Témoignage du Professeur Adel KHEDER
Le Professeur Hassouna Ben Ayed est parti.
Un des fondateurs, un des piliers, un des génies de la médecine tunisienne nousa quitté.
Nous sommes réunis ce jour pour lui rendre hommage, et ayant l’insigne honneur et la lourde tâche de lui succéder, après le Pr.
Hédi Ben Maiz, à la tête du service de Médecine Interne A de l’hôpital Charles Nicolle, j’aimerai apporter le témoignage d’un de ses élèves qui a eu le privilège de le côtoyer au quotidien dans l’exercice de la médecine.
En effet j’ai eu la chance de bénéficier de son enseignement, aussi bien à la faculté que dans son service pendant deux décennies, et je peux dire qu’il était un homme d’exception: il était en tout point exceptionnel.
En tant qu’enseignant à la faculté, il nous livrait son savoir d’une manière sereine, sans consulter ses notes, et nous étions tous sous le charme de l’étendue de son savoir et de son calme olympien.
En tant que médecin, il avait un diagnostic rapide et sûr, il avait ce que nous appelons « un flair clinique »infaillible. Il était capable d’évoquer le bon diagnostic avec peu d’éléments d’interrogatoire et d’examen clinique, et il nous demandait d’étayer ce diagnostic. Il était bien évidemment capable de nous citer les différents diagnostics différentiels relatifs au cas discuté pour les réfuter un à un.
Il était un fin connaisseur de l’âme humaine et des besoins de la société tunisienne au long terme. C’est ainsi qu’il a était un des fondateurs de la faculté de médecine de Tunis, et pendant son décanat il a instauré le résidanat (avec accès sur concours), seule filière pour former les spécialistes.
Il a dédié sa vie à la promotion et au développement de plusieurs spécialités médicales dont la Médecine Interne, l’Endocrinologie, la Rhumatologie, et bien sûr la Néphrologie qui était sa passion, et à la naissance de laquelle il avait activement participé à l’hôpital Necker, sous la houlette du Pr. Jean Hamburger.
Il a ensuite introduit cette spécialité en Tunisie et l’a développée tant sur le plan diagnostic (ponction biopsie rénale) que thérapeutique (dialyse péritonéale, hémodialyse et transplantation rénale). Actuellement, la Tunisie, petit pays avec peu de moyens, est parmi les pays arabes et africains les plus avancés concernant cette spécialité.
Tout cela a était fait en silence et avec humilité.
En tant qu’homme, son abord était difficile et son humour précieux. Il forçait le respect.
Il était visionnaire et il a su créer des institutions, seules réalisations durables.
Le service de Médecine Interne A de l’hôpital Charles Nicolle, le fameux M8, était sa création. Il a su choisir et s’entourer de compétences sur lesquelles il a parié, et il a souvent gagné : la plupart des néphrologues (sinon tous), la plupart des internistes, des endocrinologues et des rhumatologues du pays sont passés par son service. Bien plus, d’imminents médecins français, actuellement en exercice, ont fait leurs premières armes dans son service.
Il a formé ses élèves et les a poussés à parfaire leurs connaissances dans les services Européens les plus prestigieux.
Il a encouragé la recherche médicale en incitant ses collaborateurs à présenter des projets de recherche et à les mener à bien. Il a crée des laboratoires de recherche dans son service: laboratoire d’anatomopathologie rénale, laboratoire d’endocrinologie, laboratoire d’hémodynamique de l’hypertension artérielle.
Il a était le fondateur de la Société Tunisienne de Néphrologie, et de bien d’autres sociétés savantes.
Tout cela en silence et avec humilité.
Il n’était pas bavard. Les génies ne sont pas prolixes, et il était un génie de la médecine.
Il nous a quitté en silence, comme il a vécu, comme il a travaillé, sans faire de bruit. Et cela nous a profondément bouleversés.
Nous avons perdu un père spirituel, un pionnier et un pilier de notre médecine. Il est mort, mais il continuera à arpenter, en silence, les couloirs de son service, le fameux M8.