Une radioscopie alarmante du phénomène terroriste
« Le terrorisme en Tunisie à travers les dossiers judiciaires». C’est le titre d’une enquête inédite menée par le Centre tunisien des Recherches sur le Terrorisme (CTRET). Un travail qui s'imposait devant la recrudescence du phénomène du terrorisme depuis l’affaire de Rouhia dans le gouvernorat de Seliana en décembre 2012.
Cette initiative est d'autant plus intéressante que les Tunisiens ne saisissent pas encore la gravité du phénomène peut-être parce qu'il n'a pas débordé sur les villes. Qui sont ces terroristes, d'où viennent-ils, quel est leur niveau d'instruction, quelles sont leurs motivations? Après avoir consulté plus de 384 dossiers judiciaires qui ont concerné 2224 inculpés, les enquêteurs ont procédé à un échantillonnage d’inculpés dont l’appartenance à des mouvements terroristes a été avérée soit suite à leurs aveux devant le juge d’instruction, soit lors de leur jugement ou après de la découverte à leur domicile d’armes ou leur participation à des camps d'entraînement à l'étranger, soit au total 1000 personnes.
18,78% d'entre eux sont de Tunis, ce qui est normal compte tenu du poids démographique de la capitale (plus d'un million d'habitants), du fait que les principaux chefs terroristes, notamment Abou Iyadh aient choisi de s'installer à Tunis après leur libération au lendemain du 14 janvier parce la capitale leur permet de garder l'anonymat et qu'ils ont réussi à contrôler les banlieues de Tunis et surtout les mosquées.
Tunis est talonné par Sidi Bouzid avec 14,32% devançant l'Ariana, Sousse ou Sfax, beaucoup plus peuplés. Ce qui mérite explication : l'ancrage des groupes terroristes dans ce gouvernorat depuis dix ans, puis leur rapide reconstitution après la révolution, la constitution clanique de la société qui favorise la solidarité entre les individus, «la légitimité carcérale» qui a facilite le contrôle des mosquées. Contre toute attente, ils sont à 98,8% Tunisiens, alors que les Algériens ne représentent qu’une infime minorité, à peine 0,6%.Mais ils constituent l’essentiel des cadres.
Ils sont de sexe masculin dans une proportion de 96,6% ; célibataires à 68,45% ; ils ont majoritairement entre 18 et 39 ans. 45,5% d’entre eux sont des ouvriers qualifiés ou non qualifiés alors qu’ils sont à 40% diplômés du supérieur ou ont effectué des études supérieures. Près de 38% d’entre eux ont subi l’influence d’autres personnes et dans une moindre mesure (18%) des médias (livres, journaux et internet). La majorité des terroristes ont suivi des entrainements militaires en Libye (69,23%) et en Syrie (21,98%).
Les chiffres fournis n'ont peut-être pas une valeur statistique, mais certainement une valeur indicative. Il n'y a pas de révélations, mais nous sommes confortés dans l'opinion que nous avions du phénomène terroriste, sauf peut-être à propos de la proportion énorme de diplômés du supérieur.Ce qui ne diminue en rien le mérite des auteurs. Nous savons que le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux qui en quelque sorte la maison-mère du CTRET et qu'il est nettement marqué à gauche, ce qui transparait dans ces études et réactions. Pour cette étude, il s'est de ses oeillères pour nous offrir un travail exceptionnel.