Droit de vote des militaires et des sécuritaires: de grâce, laissez notre armée tranquille
En cette période de canicule et de jeûne, l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) s’active à adopter des articles du projet de loi amendant et complétant la loi relative aux élections et référendums. Mais elle peine à examiner ce projet de loi en plénière si bien qu’il est différé à maintes reprises en raison d’un litige contenu dans le texte qui porte sur le droit de vote des militaires et des sécuritaires. Seulement, est-il plus sage de poser les questions suivantes avant de résoudre ce litige : Qui a sollicité l’intégration de ce sujet dans le texte de loi ? Quel est son intérêt pour le pays? Quelle est son utilité et son poids dans la balance électorale ? Les réponses pourraient élucider les répercussions néfastes de ce texte de loi sur l’avenir de la nation.
L’article 34 de la constitution tunisienne stipule que le droit de vote est garanti à tout citoyen tunisien conformément à ce qui est prévu par la loi. Mais, dans l’intérêt du pays, ce droit pourrait pour le moment ne pas s’appliquer aux militaires et aux sécuritaires. Aujourd’hui, il n’est pas urgent d’inclure cette catégorie de citoyens tunisiens dans le texte de loi en raison des répercussions négatives qu’il pourrait causer à ces institutions et de surcroît à la nation.
Une jeune démocratie qui fait encore ses premiers pas n’est pas tenue d’appliquer à la lettre tous les enseignements de la démocratie. Que dire de certaines lois qui pourraient mettre en péril toute la nation. En quoi, le droit de vote aux militaires et aux sécuritaires peut-il influencer le climat des libertés, booster l’économie et résorber le chômage ? Les militaires et les sécuritaires ont-ils sollicité ce droit inutile sur le plan électoral et dangereux pour leurs institutions et pour la nation au cours de la période actuelle.
Prenons l’exemple de l’armée nationale qui compte 30.000 militaires, elle ne pourra présenter que 26400 électeurs dans les meilleurs des cas (et aussi pour faciliter l’opération arithmétique). Sur 264 délégations (et supposons le même nombre de communes) il y aura seulement 100 électeurs militaires dans chaque commune. Et si on s’amuse à répartir ces électeurs sur le nombre de listes électorales (50 au minimum) et si on ajoute le taux de pondération 0.4 relatif à la participation le jour du vote, on pourrait conclure que le poids des militaires tunisiens dans la balance électorale des communes en 2017 sera quasi-nul. Le même raisonnement s’applique aux forces de sécurité et le résultat est très proche.
Mais le poids du vote pour ces deux catégories de citoyens n’est pas la source d’intérêt pour la vie de la démocratie nous dira-t-on. Le droit de vote présente pour une démocratie moderne un droit civique fondamental et permet aux citoyens d’exprimer leur volonté à l’occasion d’un scrutin et de faire un choix. Comment permettre à des militaires et des sécuritaires de faire leurs choix politiques. Doit-on les encourager à s’affilier à des partis politiques, à participer aux réunions des partis pour bien comprendre leurs projets et savoir choisir ? Imaginons un officier supérieur de l’armée invité à une réunion d’un parti religieux extrémiste, à un congrès d’un RCD ressuscité ou de participer à une porte ouverte d’un Ansar Chariaa new look. Qui pourra lui interdire de militer au sein de ces partis? Ceci pourrait être jugé de raisonnement absurde ou caricatural, mais à mon avis il n’est pas loin de la réalité.
Imaginez le climat qui pourrait régner dans une caserne de l’armée durant la période électorale. Le corps, jadis soudé par sa loyauté envers l’institution et le drapeau tunisien, verra naitre les éléments de discorde créé par l’influence des partis politiques. On assistera sans doute à une mutinerie. Que restera-t-il de ce corps et d’autres unités si l’esprit de corps et l’indiscipline n’y sont plus.
Notre armée est apolitique. Elle détient sa force de sa loyauté vers la nation. Le moment n’est pas encore venu d'offrir droit inutile à nos militaires et non sans dangers pour leur institution et leur chère patrie. Pousser les militaires en ce moment à voter c’est les attirer vers un guet-apens capable de désintégrer totalement l’institution. Il est plus urgent de concevoir la loi organique portant sur l’organisation de l’armée et l’adopter conformément à l’article 65 de la constitution. Il est plus urgent de concevoir la politique de défense (livre blanc) et réformer l’armée et le secteur sécuritaire que de perdre du temps sur un sujet qui n’est sollicité par aucun militaire ni sécuritaire. De grâce laissez notre armée tranquille!
Mohamed Nafti