La classe ouvrière distinguée à Cannes…. Grâce à un chef d’œuvre de Ken Loach!
Qui a dit que le chiffre 13 est maudit?
Pour le grand cinéaste Ken Loach, cette 13ème participation au Festival de Cannes lui permet d’accéder au club très fermé des réalisateurs doublement palmés. Cannes sacre ainsi l’un des plus grands maîtres du 7ème art contemporains.
Voilà dix ans que le magnifique «Le vent se lève» a été distingué sur la Croisette. C’est au tour de son excellent film «Moi, Daniel Blake» d’être couronné et de remporter une nouvelle Palme. Et de deux pour Ken Loach, l’enfant du peuple- son père était un ouvrier-électricien d’usine. Il demeure le défenseur des causes justes comme celle de la défense du peuple palestinien et un critique résolu de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. A près de 80ans, le maître demeure le défenseur des oubliés, des éclopés de la vie, victimes de la politique ultra-libérale, antisyndicale et anti-jeunes de Margaret Thatcher et consorts comme de celle de David Cameron, supporter du sioniste Netanyahou.
A l’heure où en France syndicats et société civile s’insurgent contre la loi El Khomri qui ferait la part belle, selon eux, aux intérêts des patrons, cette Palme qui échoit à Ken Loach vient au moment opportun. Il en est d’ailleurs très étonné – le Festival étant effrontément élitiste-puisqu’il dit: «Il est très surprenant de recevoir cette récompense au Festival de Cannes qui est pourtant plein de paillettes et de chic étant donné les conditions dans lesquelles vivent les personnages ayant inspiré ce film» ajoutant : «Quand le désespoir est là, les gens d’extrême droite exultent. Nous devons dire qu’un autre monde est possible et nécessaire» The Guardian (22 mai 2016) salue un pur chef-d’œuvre – «un message noble»- qui choque pourtant la fierté des Britanniques.
Ainsi, l’Anglais a ravi la Palme à Sean Penn qui présentait «The Last Face», son cinquième film. Cette œuvre raconte l’histoire du docteur Miguel Leon, un médecin humanitaire et de sa consœur Wren Peterson qui tombent amoureux lors d’une mission au Libéria. Cette décoction inattendue entre humanitaire et sentiment n’a guère emporté l’adhésion de la critique. Un prologue évoque les guerres du Libéria et du Soudan Sud pour dire que «la brutalité de ces conflits» est «comparable seulement pour l’Occident à celle d’un amour impossible». Une phrase qui a suscité un malaise et des rires lors de la projection de presse écrivent les agences. On passe ainsi à la trappe les politiques néo-colonialistes et le pillage des richesses des PVD par les multinationales!
Un cardiaque aux prises avec les services sociaux de sa Majesté
«Moi, Daniel Blake» est un film magistral. Dépouillé. Rempli d’une dense et sourde colère. Daniel Blake est un héros de notre temps. Sublime. A près de 60 ans, ce menuisier vit dans un immeuble modeste d’un quartier de Newcastle, un quartier de laissés pour compte, des victimes des politiques libérales inhumaines de Margaret Thatcher et de David Cameron. Ce quartier et ses habitants ne comptent pas. Oubliés. Rues jonchées de canettes, de reliefs de sandwichs «fish and chips» bon marché et d’ordures. Un chien à trois pattes se traîne dans ce capharnaüm. Les bêtes, dans ce quartier sinistré, sont comme les humains: éclopées. Tel semble être le message du cinéaste.
Dans ce décor où la fatalité sociale rejoint l’exclusion, Daniel Blake est contraint de faire appel à l’aide sociale car le cardiologue lui a interdit de travailler.
Mais, pour l’administration sociale, il n’est pas assez malade!
Sa potion à elle est qu’il doit chercher un emploi sinon…gare aux sanctions. Drame kafkaïen qui rappelle cette époque victorienne pas si lointaine et si bien décrite par Charles Dickens et dont les films de Chaplin sont un écho. Epoque qui a aussi inspiré Karl Marx, faut-il le rappeler. En un mot comme en sens, à cette époque, la pauvreté est considérée un vice. Elle doit être combattue par les pasteurs, les évangélistes, les dames des bonnes œuvres et bien entendu par la discipline. Et voilà Daniel balloté de job center en job center. Il finira par rencontrer Kattie, une mère célibataire en charge de deux enfants. Elle arrive de Londres où les services municipaux n’ont pu lui trouver de logement. Elle est fatiguée et affamée. La scène la plus émouvante est celle où l’on voit cette femme «volontaire bénévole» dans une banque alimentaire. Laissée seule, elle rafle des biscuits et des jus pour ses bambins puis soulève le couvercle d’une boîte d’haricots et se met à la manger, goulument, en pleurant. Ken Loach assure que ce sont des faits réels qui lui ont dicté cette scène qui ne peut laisser personne indifférent. La scène remplit de colère et de tristesse. Ici, Ken Loach se révèle génie universel.
Le film, en fait, démarre en montrant Daniel au téléphone parlant à une fonctionnaire des services sociaux. Le cardiologue lui a interdit de travailler- on l’a dit- et il veut bénéficier de l’allocation de chômage. Mais, à l’autre bout du fil, l’employée a un questionnaire à remplir. Elle pose des questions sur ses bras, ses jambes, son postérieur… mais rien sur son cœur- le problème de notre homme-et sur lequel il essaie en vain de placer quelques mots. Daniel a été, sa vie durant, un manuel. Ilne connaît rien à la culture digitale et, à la bibliothèque publique, il met la souris sur l’écran pour remplir des formulaires informatisés des services sociaux! Comme sa demande d’allocation d’invalidité est refusée et que celle de son chômage est suspendue, il se voit contraint de vendre ses meubles. Ayant mis à nu l’appartement de notre héros, l’acheteur remarque un mobile en bois représentant un banc de poisson admirablement sculpté par ce dernier: «Combien en voulez-vous, l’ami?»
Le film est, on le voit, sans concessions et appuie là où cela fait mal.
L’union fait la force. Kattie et Daniel vont se battre afin de faire reconnaître leurs droits dans cette société égoïste, nombriliste et où l’argent est roi.
C’est une charge en règle contre l’ultralibéralisme que livre Ken Loach. Oui, la classe ouvrière existe dit le cinéaste à ceux qui veulent l’enterrer. Il appelle tout un chacun à prendre sa part de responsabilité face à l’injustice, au déni des droits et à la préservation de la dignité des gens. Il nous appelle à agir pour guérir la société de ces maux injustifiables.
A 80 ans (la semaine prochaine), il se bat pour les démunis, les laissés pour compte et semble dire, comme parodiant Jean-Paul Sartre, «l’ultralibéralisme n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité».
Espérons que les Tunisiens puissent le voir bientôt!
Mohamed Larbi Bouguerra