Un festival islamophobe en France sous le signe du Burkini et du racolage électoral
Où s’arrêtera-t-on et quand guérira-t-on de cette hystérie qui fait d’une seule et unique religion une « fauteuse de trouble » en France?
Après le voile, les permis de construire des mosquées, les menus des cantines scolaires, les piscines, les fast foods halal, les accompagnatrices des sorties des écoles, le mouton de l’Aïd dans la baignoire, voilà l’interdiction du burkini - un vêtement féminin de baignade inventé en Australie - sur les plages… par des maires de droite, dont certains avouent n’avoir jamais vu des femmes ainsi vêtues dans leur commune, et que soutient pourtant le Premier Ministre socialiste ! Qu’y a-t-il d’islamique dans cette tenue que mettent aussi certaines femmes de confession juive ? Aux dires des responsables de l’Intérieur, cet accoutrement ne concerne qu’une poignée de femmes en France. Un Niagara politico-médiatique a été servi aux Français pendant l’été autour de cette tenue de plage. Sur tous les tons et sur toutes les ondes. Tout ça pour ça, dans le pays qui fut celui des Lumières, des Encyclopédistes et de la Révolution ? Voltaire, Diderot, Jaurès, revenez vite afin que cesse cet abject amalgame avec les responsables des attentats odieux de ces derniers mois.
En vérité, MM. Valls et Sarkozy livrent la clé de cette effervescence nauséabonde quand ils assoient, tous deux, la campagne électorale présidentielle sur « la bataille culturelle et identitaire ». Ces messieurs ont en commun des bilans respectifs indéfendables aux yeux des électeurs… ils bottent alors en touche et orientent le débat politique vers les questions et les enjeux identitaires.
Affaiblir ainsi la cohésion du pays, monter les Français les uns contre les autres quelle aubaine pour Daech ! « En alimentant ce qui peut diviser, on rejoint l’objectif de Daech qui rêve d’un pays au bord de l’explosion » écrit Patrick Le Hyaric dans l’Humanité Dimanche (25 au 31 août 2016, p. 3)
A l’étranger, cette polémique étonne et soulève les quolibets et l’incompréhension. Du New York Times en passant par The Economist. Ainsi, The Daily Mail (de Londres) le 23 août 2016, publie des photos d’une femme coiffée d’un turban turquoise entourée de quatre policiers en armes sur une plage de Nice. Le commentaire qui accompagne l’article est : « L’interdiction française du burkini menace de tourner en mascarade ». Il s’agit plutôt d’humiliation et de stigmatisation!
Le quotidien allemand de centre gauche Die Süddeutsche Zeitung, de son côté, est on ne peut plus direct. La vraie raison de cette interdiction est l’islamophobie, écrit-il. Il rappelle que le burkini « n’est pas une burqa », donc le bannir des plages ne sert pas « à libérer la femme et à défendre la laïcité, mais signifie plutôt « nous ne voulons pas de vous ici ». De son côté, le site de l’hebdomadaire Die Zeit accuse la France de racisme pur : « Lorsqu’on ne peut pas interdire ces personnes, alors on interdit leurs habits pour les rendre invisibles, au moins dans certains lieux. Cela détruit bien plus les valeurs d’une société libre que cela ne les protège ».
Occulter les vrais problèmes des français
A travers cette polémique, les politiciens français en réalité veulent cacher le soleil avec un tamis, comme disent les Tunisiens. En voulant maintenir dans l’ombre les urgences sociales, on rejoint les thèmes de l’extrême droite. Avec trois millions de chômeurs, avec la précarité au travail, avec le coût de la rentrée des classes, avec la crise que vivent les producteurs de lait et après le séisme de la loi El Khomri sur le travail et ses grandes manifestations à travers tout le pays, après la crise de la construction européenne et avec le Brexit, on veut faire croire aux Français que le sujet prioritaire auquel l’Hexagone doit faire face est celui d’un vêtement porté par une poignée de femmes. La surenchère est partout de mise. Alors que Manuel Valls se disait favorable à une loi interdisant le port du voile à l’Université, en avril 2016, Nicolas Sarkozy - en « président faits divers » comme le dit son ancien premier ministre M. François Fillon - veut légiférer pour l’interdire également dans les entreprises et dans les administrations. Il va même jusqu’à envisager de réformer la Constitution voire d’organiser un référendum. Le plus étonnant est que, suite à l’arrêt du 26 août 2016 du Conseil d’Etat cassant l’interdiction du burkini sur la plage de Villeneuve-Loubet, M. Manuel Valls - qui en est pourtant le président - conteste ce jugement et soutient les maires de droite alors que deux de ses propres ministres- des femmes- lui expriment leur désaccord. Rappelons que l’arrêt du maire de Villeneuve-Loubet (Var) interdit l’accès à la plage de « toute personne ne disposant pas d’une tenue respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité ». Or, la seule chose interdite en France par la loi de 2011 c’est « la dissimulation intégrale du visage dans l’espace public ».
Vous avez dit «laïcité»?
Ces gens se veulent les hérauts de la laïcité… façon Finkielkraut ou Zemmour ! Mais la laïcité est la garantie du libre exercice du culte et de la neutralité de l’Etat vis-à-vis de toutes les confessions. Pour M. Jean-Luc Mélenchon, « c’est la liberté de conscience qui nous institue comme être humain et tout pouvoir politique qui se réclame d’une religion est une imposture ». Dans son discours à Toulouse dimanche 28 août 2016, le candidat à la présidentielle accuse Valls et Sarkozy de recommencer les guerres de religion. Or, ajoute-t-il, « si on sait comment ces guerres débutent, nul ne sait comment elles finissent » et ils les qualifient de Tartuffe et d’hypocrites car ils ferment les yeux quand des responsables israéliens refusent de serrer la main d’une femme et que les dames accompagnant M. Hollande lors de sa récente visite au Pape ont mis une cape sur la tête. Il les accuse d’hypocrites car « ils ont permis au Pape de venir prêcher au Parlement Européen de Strasbourg ». De même, M. Mélenchon dénonce le fait que « le Président de la République française soit chanoine de Latran », que le Concordat (signé par le Vatican) régisse encore les rapports des Eglises (y compris de la religion juive) et de l’Etat en Alsace-Lorraine et qu’enfin les douze étoiles qu’arbore le drapeau bleu de l’Union Européenne sont celles de la Vierge Marie. Enfin, M. Mélanchon dénonce aussi la mairie de Paris qui a fait appel aux Ciments Lafarge pour la réalisation de Paris-Plage cet été. Or, cette entreprise fait des affaires avec Daech en Irak et ailleurs. Et, comme le philosophe Alain Badiou, il considère enfin que Sarkozy est « un président voyou » notamment dans cette risible polémique du burkini (Alain Badiou, Télérama,n° 3476 du 24 août 2016, p. 8).
Vers une police du vêtement?
Le journal interactif algérien Algérie-Focus demande aux musulmans de ne pas faire de vagues et de bannir le burkini : « Nous ne pouvons pas nous abstenir de faire grief à ceux des musulmans qui persistent à se singulariser de la sorte, sachant bien que la société occidentale est arrivée à un tel niveau de crispation à l’égard des musulmans, compte tenu de l’actualité, que la moindre anicroche sera déformée dans le sens d’une plus grande marginalisation des musulmans ».
Mais comment oublier que les attentats perpétrés sur le territoire français ont visé sans la moindre distinction et tué aussi bien des musulmans que des victimes innocentes d’autres confessions ou athées ? Sur le plan vestimentaire, en France, comment oublier les juifs orthodoxes avec leurs immenses chapeaux et leurs mèches de cheveux spiralées, les sikhs avec leurs grands couvre-chefs enveloppant la chevelure, les bonzes en robe safranée, les hindous avec leur marque rouge sur le front, les soutanes des curés, les tenues et les cornettes des nonnes qui n’ont jamais fait problème ? Va-t-on vers une police du vêtement ?
Les Français de culture musulmane n’ont d’autres buts que de contribuer aux efforts communs et de vivre en paix avec tous leurs concitoyens. Ils font confiance au droit et à la justice qui régissent « l’exercice de la liberté et de la laïcité. » (Le Monde) à l’heure où la plus haute juridiction administrative dit que l’arrêté du maire du Var a « porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle***. »
En réalité, face à quelques inconscientes adeptes du m’as-tu vu ou peut-être ….de la dernière tenue à la mode, cette polémique a été exploitée en vitesse par des politiciens aux abois qui ont laissé se propager les idées haineuses du Front National et de ceux qui - sur la côte d’Azur et ailleurs - ne se sont pas remis encore de la perte de l’Empire. Mais les électeurs ne sont pas dupes : l’éditorialiste du Monde (28-29 août 2016, p. 28) relève : « Trop souvent, depuis la tragédie de Nice, les Français ont fait preuve de plus de dignité et de responsabilité que leurs élus. » De plus, l’approche des élections présidentielles catalysant les surenchères, on foule alors au pied ce qui fait la grandeur et les valeurs de cette nation qui a allumé le phare des droits de l’homme et de la justice pour toute l’Humanité en 1789 et lors de la Commune de Paris en 1870. Le burkini n’arrivera pas à éteindre cette lumière d’espoir dans une république dont la devise est « Liberté, Egalité, Fraternité. »
Mohamed Larbi Bouguerra
*** A l’heure où nous écrivons, ce mardi 30 août 2016, le tribunal administratif de Nice vient de casser l’arrêté anti-burkini du maire de Cannes.