Témoignage du Professeur Abdelweheb BOUHDIBA
Le professeur Hassouna Ben Ayed nous a quittés laissant derrière lui un immense héritage scientifique et moral. Ses nombreux confrères et disciples parleront mieux que moi de son apport positif à l’édification d’une médecine tunisienne de pointe, au fait des avancées gigantesques réalisées dans le monde par l’investigation comme jamais vu auparavant, par la mise en oeuvre de nos
connaissances scientifiques de toute nature, et la pratique efficace sans lesquelles la médecine faillirait à sa mission. Hassouna Ben Ayed y avait pris largement sa part. La médecine interne, l’endocrinologie, la néphrologie lui doivent d’être dans notre pays ce qu’elles sont. Ses nombreuses contributions savantes – et sur le terrain – ses conférences, rapports et communication qui se comptent par dizaines sont l’aboutis – sèment d’une recherche intense et d’une compétence rare. Elles sont là pour attester de la valeur de son apport à la médecine tunisienne et au savoir universel.
Mais il ne fut pas que chercheur de laboratoire, il fut aussi un praticien lucide et sûr dans ses analyses et un homme affable et courtois dans ses relations avec ses collaborateurs et avec ses patients. Il fut aussi un gestionnaire rigoureux et un organisateur attentif de l’institution médicale. Par le biais de l’hôpital dont il a très vite compris le rôle irremplaçable et l’impérieuse nécessité de le rénover, par le biais aussi de la Faculté qu’il a fallu créer de toute pièces (dans tous les sens du mot), il a oeuvré de manière courageuse mais patiente et discrète à l’émergence d’une « médecine engagée».
Je parlerai surtout de l’homme que j’ai souvent eu l’occasion de côtoyer soit dans les instances inter-universitaires au cours des années soixante et soixante-dix du siècle dernier, soit dans les nombreuses réunions de travail au sein des rencontres de toutes sortes où nous débattions de l’avenir du pays. Nous trouvions ainsi engagés dans d’autres combats pour rénover notre pays en
oeuvrant pour une société responsable de son destin, pour le développement humain et pour les libertés publiques.
Les moments que j’ai passé avec lui ont tout été des moments de bonheur.
Je retins surtout sa discrétion totale qui le faisait parler sur le ton de la confidence, et la profondeur de ses vues. J’évoquai un jour devant lui la définition que donnait le professeur le Riche de la santé «comme silence des organes» il m’a repris calmement mais fermement pour me dire qu’un organe silencieux ne peut être qu’un organe mort et que la santé réside dans le maitien de son activité. Un organe sain est un organe en éveil et la médecine doit « veiller à son éveil, ou à défaut à son réveil ». Il insistait sur le fonctionnement ajusté des organes dont l’harmonie au sein d’un organisme donne la mesure du bien être. Il résumait ainsi d’une phrase la riche expérience du néphrologue aux prises avec la «panne» nécessitant le recours à des techniques de substitution comme le rein artificiel, l’hémodialyse ou la greffe.
J’ai été frappé par la vision humaine et globale qu’il avait de la santé et du corps que je partage avec lui. Ses collègues confirmeront s’il en était besoin, que sa curiosité d’esprit était mise judicieusement au service des recherches qu’il menait pour mieux traiter les maladies du rein non l’inverse. Un organe ne pouvant être isolé de l’ensemble de l’organisme il était très souvent amené à chercher l’origine des affections loin de ce que l’on aurait pu penser de prime abord. La véritable investigation est une approche globale : clinique avec un malade qui souffre, examen minutieux d’un organe où se localise le mal, et un savoir à la page sans cesse renouvelé et qu’il s’agit de mettre en oeuvre.
L’humanisme n’était pas pour lui un vain mot, mais le « confort » de tous les instants. Il donnait ainsi au jour le jour un sens à sa vie et à la vie. Il a voulu que la médecine étant mise une fois pour toutes au service de la vie, il fallait qui la vie fût à son tour mise au service de la médecine.
A tous ses élèves qui devinrent au fil des ans ses disciples, ses confrères et ses héritiers je n’aurais pas l’outrecuidance de dire autre chose que ceci. Nous avons côtoyé un grand homme, comme tous ses amis nous l’avons admiré et aimé. Continuons à oeuvrer, la main dans la main, pour porter plus loin encore la concrétisation des idéaux pour les quels si Hassouna a si bien travaillé.