Ennadha est-elle vraiment devenue un parti civil?
Un congrès qui n’était pas sans rappeler les Conventions américaines, un brillant discours d'ouverture du président de la République, des invités étrangers venus des quatre points cardinaux, une salle pleine comme un œuf. Ennahdha voulait impressionner, c’est fait. Ce fut un coup de pub extraordinaire : pendant trois jours, les Tunisiens ont vécu à l’heure du Xe Congrès du mouvement Ennahdha comme si leur destin était lié à ses décisions. Le parti est redevenu un géant face à des lilliputiens comme au bon vieux temps de la troika. Un avantage qu’il va sans doute s’efforcer de pousser plus loin, en prévision des élections municipales et régionales, profitant du vide laissé par Nidaa Tounès.
Mais cette organisation aussi parfaite soit-elle, ne doit pas nous faire oublier les résultats du congrès et surtout cette décision présentée comme historique. Avec un art consommé de la propagande, Ennahdha présentera la séparation entre le politique et la prédication comme une décision majeure, une mesure hautement symbolique. Ennahdha,nous disait-on, coupait le cordon ombilical avec le mouvement des Frères musulmans. Il tournait le dos à l’islam politique. Il se normalisait, se tunisifiait, devenait un parti civil, sans devenir pour autant un parti laïc puisqu'il maintenait ses référents religieux à l’image de la Démocratie-chrétienne. On veut nous convaincre que ce ne fut pas facile «Ce n'est pas une décision tombée du ciel mais le couronnement d'un processus historique du mouvement depuis 40 ans». Les ultras du parti sont mis au rancart. D'autres cadres font leur apparition, Oussama Seghaier, Ziad Laadhari, Imad Hammami. Mais, au détour d'une phrase, on apprend qu'il « ne s'agit pas d'une séparation proprement dite, mais d'une spécialisation, d'une différenciation», puisqu'il n'est plus possible de tout faire». On est pris d'un doute. Ces arguties ne nous disent rien de bon. Et puis à qui s'adressera cette prédication. La Tunisie est-elle considérée comme une Terre de mission ? Jusqu'à plus ample informé, ils sont dans leur écrasante majorité des musulmans. Qui la fera ? Sous le contrôle de qui ? Comment peut-on avoir confiance dans ces milliers d'associations dont on ignore tout : leurs activités occultes, leur financement, leur obédience. Enfin, pourquoi cette obstination de Rached Ghannouchi à garder le titre de cheikh. A notre connaissance, les leaders de la démocratie-chrétienne euopéenne dont Ennahdha se veut le pendant tunisien n'étaient pas des hommes d'église (Robert Schuman, Aldo Moro).
Ennahdha a fait beaucoup d'efforts pour se fondre dans le moule tunisien. Elle a reconnu le Code du statut personnel, salué les mérites de Bourguiba après l'avoir diabolisé, prôné la réconciliation nationale et tout récemment séparé le politique et la prédication. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas aller jusqu'au bout se sa logique.
Mustapha