Un ministre n’est pas simplement un haut fonctionnaire

Dans son article publié à Leaders le 24 août 2016, intitulé: "Tunisie: la fausse perception de la fonction ministérielle", le Professeur Rafaa Ben Achour confirme une vérité bien connue et maintes fois prouvée.

Outre les véritables intentions et mobiles de ceux qui ont critiqué le fait que des personnes ont été sélectionnées pour devenir ministres dans des domaines où elles ne sont pas spécialistes, il est à reconnaître que notre pays a vécu une syndicalisation excessive dans tous les domaines: un ministre des affaires étrangères ou un ambassadeur doivent être diplomates de carrière, un ministre de la justice doit être juge ou avocat, un ministre de la santé doit être un médecin… Cette logique a été appuyée par ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ainsi que par ceux qui sont toujours dans l’opposition, lorsque la troïka était au pouvoir. A force de trop chercher à arriver rapidement au pouvoir, des gens étaient en train d’envenimer le climat social par un appui aveugle de tout ce qui était à l’encontre des gens au pouvoir. Maintenant que la porte est ouverte devant ces mêmes personnes pour gouverner, elles vont souffrir des résultats, et le pays est le premier souffrant et perdant.

D'après certains commentateurs, les meilleurs ministres de la justice dans l'histoire de la Tunisie moderne ne sont pas juristes du tout. Les meilleurs ministres de la santé ne sont pas médecins, et il ne faut pas oublier que quoi que l’on dise d’eux, A.Zebidi, Gh.Jeribi et F.Horchani ont bien assuré leurs fonctions de ministres de la défense nationale alors qu’aucun d’entre-eux n’est un militaire.

Bien évidemment, tout comme pour le cas de Samir Ettaieb, le fait de ne pas être du domaine n'est pas un gage de réussite, et l'inverse n'est pas vrai. La réussite d'un ministre dépend de ses capacités à voir clairement de quoi le pays a besoin et quelles sont ses priorités, et aussi du contexte général. Je ne manque pas de noter qu’à travers les six ou sept gouvernements d'après Ben Ali, il y a eu des personnes brillantes, des personnes vraiment quelconques, mais avec des résultats plus ou moins les mêmes. Entre Nejib Chebbi, Houcine Dimassi, Tarek Dhiab, Amel Karboul, Ycine Brahim et Said Aidi, qui peut me dire qui était le meilleur?

A mon avis, aucun de ces six ou sept gouvernements n'a vraiment réussi à se distinguer des autres. La raison en est que le contexte est très difficile, voire hostile, d'où les exploits individuels sont peu sentis et rapidement oubliés.

La Tunisie a donc besoin d'un gouvernement où la plupart se retrouve d'une façon ou d'une autre, et où les saboteurs auront moins de raisons ou d'excuses de saboter, donc d'un gouvernement qui stabilise le pays et permet à l'administration de faire son boulot qu'elle fait déjà avec beaucoup de fébrilité, d'instabilité, et de manque de continuité. N’oublions pas qu’avec sept ou huit changements de gouvernements en l’espace de six ans, le pays a dû passer par des périodes d’attentes des remaniements ministériels, durant en moyenne 3 mois, et des périodes de rodage et de découverte de près 3 mois après l’installation de chaque nouveau gouvernement, puis une période de travail de cinq à six mois, au cours desquels l’administration peinait à retrouver ses repères, et que lors de chaque transition, c’était cette administration qui naviguait à vue, seule et livrée à soi-même, avec les risques de dérive, de remise en cause par le prochain gouvernement et même avec des probables représailles de la part des nouveaux arrivants à la tête de l’Etat. Au bout du compte, ce ne sont pas les gouvernements qui ont mené le pays, mais l’administration. Les ministres sont donc appelés à faire la politique et à laisser l’administration faire son boulot. Le pays a besoin de plus d’initiative privée, et pas d’une administration plus puissante et envahissante.

Ceci étant, comme tout le monde, j’ai de très sérieuses réserves quant à un certain nombre de noms dans le gouvernement Chahed, outre les noms que je ne connais pas du tout, pour lesquels je suis naturellement réservé.

Mais, ne nous trompons pas de débat et d’arguments!

Ahmed Ouerfelli