Recensement général de la population et de l’habitat en Tunisie (2014) : une première lecture

L’INS (Institut national de la statistique) continue de publier, avec quelque retard et les interrogations qui vont avec, les résultats du RGPH 2014 (recensement général de la population et de l’habitat de 2014). A ce jour, aucun ne constitue une surprise ou s’écarte substantiellement des projections effectuées auparavant par l’INS lui-même ou par d’autres institutions. Parmi les indicateurs démographiques de base, certains sont à la baisse comme le taux d’accroissement de la population ou le taux de mortalité infantile, d’autres sont à la hausse comme l’espérance de vie à la naissance ou l’âge moyen et l’âge médian.

Principaux paramètres démographiques

Source : Institut National de la Statistique INS

Toutefois, certains indicateurs comme l’ISF ou le TBN ont connu au cours de la décennie écoulée des variations laissant croire qu’un retournement des tendances les concernant est possible à long terme. Il n’en est rien.

• La hausse de l’indice synthétique de fécondité entre 2004 et 2014 (de 2,16 à 2,46) résulte en partie d’un changement du calendrier de la nuptialité, mais elle résulte surtout de l’augmentation du nombre de mariages entre les deux dates (78 097 à 106 102) suite à l’entrée en lice des cohortes, nombreuses, nées trente ans auparavant. Cela a-t-il aussi un rapport avec ce qui se passe en Tunisie depuis le 14 janvier 2011? Rien à l’heure actuelle ne permet de l’affirmer avec certitude.

• La tendance à la hausse de l’ISF entre 2004 et 2014 pourrait d’ailleurs s’inverser dans les prochaines années. En effet, le nombre de naissances et de mariages a commencé à enregistrer un tassement annonçant un fléchissement au cours de la prochaine décennie. Les naissances au cours des quatre premiers mois de 2014 se sont élevées à 69 254 contre 69 268 pour les quatre premiers mois de 2014 ; les mariages au cours de la même période passant de 18 801 à 18 849.

Naissances, ISF et mariages 2004-2014

Source: INS

Ce scénario est crédibilisé par les projections démographiques effectuées par l’INS montrant que les effectifs des groupes d’âge les plus concernés par le mariage connaîtront des creux d’ici à 2044 et qu’un décalage des effectifs hommes-femmes en âge de se marier pourrait renforcer la tendance à la hausse de l’âge du premier mariage.   
• Le recul de l’âge du premier mariage n’est pas un phénomène propre à la Tunisie. Au Maroc, il s’est situé en 2010 à 31,4 ans pour les hommes contre 26,6 ans pour les femmes. En Algérie, il atteint 33 ans en 2008 pour les hommes et 29 ans pour les femmes. Au Liban, l’âge du premier mariage atteint 32 ans pour les hommes et 29 ans pour les femmes. En Arabie Saoudite, il est passé de 23,7 ans pour les hommes et 19,5 ans pour les femmes en 1992 à respectivement 27 ans et 24,1 ans en 2004. Au Qatar, il est passé à 25,2 ans pour les hommes et 21,4 ans pour les femmes en 1970 à 28,4 ans et 26,2 ans en 2004.   
• S’agissant du célibat, le phénomène semble toucher l’ensemble des pays arabes. En Algérie, quatre millions de jeunes femmes sont célibataires, au Maroc 3,6 millions; en Arabie Saoudite plus d’un million ; en Egypte, 15 millions de filles et de garçons ayant atteint la trentaine sont célibataires. Au Liban, le célibat atteint 54,2% pour les hommes contre 45,8% pour les femmes (rapport de l’Unicef 2009). En France même, les jeunes femmes d’origine maghrébine restent plus souvent et plus longtemps célibataires que les autres Françaises. C’est dire qu’il faut rechercher les causes du célibat prolongé  ailleurs que dans le seul motif économique. Il y a dans le développement du célibat des motifs divers et contradictoires d’un pays à un autre, d’une génération à une autre.  

Source: INS

• Le taux de célibat de la population tunisienne âgée de 15 ans et plus a baissé pour les deux sexes entre 2004 et 2014, passant de 42,2% à 36,9%, le pourcentage des mariés dans la même population passant entre-temps de 52,0% à 56,6%. Toutefois, l’examen de l’évolution de la proportion des célibataires par groupe d’âge montre que celle-ci n’a pas beaucoup évolué entre 2004 et 2014 pour les groupes d’âge 25-29 ans et 30-34 ans. Elle est passée en effet de 84,4% à 83,6% pour les hommes ; de 52,9% à 50,8% pour les femmes en ce qui concerne les 25-29 ans ; de 50,7% à 53,1% pour les hommes, de 28% à 28,9% pour les femmes en ce qui concerne les 30-34 ans.

L’intrusion de l’idéologique ou du cultuel dans ce qui appartient en propre à la démographie n’a pas beaucoup de sens. Quarante ans de gouvernement islamiste en Iran n’ont pas réussi à influencer le cours de la natalité et de la nuptialité dans ce pays. Au contraire, l’indice de fécondité dans ce pays est passé de 6,24 pour la période 1975-1980 à 1,77 lors de la période 2005-2010 à 1,6 entre 2008-2012. L’âge du premier mariage dépasse actuellement 30 ans à Téhéran.

Taux de célibat féminin par classe d’âge

S’agissant de l’évolution de la population tunisienne à long terme, ce que l’on peut dire est qu’à moins de fermer les écoles, les lycées et les facultés aux Tunisiennes et de leur interdire de travailler, et encore, rien ne pourra enrayer la tendance à la baisse de certains indicateurs démographiques de base comme  la fécondité et la natalité jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain palier. Il est de ce fait dérisoire de continuer à diviser la société tunisienne par des querelles stériles à l’heure où la Tunisie doit donner la priorité aux conséquences économiques, sociales et spatiales de certaines évolutions démographiques ayant le plus d’impact sur son devenir. C’est le cas, notamment, du vieillissement de la population et de sa concentration dans les régions côtières.

Habib Touhami