Développement de l’Industrie tunisienne: Une réforme pour finir avec l’immobilisme
L’action proactive est le maître mot du développement Industriel d’un pays
Avez-vous entendu parler de l’Economic Development Board de Singapour ?. Cette agence gouvernementale dont la mission principale est la planification et l'exécution de stratégies visant à améliorer la position de Singapour en tant que centre mondial des affaires.
« Nous rêvons, imaginons, concevons et fournissons des solutions qui créent de la valeur pour les investisseurs et les entreprises à Singapour. Notre mission est de créer pour Singapour une croissance économique durable et accompagner la dynamisation des affaires pour créer la valeur ajoutée et les emplois». Créé dès 2005, l’EDB est rattaché directement au Premier Ministre, l’EDB œuvre pour attirer les investissements dans ce petit pays. Il dispose de moyens et de compétence et de liberté d’action lui permettant d’agir dans le cadre d’une stratégie établie et convenue. C’est ainsi que l’EDB a attiré entre 2005 et 2014 des Investissements étrangers qui représentent une TBE (Total Business Expenditure) de 65,6 Milliards de $.
Rien que pour 2014, l’EDB a su attirer l’équivalent de 11,8 Milliards de $ de FAI (Fixed Assets Investment) et une TBE (Total Business Expenditure) de 7 milliards $ qui générent pour le pays une Valeur Ajoutée évaluée à 12,5 milliards de $ ainsi que 16 113 emplois qualifiés.
J’ai personnellement eu affaire avec l’EDB dans le cadre de mon travail et j’ai pu voir de mes yeux, sa façon de faire pour attirer les grands groupes, les services qu’il rend aux entreprises et les facilités qu’il octroie aux sociétés pour venir s’installer dans le pays. J’ai vu le patriotisme qui anime cette équipe, ses compétences et la liberté d’action et de décision dont elle dispose dans le cadre d’une stratégie industrielle gouvernementale établie stable et partagée au sein du pays et de ses services gouvernementaux.
L’EDB n’est qu’un exemple parmi d’autre, dans ce monde. D’autres exemples pas très loin de chez nous existent. On pourrait évoquer l’exemple du Maroc et l’organisation mise en place pour attirer avec succès le constructeur Renault pour installer une usine de montage de véhicules sur le sol marocain. On peut parler de cette équipe multidisciplinaire et interministérielle montée pour gérer cette opération à la manière de l’EDB de Singapour avec le succès que l’on connait. On pourrait lister les implications positives de cet investissement étranger sur le bassin d’emploi dans la région de Tanger puisque 10 fournisseurs étrangers de cette usine de montage se sont trouvés dans l’obligation, à la demande ferme de la part de leur donneur d’ordre (Renault), de venir ouvrir leurs propres usines de fabrication des pièces à coté. On peut aussi constater que le total des emplois directs et indirects générés rien qu’avec ce projet va atteindre les 50 000 postes dès l’année prochaine.
Ce succès marocain n’est pas là par hasard ou par chance, il est le fruit d’une réelle stratégie industrielle qui comporte plusieurs axes de travail pilotés à très haut niveau gouvernemental et suivi par le Roi personnellement. Cette stratégie de développement a été pensée et définie d’une façon détaillée avec une coordination gouvernementale de haut niveau et mobilisant les forces et les ressources internes, les lobbys internationaux ainsi que la diaspora à l’étranger.
Parmi les axes de la stratégie du Maroc dans le domaine on peut noter : Le renforcement de l’infrastructure de base, le développement humain pour l’adapter aux besoins des entreprises, la mise à niveau des entreprises locales pour leur permettre d’être fournisseurs de qualité pour les grands groupes qui investissent au Maroc, le développement des réseaux de télécommunication, l’ouverture économique et le libre échange avec les pays origines des investissements, le développement des zone franches, la création sur le modèle de l’EDB de Singapour d’une Agence de Promotion des Investissement dynamique et avec des moyens importants.
Un dernier exemple qui mérite d’être cité est celui de la République de Tchéquie qui elle a opté pour une stratégie carrément agressive pour attirer les industries sur son territoire. Sa stratégie ne consiste pas à attendre les opportunités pour s’en occuper. Chaque ministère (Finance, Industrie, Education, Agricultures, Mines, ….) dispose en son sein d’une cellule qui fonctionne comme un bureau d’étude à lui tout seul qui œuvre exclusivement à attirer les IDE. Une coordination générale étant assurée par le ministre de l’Industrie & Commerce en personne.
Le rôle de ces cellules ministérielles est d’imaginer pour chaque grand groupe ciblé du secteur, et d’une façon proactive, des scenarios d’implantation en Tchéquie. Ces scénarios sont établis et chiffrés en utilisant les informations disponibles sur la stratégie du groupe ciblé. C’est une fois les scénarios élaborés, définis et chiffrés aves les avantages et aides à l’installation alléchants, qu’au plus haut niveau ministériel on déclenche l’opération de séduction, d’échange et de conviction des dirigeants du groupe ciblé pour infléchir sa propre stratégie de développement et l’amener à venir s’installer en Tchéquie. C’est ainsi que cette république, fraichement autonome, dispose d’un stock IDE de 70 milliard d’Euros avec un accroissement annuel à deux chiffres.
Un des résultats de cette politique agressive et réfléchie est de voir qu’en 2015 cette petite république est devenue une championne dans l’exportation automobile avec PSA, Toyota, Hyundai, Volkswagen entre autres avec plus de 1,45 millions de voitures produites et exportées. En Tchéquie on trouve également installés Google, de grands laboratoires pharmaceutiques (Pfizer, Roche, Astra Zeneca, …), FreeScale le géant de l’électronique y dispose d’une grande unité de production ainsi que des dizaines d’autres grands groupes industriels du monde.
Quid de la Tunisie?: Nous baignons dans l’inaction ou du moins dans l’action inefficace sans résultat
Qu’avons-nous fait pour industrialiser le pays ?
Les chiffres officiels démontrent la timidité des résultats obtenus sur les 5 dernières années puisque le dernier rapport de conjoncture publié indique que les investissements totaux dans l’industrie ne totalisent sur l’année 2015, que 2 701 MD avec aucun projet d’envergure notoire. La moitié environ correspond à des Investissements Directs Etrangers (IDE) soit de participation ou d’investissement.
Mais au-delà des chiffres eux-mêmes, il est important de lister les freins conjoncturels et systématiques qui empêchent l’essor de l’industrie tunisienne. C’est en agissant sur ces éléments que nous pourrons mettre en place les conditions d’un réel développement durable créateur de valeur et d’emplois.
Au-delà des aspects de sécurité, d’éradication du terrorisme et de stabilité sociale et politique nécessaires pour tout développement, il existe un certain nombre de catalyseurs spécifiques pour doper le développement industriel du pays qu’il convient d’actionner.
1- La première est de lutter efficacement contre l’économie parallèle
L’économie parallèle est un réel fléau qui ronge notre économie et notre industrie. Elle prive l’état de recettes fiscales importantes, elle brouille le marché de nos industriels, elle présente dans certains cas des risques majeurs sur la santé et la sécurité des citoyens. Elle fonctionne de pair avec le terrorisme et ses circuits sont utilisés pour acheminer les armes et les munitions contre la protection des contrebandiers.
La lutte contre ce fléau passe par une réelle volonté politique et une détermination sans faille des autorités.
Plusieurs actions sont envisageables dans ce domaine sensible. En plus de la répression au titre de la loi, on pourrait par exemple décider de changer la monnaie. De nouveaux billets doivent êtres lancés. Avec un délai de retrait des anciens billets, cette mesure obligerait de remettre dans le circuit économique légal les sommes colossales en circulation car on obligerait les détenteurs de les verser sur un des comptes bancaires déclarées moyennant une imposition forfaitaire de l’ordre de 10% et la légalisation de leur affaires dans le respect des normes et des lois du commerce en vigueur. Passée ce délai des mesures répressives en application de la législation pourrait être déclenchées sans ménagement. L’état disposerait ainsi d’une entrée d’argent à utiliser pour permettre le développement de l’industrie nationale et de l’économie.
Plusieurs pays en Amérique latine ont testé avec réussite ce type d’opération.
2- Doter le pays d’une réelle stratégie industrielle et s’y tenir
L’analyse du contexte et du potentiel de la Tunisie, laisse penser que le contour de la stratégie industrielle de la Tunisie doit s’appuyer sur les piliers suivants:
- L’état doit focaliser ses propres moyens (c'est-à-dire l’argent de l’état) sur les industries locomotives, c'est-à-dire celles qui, par construction, attireront et développeront sur le territoire leurs propres fournisseurs de rangs inférieurs (à l’instar des constructeurs automobiles, l’électronique, les industries d’assemblage d’avions, des machines outils, la construction navale …)
- Focaliser et cibler les aides particulières de l’état sur un nombre limité d’entreprises, celles qui ont une réelle chance de devenir leaders sur leurs marchés et éviter le saupoudrage des aides sans efficacité et sans retour.
- Favoriser les industries à forte valeur ajoutée produite sur place afin de générer des emplois qualifiés et maximiser les revenus et l’utilisation du potentiel existant.
- Favoriser les industries à forte intensité capitalistique afin de les fixer sur le territoire et éviter ainsi les entreprises qui s’installeraient juste pour profiter des programmes d’aide gouvernementale et iraient se délocaliser facilement à la fin des aides.
- S’appuyer sur le Partenariat Public Privé car il est un des moyens de sécurisation des investisseurs tout en gardant une minorité de blocage en cas de retournement de la situation. Ceci est également un moyen pour l’état de rentabiliser ses propres participations et les utiliser en cas de coups durs.
3- Réformer le ministère de l’industrie et ses services pour les tourner vers l’action proactive et alléger la bureaucratie ambiante
Le ministère doit être plus tourné vers l’action et le résultat, son rôle doit être conçu pour faciliter les investissements et non pour les freiner avec une bureaucratie lourde et fastidieuse.
Une équipe réduite mesurée sur sa performance avec des objectifs ambitieux et connus. Une structure du type l’EDB de Singapour doit être mise en place en fusionnant et allégeant les différentes agences et structures actuelles et en les renforçant avec les compétences tunisiennes.
Cette équipe doit entreprendre les actions nécessaires dans le cadre de la stratégie industrielle du pays. Elle jouera également le rôle de coordinateur entre les différents ministères dans le cadre de la stratégie adoptée et pour accélérer les prises de décisions et influencer les programmes d’infrastructure et d’aménagements nécessaires.
La part de proactif dans le travail de ce service public doit être plus importante et plus agressive auprès des grands groupes nationaux et internationaux pour augmenter les investissements et attirer les IDE en particulier
Le politique doit comprendre que rien ne viendra seul, qu’il est temps d’agir, de travailler et de mettre l’intérêt du pays au premier plan
La situation a atteint un niveau de gravité dans l’immobilisme tel que nous nous devons d’agir sans attendre. La mobilisation des forces vers un objectif commun, rassembleur doit être une de nos priorités du moment. Il est grand temps de passer à l’action, de combiner le travail et l’efficacité mesurable avec le sacrifice tout en gardant une place à l’ambition et au rêve. Le rêve pour les jeunes qui attendent un emploi, ce rêve qui motive et qui crée ce déséquilibre avant nécessaire pour amorcer la dynamique et permettre l’impulsion.
Hichem Jouaber
Vice-Président du Groupe GlaxoSmithKline
En Charge de l’industrie
Londres
Autres publications de Hichem Jouaber sur notre site:
http://www.leaders.com.tn/article/8937-economie-pour-comprendre-ce-qui-nous-attend-si-rien-ne-change