Pour l'institution de la médiation au sein de l'armée en tant que mode alternatif de traitement des doléances des militaires
Notre modeste intention est d'apporter cette contribution au débat interne qui vient de s'amorcer sur la mise en œuvre d'un système de médiation fiable et crédible au sein de l'institution militaire et qui viendrait offrir aux personnels d'autres voies que les syndicats pour faire valoir leurs doléances et préoccupations.Dans une première partie, allons essayer de comprendre la médiation en général, ses origines, ses développements et ses caractéristiques avant de voir dans quelle mesure, ces dispositions pourraient contribuer à une forme d'alternative pour le traitement des litiges au sein de l'armée.
Bref rappel historique de la médiation
La médiation comme mode de régulation sociale, existe depuis la nuit des temps, dans les différentes sociétés et à différentes époques. Il n'y a pas de société qui n'a pas inventé et développer ses propres mécanismes de règlement des conflits en dehors du formalisme rigide de la justice officielle .Chez nous , la meilleure forme de médiation est l'institution de L'Imam ou du Cheikh auquel on fait appel pour trancher dans un certain nombre de conflits et éviter ainsi aux parties la "honte " de porter leur litige devant le tribunal. Cette forme traditionnelle de médiation est encore présente dans les campagnes tunisiennes mais de moins en moins dans les centres urbains où elle a tendance de s'effriter en raison de divers facteurs.
Dans sa conception moderne, la plupart des pays disposent d'une législation nationale en matière de médiation votée par leurs parlements. En Tunisie, elle a fait une timide apparition au début de la présente décennie puis s'est éclipsée pour des raisons obscures.
Qu'est - ce que la médiation?
Il existe plusieurs définitions de la médiation. Pour éviter toute polémique ou autre débat académique, nous proposons, pour des raisons de convenance et de clarté, la définition ci -après adoptée par l'Union Européenne:
" Le terme médiation désigne toute procédure, dans laquelle deux ou plusieurs parties à un litige, sont assistées d'un tiers pour parvenir à un accord sur la résolution du litige"
Il ressort de cette définition très large trois critères fondamentaux:
- La médiation est avant tout un processus volontaire
- La médiation implique la présence d'un tiers, le MÉDIATEUR.
- La solution appartient aux parties. Le médiateur n'est que " l'homme du pouvoir qui n'a pas de pouvoir ". La décision finale d'accepter une solution revient aux parties.
Il existe plusieurs types de médiations. L'on peut citer à titre indicatif:
La médiation familiale (séparation, divorce, conflit parents - enfants, succession, indivision)
La médiation citoyenne (conflit de voisinage, copropriété, conflit locataire - propriétaire ...ect)
La médiation armée, qu'il ne faut pas confondre avec la médiation militaire, où un intervenant extérieur se positionnant en arbitre potentiel, indique aux parties qu'il pourra intervenir de manière contraignante, voire violente, si elles ne trouvent pas un accord.
Quid de la médiation militaire?
En abordant ce thème, il me revient à l'esprit Georges Clemenceau qui disait "Il suffit d'ajouter " militaire" à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi, la justice militaire n'est pas la justice, la musique militaire n'est pas la musique ". Cette citation est valable pour le cas de la médiation militaire.
L'ambiguïté du sens donné à la notion de médiation risque fort de ne pas mettre en relief les particularités de la spécificité militaire alors qui'il s'agit d'une institution créée spécialement pour faciliter aux militaires ayant des litiges au sein de l'armée de faire valoir leurs droits sans recours à la hiérarchie habituelle.
Dans certains pays occidentaux, le médiateur militaire est appelé OMBUDSMAN; un mot suédois créé en 1809 et qui signifie porte - parole des griefs ou homme des doléances.
La création de syndicats dans les armées n'est pas la solution
Depuis toujours, dans toutes les armées du monde ,l'état militaire se caractérise par une stricte dépendance à l'égard de la hiérarchie. En clair, la façon normale pour les militaires de se faire entendre est de s'en remettre à la haute hiérarchie, seule habilitée à transmettre aux décideurs politiques leurs aspirations et doléances individuelles et collectives.
Toutefois, la prolifération des syndicats professionnels dans les différents services paramilitaires et la maturation progressive du processus de démocratisation du pays impactent inévitablement le personnel militaire. Ceci a suscité un débat sur l'opportunité de redresser la barre à l'endroit des militaires et la nécessité d' inventer une forme d'alternative adaptée aux spécificités du métier des armes et en mesure de consolider les droits de cette catégorie de citoyens.
En fait, il existe d'autres moyens de défendre les droits des militaires que d'autoriser la création de syndicats.
Plusieurs pistes sont envisageables, notamment la création de "commissaire parlementaire aux armées " qui se chargerait de l'état des militaires ou de se rabattre sur le concept de médiation .La première piste aurait pour avantage l'autorité attachée à la légimité résultant des élections. En outre, un Parlementaire pourrait toujours déposer des propositions de loi. Cependant, déjà surchargé par de multiples tâches parlementaires, aurait- il le temps nécessaire pour accomplir une telle mission?
Reste la deuxième piste qui consiste à mettre en place un médiateur militaire, dans le sens donné au vocable Ombudsman cité plus haut. Celui - ci joue un rôle de facilitateur et / ou d'accompagnateur. Il ne s'agit nullement de se substituer au Commandement ou d'agir en décideur. Son rôle se limite exclusivement à écouter les plaignants, les aider à formuler clairement et abondamment leurs revendications, les aiguiller et établir une communication constructive avec les décideurs.
Le médiateur militaire n'a pas de profil particulier. Toutefois, n'est pas médiateur qui veut! En plus d'un certain niveau d'éducation et d'un comportement moral socialement acceptable, il doit être neutre et sans complaisance à l'égard des militaires.
Dans l'exercice de sa fonction le médiateur est tenu d'observer les trois principes directeurs de toute médiation, à savoir: la confidentialité, la neutralité et l'impartialité.
Le bureau du médiateur doit être facile d'accès, crédible et une source permanente d'informations, d'aiguillage, d'orientation et d'éducation du personnel des forces armées. Il est loin d'être une simple boîte postale des pétitions mais a le pouvoir d'enquêter et d'agir comme tierce partie neutre et sans parti-pris.
Enfin, l'introduction de l'instance de médiation militaire dans notre système est doublement bénéfique, le Ministre et ses états-majors sont constamment tenus éclairés des aspirations de leurs personnels, ces derniers ont toute la latitude d'exposer leurs doléances et de ne plus se sentir coupés du Commandement. Par ailleurs , cette Instance est démocratique non partisane, très peu coûteuse, flexible et originale. Elle répond non seulement aux attentes des militaires mais également à la bonne marche et la ferme cohésion de l'armée .Cependant il serait prétentieux de dire que la médiation est le moyen par lequel on peut régler tous les litiges. Il y a des problèmes qui ne peuvent et ne doivent être résolus qu'à travers la hiérarchie et par l'application strite des règlements en vigueur.
Mohamed Kasdallah