak - qui dépend à 90% des eaux fluviales - elle devient une arme autant qu’un objectif militaire avec des conséquences sur la stabilité et la sécurité internationales.
Dans son intervention, le professeur Larbi Bouguerra a commencé par souligner l’excellent documentaire projeté puis a indiqué que, dans la région, il faut tenir compte, dans toute analyse, de l’existence des Etats hydro-hégémoniques et du lien (nexus) entre eau et énergie. Il a traité ensuite de la sécheresse dans la région et de son impact sur les révolutions des populations contre les dictatures tant en Syrie, en Irak qu’au Yémen. Cette sécheresse a une composante anthropogénique. Il a évoqué le réchauffement climatique qui accélérerait la fonte des neiges sur les hauts plateaux turcs, là où les grands fleuves prennent leur source. L’orateur a insisté sur la détérioration de la qualité des eaux du Tigre et de l’Euphrate du fait de la pollution par des engrais azotés, des pesticides et des produits chimiques. Sans nier l’importance des prélèvements effectués par les barrages turcs du GAP (Great Anatolia Project) et de Syrie, il a mis en exergue le régime hydraulique bien particulier des deux grands fleuves asiatiques faisant remarquer que, depuis 1955, Bagdad échappe aux crues du Tigre grâce aux travaux (barrages, levées, digues…) de protection réalisés. Pour l’orateur, la salinisation de l’eau est un défi majeur, l’atout étant l’amélioration du drainage et une utilisation avisée de la ressource. A cet égard, il a affirmé que le canal du Tharthar (500km) qui déverse l’eau salée des drainages dans la mer est une solution convenable. Pour ce qui est du partage des eaux, seules la volonté politique et la négociation permettront de résoudre les difficultés… comme l’a prouvé du reste un bref échange entre diplomates.
De son côté, Zaki Shubber, maître de conférences en droit et diplomatie de l’eau à l’UNESCO, a traité des questions juridiques soulevées par les eaux transfrontalières. Sarah Hassan, la dynamique chargée de coopération transfrontalière pour Nature Iraq, a clos les débats en mettant en relief les thématiques de l’association. S’en est suivi un fructueux échange avec la salle.
Larbi Bouguerra
**Rappelons que la Bibliothèque Nationale de France (BNF) a offert aux Parisiens, en 2015, une belle exposition : "Mésopotamie, carrefour des cultures. Grandes Heures des manuscrits irakiens".