Francois Gouyette, Ambassadeur de France: Le chemin parcouru est admirable
Nommé à Riyad, après quatre intenses années passées en Tunisie, lors d’une période exceptionnelle, l’ambassadeur de France, François Gouyette, aura été lui aussi «exceptionnel». Dans son avancée sur un fil de rasoir entre Marzouki, Ennahdha, puis Nidaa. Dans ses contacts soutenus avec les acteurs significatifs du paysage tunisien, tous horizons. Dans l’incarnation de ce que représente la France. Dans son style personnel. Orientaliste reconnu, la maîtrise de la langue arabe lui a ouvert les portes et les médias. Mélomane, amateur des grands classiques les moins connus de la musique arabe ancienne, cela lui a également ouvert des cercles très restreints. A ses côtés, son épouse, Halima, a été son baromètre de différentes sphères et son relais apprécié.
François Gouyette aura sans doute été servi par un concours heureux de circonstances. Ses deux prédécesseurs, Pierre Ménard et Boris Boillon, n’avaient pas laissé la meilleure image. L’accélération de la transition démocratique, avec ses grandes tensions et ses premières délivrances ont densifié son agenda et rendu son rôle plus significatif. Sa proximité des uns et son «peu d’appréciation courtoise» par d’autres, mais aussi son «activisme» économique et culturel ont forgé son image tunisienne.
Sur ses relations avec Marzouki et Ennahdha, les situations délicates vécues, et les moments forts endurés ou appréciés mais aussi les relations bilatérales, l'ambassadeur Gouyette a répondu aux questions de Leaders. Et adressé son message de départ à ses amis en Tunisie.
Quels souvenirs majeurs garderez-vous de ces quatre années passées en Tunisie lors d’une période exceptionnelle de la révolution?
Ils sont nombreux. Comment en serait-il autrement dans une période qui s’est avérée si cruciale pour le peuple tunisien? J’ai pris mes fonctions, comme vous le savez, la veille de l’attaque contre l’ambassade américaine, en septembre 2012. Je me souviens ensuite d’une longue période – trop longue–, émaillée de violences, dans le pays qui portait pourtant les plus grands espoirs de la région. Les assassinats de Chokri Belaïd en février 2013 et de Mohamed Brahmi en juillet 2013, les agressions verbales mais aussi physiques de responsables politiques, comme Saïd Aïdi ou Noomane Fehri: ce climat aura profondément marqué la première partie de mon séjour.
A l’inverse, le lancement du dialogue national est sans doute l’un des souvenirs les plus heureux de mon passage en Tunisie; parce qu’une sortie de crise se dessinait, parce que nous reprenions espoir dans le processus de transition, parce qu’il était fascinant d’observer se mettre en place, sans médiation internationale, ce mécanisme de dialogue qui a conduit à la résolution de la crise, et que le comité Nobel a décidé l’an dernier de récompenser de l’une des plus grandes – si ce n’est la plus grande – distinctions internationales. Je me suis senti, enfin, particulièrement chanceux d’avoir pu assister à l’adoption de la nouvelle constitution, à la tenue des premières élections libres et démocratiques du pays et à l’instauration de la deuxième République tunisienne, aboutissement de ces deux années aussi tourmentées que passionnantes à analyser et à accompagner.
Permettez-moi enfin d’évoquer les grands souvenirs «bilatéraux». Rares sont les pays où le président de la République française s’est rendu trois fois en deux ans, et où les visites officielles se sont succédé à un rythme aussi soutenu. Pour un ambassadeur, c’est un privilège de voir s’exprimer la plus haute autorité de son pays, à la tribune de l’Assemblée du pays dans lequel il est affecté, comme ce fut le cas du président Hollande devant l’Assemblée nationale constituante à deux reprises. Chacun des déplacements du président de la République– sa visite d’Etat en juillet 2013, son retour à Tunis en février 2014 pour saluer l’adoption de la nouvelle constitution ou encore sa venue en mars 2015 pour témoigner sa solidarité au peuple et aux autorités tunisiennes après l’attentat du Bardo – chacun de ces événements aura été, de même que la visite d’Etat du président Béji Caïd Essebsi à Paris en avril 2015, un temps fort de mon séjour en Tunisie, reflétant les liens d’amitié exceptionnellement denses et anciens entre nos deux pays, et donnant l’occasion de rappeler l’approfondissement constant et la diversification de notre coopération bilatérale.
Vous avez dû vivre des situations très délicates, lesquelles et comment avez-vous pu les surmonter?
Comme je l’ai dit, mes collaborateurs et moi-même avons vécu des moments de tension et d’inquiétude pour l’avenir de la transition. Je ne dirais pas que nous ayons connu des situations délicates, tant la France a été engagée dans une relation de dialogue ouvert, constant et constructif avec l’ensemble des forces politiques et des autorités du pays. Les reproches, infondés, qui nous ont été parfois adressés, quant à une prétendue partialité de la France, ont été démentis par la réalité du soutien constant de notre pays au processus de transition démocratique. Je me suis pour ma part constamment attaché à faire montre d’équidistance avec toutes les formations politiques, et d’empathie et de compréhension pour l’ensemble du peuple tunisien dans la diversité de ses opinions.
La France a joué un rôle significatif, à différentes séquences récentes. On vous prête une proximité avec Moncef Marzouki et Ennahdha. Qu’en est-il en fait?
M. Moncef Marzouki, militant respecté des droits de l’Homme, longtemps exilé en France, avait été élu président de la République par l’Assemblée constituante. La France et son représentant en Tunisie se devaient naturellement d’avoir avec lui les meilleures relations. Quant au mouvement Ennahdha, il s’agit de l’une des principales formations politiques tunisiennes, présente en nombre à l’Assemblée des représentants du peuple et membre de la coalition au pouvoir. La France entretient avec ce mouvement comme avec les autres formations politiques représentatives un dialogue régulier et confiant.
Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la France est engagée dans une relation avec l’Etat tunisien, indépendamment de toute appartenance partisane. Toute son action, depuis la révolution, a été de soutenir le processus d’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit.
Quel message de départ adresserez-vous à vos amis tunisiens?
Un message d’espoir et de confiance. Espoir de voir la transition parachevée et la démocratie solidement ancrée, espoir de voir les Tunisiens réconciliés et sereins, espoir de voir la stabilité durablement assurée. Et confiance, surtout, car le chemin qu’ils ont parcouru est admirable.