Le vieillissement de la population tunisienne entre mythes et réalités
La population tunisienne n’a pas cessé de vieillir depuis une quarantaine d’années, presque sous nos yeux, sans que jamais nous en prenions véritablement conscience. Cela tient probablement au fait que nous mélangeons, abusivement, des notions démographiques très peu proches en définitive. Naturellement, nous n’évoquons ici que le vieillissement d’une population et non celui d’un être humain en particulier, d’une bête ou d’un autre vivant sur terre. Car si le vieillissement de la population constitue bien un phénomène démographique et par là même un phénomène social entrant dans le champ d’étude d’une ou plusieurs sciences sociales dont la démographie, le vieillissement de l’individu ne relève, lui, que de l’expérience « personnelle » avec ses dimensions médicales, biophysiques, cognitives et même métaphysiques. Du reste, la population d’un pays pourrait très bien rajeunir moyennant une forte reprise de la fécondité (hypothèse toujours possible), jamais un être humain (hypothèse impossible). Et si le vieillissement de l’individu est inexorable, inévitable (je dirais même souhaitable), celui d’une population ne l’est certainement pas. Cela ne fait pourtant pas du vieillissement démographique la catastrophe suprême que certains nous prédisent.
Commençons, comme il sied, par le commencement, c'est-à-dire par donner un contenu concret au concept de vieillissement démographique. Plusieurs définitions peuvent en être données, toutes aussi acceptables, toutes aussi contestables. La première, en fait la plus courante ou la plus « consensuelle », présente le vieillissement d’une population donnée comme l'accroissement continu de la part de la population des 60 ans et plus dans la population totale. Ceci peut s’accomplir en raison, soit de la diminution de la fécondité, ce qui se traduit par un vieillissement par le bas ; soit en raison d’une baisse de la mortalité générale, ce qui provoque un vieillissement par le haut. Dans la plupart des processus connus, les deux évolutions vont de pair, c'est-à-dire que la baisse de la mortalité coïncide généralement avec la baisse de la fécondité, avec il est vrai plus au moins de décalage selon les pays comme on le verra plus loin. La seconde définition présente le vieillissement de la population comme l’accroissement du rapport entre la part du groupe des plus âgés et la part du groupe des plus jeunes au sein de cette même population, les plus de 60 ans d’une part, les moins de cinq ans de l’autre. La troisième définit le vieillissement de la population comme l'augmentation de l'âge moyen de la population, celui-ci étant la moyenne des âges des individus la composant.
Pour éloignées qu’elles puissent paraître de prime abord, ces trois approches finissent par se recouper, tout en laissant, malgré tout, de larges zones de clair-obscur. En effet, l’effectif de la population âgée peut varier selon l’âge du vieillissement retenu : 60 ans, 65 ans ou plus. Or l’âge de référence est appelé à évoluer dans le futur comme il a déjà évolué par le passé passant, par exemple, de 20 ans en l’an mille à 40 ou 50 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes à la moitié du dernier siècle. Il serait donc parfaitement plausible de le reculer davantage dans l’avenir, soit parce que cet âge de référence est rapporté à l’âge légal de cessation de l’activité (ce qui est flottant), soit parce qu’il est rapporté à l’espérance de vie à la naissance (ce qui est flottant aussi), soit parce qu’il pourrait être déterminé en fonction de paramètres strictement médicaux, soit encore qu’il pourrait être fixé par une combinaison d’un ou de plusieurs de ces paramètres. C’est pour dire qu’il ne serait pas extravagant finalement de substituer à la barre fatidique de 60 ans un âge indexé à la probabilité du nombre d’années qui restent à vivre, autrement dit de fixer l’âge de référence du commencement du vieillissement en fonction de l’espérance de vie à la naissance. Par conséquent, l’âge de référence du vieillissement individuel pourrait être placé plus haut (au-delà de 60 ans) si l’espérance de vie moyenne vient à dépasser 80 ans par exemple, ce qui semble promis aux Tunisiens dans un prochain avenir. Un autre type d’«ajustement» consisterait à caler l’âge de référence du commencement du vieillissement en fonction de la structure de la pyramide des âges, de sorte que l’on considérerait comme vieilles les personnes situées dans la pyramide au-dessus d’un pourcentage donné de la population : 15 ou 20% par exemple. Enfin certains critères médicaux peuvent être envisagés comme ceux se rattachant plus précisément au vieillissement osseux, métabolique, vasculaire, musculaire, psychique, sexuel, etc.
Pyramide des âges en %
Groupe d’âge | 1966 | 1975 | 1984 | 1994 | 2004 |
0-4 ans | 18,6 | 16,0 | 14,6 | 11,0 | 8,1 |
5-14 ans | 27,9 | 27,8 | 25,1 | 23,8 | 18,6 |
15-59 ans | 48,0 | 50,4 | 53,6 | 56,9 | 64,0 |
60 ans et plus | 5,5 | 5,8 | 6,7 | 8,3 | 9,3 |
Total | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Age médian en années | 17,3 | 18,2 | 20,0 | 22,9 | 25,4 |
Age moyen en années | 23,7 | 23,8 | 25,1 | 27,2 | 29,5 |
Source : INS
Le « particularisme » tunisien
En définitive, le vieillissement de la population n’est que la résultante «naturelle» de l’interaction entre l’augmentation de l’espérance de vie (durée moyenne de vie) et la baisse de la natalité (on emploie le terme fécondité, au lieu de natalité, lorsque les naissances sont mises en relation avec l'effectif des femmes d'âge fécond). Il s’agit du passage devenu classique d’un régime démographique à forte natalité et forte mortalité à un régime démographique à faible natalité et faible mortalité. C’est ce que l’on a coutume d’appeler transition démographique (nous nous y situons plutôt à la fin, c'est-à-dire au début de la partie rose du graphique ci-dessous). Tous les pays passent nécessairement par une mutation démographique devenue incontournable dans l’histoire moderne des populations. En effet, la transition démographique a démarré au XVIIIe siècle, d’abord dans les pays d’Europe du Nord-Ouest, au Royaume Uni, aux Pays-Bas et un peu plus tard en France. C’est justement dans ces pays où les grandes épidémies ont commencé à être jugulées et où un minimum d’hygiène et d’alimentation a été assuré aux populations. Par la suite, elle gagna progressivement le reste de l’Europe, les USA, le Canada et de façon plus générale les pays issus de la colonisation européenne comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Ce fut le tour du Japon entre 1815 et 1914. La transition démographique ne se propagea au reste du monde qu’au vingtième siècle, notamment après la seconde guerre mondiale. A l’heure actuelle, les pays les plus développés ont achevé leur transition alors que la plupart des pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique continuent à vivre la leur. La Tunisie se trouve actuellement plus près du régime démographique moderne que de la transition proprement dite, et ce en comparaison avec les pays limitrophes ou du même âge économique.
- en rouge sombre: le régime démographique traditionnel,
- en rouge: la première étape de la transition démographique,
- en orange: la deuxième étape de la transition démographique
- en rose, le régime démographique moderne
Suivant ce schéma, la transition démographique en Tunisie pourrait être perçue comme une transition classique. Ce classicisme est pourtant très particulier. La transition démographique tunisienne est classique parce que la baisse de la mortalité y a été antérieure à la baisse de la natalité et que le contrôle de la fécondité s’est fait d’abord par la nuptialité, ensuite par la contraception. Mais elle est particulière en raison de la rapidité avec laquelle le taux de fécondité a diminué, passant d’un taux correspondant à une fécondité «naturelle» à un taux de fécondité proche de celui des pays développés. Elle est par ailleurs classique en raison de la baisse relativement « classique » du taux de mortalité générale, mais elle est particulière parce que la baisse du taux de mortalité infantile a été plus spectaculaire qu’ailleurs (du moins dans les trois premières décennies après l’indépendance) et que la mortalité infantile continue à impulser à la mortalité générale son propre rythme. En effet, le taux brut de mortalité est passé de 29‰ en 1921 à un peu moins de 20‰ en 1955 et l’espérance de vie à la naissance de 38 ans en 1945 à 47 ans en 1956. Mais la transition démographique a été particulière parce que le taux de mortalité infantile a enregistré une baisse beaucoup plus rapide qu’ailleurs passant de 250‰ en 1956 à 150‰ naissances vivantes au début des années 1960 et à 25,8‰ en 2000 pour descendre en dessous de 20°/oo par la suite. Le tableau ci-joint met d’ailleurs le doigt sur le «particularisme» tunisien par rapport aux pays voisins surtout: taux de croissance naturelle et ISF plus faibles, espérance de vie et taux de mortalité générale assez comparables finalement, précocité du vieillissement de la population.
AFRIQUE du Nord Estimations 2008 | ||||||||
Pays | Population totale (en milliers) | Taux de natalité | Taux de mortalité | Espérance de vie | Mortalité infantile | Nombre d'enfant(s) par femme | Taux de croissance naturelle en % | Population de plus de 65 ans (en %) |
Algérie | 34 373 | 20,8 | 4,9 | 72,4 | 30,4 | 2,36 | 1,58 | 4,6 |
Libye | 6 283 | 23,3 | 4,1 | 74,1 | 17,8 | 2,70 | 1,92 | 4,1 |
Maroc | 31 606 | 20,4 | 5,8 | 71,3 | 29,9 | 2,35 | 1,46 | 5,3 |
Tunisie | 10 440 | 16,6 | 5,6 | 74,0 | 19,5 | 1,91 | 1,10 | 6,3 |
Egypte | 76 840 | 24,1 | 5,6 | 71,5 | 28,6 | 2,87 | 1,85 | 5,0 |
Source : World Population Prospects. Nations Unies. 2007
Cette comparaison met en évidence le fait que l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance ne doit pas être confondue avec l’augmentation de l’âge moyen ou de l’âge médian. En effet, l’âge moyen n’est que la somme des âges divisée par l’effectif de la population. Aussi si une personne dont l’âge se situe au-dessus de l’âge moyen (50 ans par exemple) est sauvée de la noyade par un brave maître-nageur sur une plage quelconque, le brave homme en question aura accompli de la sorte un acte contribuant tant soit peu à l’accroissement de l’espérance de vie et par là même au vieillissement de la population. Mais si l’âge de la personne sauvée est situé en dessous de l’âge moyen (disons 15 ans), le maître-nageur aura payé son tribut à l’accroissement de l’espérance de vie, mais il aura cette fois-ci aidé à la diminution du vieillissement de la population. Du coup, le vieillissement démographique se révèle finalement un peu plus subtil ou complexe qu’on ne le pressentait puisque l'évolution de la répartition par âge d'une population dépend, à tout moment, des variations de la fécondité, de la mortalité et des migrations. Car la baisse de la fécondité réduit le nombre des naissances et diminue progressivement la part des jeunes dans la population totale. Dans ce cas, la baisse de la fécondité participe au vieillissement par le bas de la pyramide des âges comme on l’a noté précédemment. Par contre, la baisse de la mortalité a des incidences beaucoup plus nuancées. D’une part la baisse de la mortalité générale tend à rajeunir la population lorsque cette baisse est due, pour l’essentiel, à la baisse de la mortalité infantile, comme ce fut le cas en Tunisie. D’autre part et lors d’une seconde phase, la baisse de la mortalité participe au vieillissement de la population par le haut de la pyramide, et ce dans la mesure où la progression de l'espérance de vie se traduit par la baisse de la mortalité aux âges les plus élevés. L’influence propre aux migrations (intérieures et extérieures) dans le vieillissement démographique est plus difficile à formuler. De façon générale et sur le plan international, les courants migratoires ne semblent pas avoir joué un rôle décisif dans le déclenchement du processus du vieillissement de la population bien que l’on puisse convenir qu’ils aient contribué à son accentuation dans la plupart des pays observés.
Historique et perspectives
Les premiers signes du vieillissement de la population tunisienne sont apparus avec les résultats du recensement de la population de 1966. C’est à cette occasion en effet que la part des personnes âgées de 60 ans dans la population totale (5,5%) devait repartir à la hausse après avoir enregistré une baisse entre les recensements de 1946 (6,7%) et de 1956 (5,1%). Le « boum » nataliste de l’immédiat après-guerre n’est évidemment pas étranger au « rajeunissement » de la population tunisienne entre 1946 et 1956, de même que la baisse de la mortalité aux bas âges et de la mortalité générale en raison de l’amélioration relative des conditions de vie, d’hygiène et d’alimentation après la disette qui a frappé la population pendant la seconde guerre mondiale (1939-1945). La population tunisienne a donc bien commencé à « vieillir » entre 1956 et 1966. La tendance ainsi amorcée s’accéléra par la suite, la part des 60 ans et plus dans la population totale passant de 6,7% en 1984 à plus de 9,3% en 2004.
Symboliquement, ce n’est pourtant pas l’année 1966 que l’on retient en mémoire mais l’année 1999. C’est en effet en 1999 que la « courbe » représentant la part des moins de cinq ans dans la population totale a rencontré dans sa descente la « courbe » représentant les 60 ans et plus qui montait: 9% pour toutes deux cette année-là. Dans les années qui ont suivi, chacune a continué son bonhomme de chemin, la part des moins de 5 ans continuant à décroître en dessous de 9% et celle des 60 ans et plus continuant à croître au-dessus de 9%.
Structure de la population par tranche d'âge (%)
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Source:Institut National de la Statistique
Que l’on retienne l’année 1966 ou l’année 1999, peu importe finalement dans la mesure où le vieillissement de la population constitue désormais l’un des traits majeurs de la donne démographique tunisienne. Cette tendance ira d’ailleurs en s’amplifiant dans les décennies à venir. En effet, si l’on retient des hypothèses moyennes quant à l’évolution de la fécondité et de la mortalité; c'est-à-dire si on table sur un prolongement modéré de la baisse de la fécondité, avec un ISF se stabilisant à près de 1,50%o en 2029 d’une part, et sur une baisse du taux de mortalité infantile qui atteindrait 8.9%° en 2029 d’autre part ; l’INS a calculé que la part des 60 ans et plus dans la population tunisienne se situerait tout près de 20% en 2034(ISF : indice synthétique de fécondité ou indice conjoncturel ou encore, schématiquement, le nombre moyen d’enfants par femme).
Population projetée selon la tranche d’âge en %
Groupe d’âge | 2014 | 2019 | 2024 | 2029 | 2034 |
0-4 ans | 8,0 | 7,6 | 6,8 | 6,0 | 5,6 |
5-14 ans | 14,9 | 14,9 | 14,6 | 13,7 | 12,3 |
15-59 ans | 66,0 | 64,5 | 63,3 | 62,6 | 62,3 |
60 ans et plus | 11,0 | 13,0 | 15,2 | 11,7 | 19,8 |
Total | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Source : Institut National de la Statistique (INS)
Nous estimons pour notre part que le vieillissement de la population pourrait être beaucoup plus prononcé que prévu à l’horizon indiqué. En effet, les hypothèses de l’INS quant à l’évolution de la fécondité risquent de se révéler « optimistes » et devront par conséquent être revues à la baisse, de sorte que la part des 60 ans et plus dans la population totale approcherait les 20% bien avant l’horizon 2034, probablement dès 2025 (hypothèses inchangées concernant la mortalité et l’espérance de vie). Au demeurant, les projections démographiques élaborées à l’aide du modèle ILO-POP du BIT indiquent qu’en 2050, les hommes auront gagné 7,4 années à vivre de plus et les femmes 7,8 années. Dans la mesure où le taux brut de natalité descendrait sous la barre fatidique de 1% en 2050 et où le taux de mortalité infantile descendrait à 4,4%o, le vieillissement de la population sera nécessairement plus accentué. L’âge moyen de la population s’établirait ainsi à 44,39 ans en 2050 contre 29,76 en 2000; soit 14,63 années de plus.
Population tunisienne (en millions)
Années | 2010 | 2015 | 2020 | 2025 | 2030 | 2035 | 2040 | 2045 | 2050 |
Population totale | 10,075 | 10,534 | 10,990 | 11,413 | 11,776 | 12,045 | 12,214 | 12,288 | 12,179 |
Masculine | 5,277 | 5,491 | 5,690 | 5,856 | 5,973 | 6,037 | 6,051 | 6,023 | 5,954 |
Féminine | 5,257 | 5,498 | 5,723 | 5,919 | 6,071 | 6,177 | 6,237 | 6,254 | 6,224 |
Age moyen (ans) | 31,55 | 33,27 | 34,96 | 36,70 | 38,51 | 40,27 | 41,86 | 43,23 | 44,39 |
Espérance de vie H | 72,1 | 73,1 | 73,9 | 74,7 | 75,5 | 76,0 | 76,5 | 77,0 | 77,5 |
Espérance de vie F | 76,4 | 77,4 | 78,4 | 79,2 | 81,0 | 80,5 | 81,0 | 81,5 | 82,0 |
Dès lors la question qui se pose peut être formulée ainsi: peut-on agir pour faire reculer le vieillissement démographique ? La réponse à cette question suppose que l’on réponde d’abord à une autre, tout aussi redoutable : peut-on faire repartir la fécondité à la hausse ? La réponse est évidemment non.
Les mythes fondateurs
Il n’existe aucun pays au monde, nonobstant la Chine communiste, à propos duquel on pourrait parler sérieusement de «fécondité dirigée». Sur la durée et à partir d’un certain niveau de développement, ni les politiques familiales en général, ni l’action plus spécifique sur les prestations familiales, ni d’ailleurs aucune autre « incitation » matérielle, politique ou idéologique ne sont en mesure de pousser les femmes à faire, durablement, plus d’enfants si elles ne le souhaitent pas, et c’est d’ailleurs bien qu’il en soit ainsi. Pendant longtemps la France et certains pays se voulant « natalistes » se sont acharnés à chercher le bon levier sur lequel ils pourraient appuyer pour inciter les femmes à «faire» plus d’enfants. Peine perdue. Toutes les études menées à ce sujet sont d’accord sur un point au moins : les incitations matérielles ne suffisent pas, seules, à « booster » l’ISF. Et si pour l’heure la France se trouve en meilleure posture sur le plan de la fécondité par rapport à tous les autres pays européens, de l’ouest comme de l’est, elle le doit, sans doute, à quelques « facteurs » favorables et non grâce aux seules prestations familiales ou en raison de la présence d’immigrées comme on le croit à tort (En France métropolitaine, les femmes étrangères ne contribuent aux naissances que dans une proportion de 12 % et les femmes immigrées dans une proportion de 15 %, une partie des immigrées est d’ailleurs de nationalité française. Par ailleurs, la fécondité des étrangères est plus élevée que celle des Françaises; 3,3 enfants contre 1,8 en 2004 ; mais ce surcroît ne concerne qu'une minorité au sein de la population. De ce fait l’effet de l’immigration sur la fécondité en France ne dépasse guère 0,1 enfant par femme, ce qui situe l’ISF à 1,9 enfants par femmes en 2004 contre 1,8 hors immigration).
Nombre moyen d’enfants par femme
| 1970 | 1980 | 1990 | 2005 |
Allemagne | 2,03 | 1,56 | 1,45 | 1,30 |
Autriche | 2,29 | 1,65 | 1,46 | 1,41 |
Bulgarie | 2,17 | 2,05 | 1,82 | 1,31 |
Danemark | 1,99 | 1,55 | 1,67 | 1,80 |
Espagne | 2,88 | 2,20 | 1,36 | 1,34 |
Finlande | 1,83 | 1,63 | 1,78 | 1,80 |
France métropolitaine | 2,47 | 1,95 | 1,78 | 1,92 |
Grèce | 2,40 | 2,23 | 1,39 | |
Hongrie | 1,98 | 1,91 | 1,87 | 1,32 |
Irlande | 3,85 | 3,24 | 2,11 | 1,88 |
Italie | 2,43 | 1,64 | 1,33 | 1,34 |
Lettonie | 2,02 | 1,90 | 2,00 | 1,31 |
Mais puisque nous en sommes au chapitre de la fécondité, restons-y un moment pour tordre le cou à certaines idées reçues. La première concerne la croyance ancrée chez la plupart, élite comprise, selon laquelle la baisse de la fécondité en Tunisie est due, pour l’essentiel, à l’action du seul planning familial. Certaines « autorités » scientifiques se sont même crues en droit d’estimer à 70 ou à 80% l’impact du planning familial sur les limitations des naissances en Tunisie, comme si l’affirmation était exacte et comme si l’on pouvait calculer, objectivement, de tels pourcentages. Rendons hommage à ce propos au sérieux et à la sagesse de l’Office du Planning Familial qui n’a jamais revendiqué de tels « pourcentages » et qui n’a cessé de fondre sa propre action dans un cadre sociologique plus large et plus cohérent. En vérité, la baisse de la natalité en Tunisie, dans les deux premières décennies de développement en tout cas, est due fondamentalement au recul de l’âge du mariage et plus généralement à l’ensemble des dispositions juridiques, sociales, politiques et culturelles révolutionnaires prises par le Gouvernement de l’indépendance : promulgation du Code de statut personnel dès 1956, scolarisation en masse des enfants, élévation de l’âge légal de mariage, interdiction de la polygamie et de la répudiation, nécessaire consentement de la fille au mariage, sans oublier l’action purement politique, administrative et pédagogique en faveur de l'amélioration de la place de la femme dans la société, le développement économique et social lui-même, l’évolution des mentalités et des normes sociales, l’émergence de l’emploi féminin dans une première phase et son développement accéléré par la suite, etc.
Cependant, le rôle de la nuptialité dans la transition de la fécondité fait l’objet des supputations les plus contradictoires. Dans certaines régions d’Amérique latine, comme Cuba, la nuptialité est précoce, mais la fécondité n’a pas explosé pour autant. Dans d’autres comme le Mexique l’âge du mariage a augmenté bien avant que la fécondité ne baisse. Le contrôle par la nuptialité ne constitue donc pas la panacée universelle ni un mécanisme de régulation démographique efficient indépendamment de l’environnement socioculturel ou politique. Il n’en demeure pas moins que, contrairement à ce qui s’est passé dans beaucoup de pays africains, le retard de l’âge du premier mariage en Tunisie comme dans les autres pays du Maghreb a constitué, sans contestation possible, le facteur initial déterminant de la baisse de la fécondité. La rapidité avec laquelle la fécondité a diminué en Tunisie par rapport à ses voisins en retard sur la nuptialité a d’ailleurs constitué l’un des aspects les plus remarquables de la transition. Partant d'un niveau supérieur à celui des pays les moins avancés en 1966, la fécondité en Tunisie est passée en moins de 40 ans à un niveau proche de celui des pays les plus développés. C’est ainsi que pour la période 1995-2000, l’Algérie affiche un ISF de 3,2 enfants par femme, le Maroc de 3,4 et la Libye de 3,8 tandis qu’en Tunisie, l’ISF n’est que de 2,03. Du coup, la Tunisie peut se targuer de détenir le niveau de fécondité le plus faible d’Afrique et de tous les pays musulmans et arabes.
Si nous insistons tout particulièrement sur le rôle joué par l’élévation de l’âge du premier mariage pour les femmes, c’est que tout indique que c’est ce facteur qui fût à l’origine de la direction donnée au départ de la tendance générale. Or, c’est «l’initiation» qui prime dans ce type d’évolution à long terme. Ceci ne veut surtout pas dire que l’effet du planning familial ait été marginal ou de moindre efficience, et s’il faut rendre à César ce qui est à César, force est de dire alors que le planning familial a probablement joué un rôle éminent dans l’accentuation de la courbe, mais pas dans son amorçage, en tout cas pas plus que l’élévation du niveau scolaire des femmes tunisiennes, le développement de l’urbanisation ou la somme de tous les bouleversements économiques et socioculturels ayant traversé la société tunisienne au cours du dernier demi-siècle (le planning familial a démarré effectivement en 1966, année précisément où l’ISF a connu un premier recul devenu tendanciel par la suite).
Evolution de l’âge moyen au premier mariage (ans)
Année | Hommes | Femmes |
1956 | 26,3 | 19,5 |
1966 | 27,0 | 20,9 |
1975 | 27,1 | 22,6 |
1984 | 28,1 | 24,3 |
1994 | 30,2 | 26,6 |
2004 | 33,0 | 29,2 |
Evidemment d’autres paramètres sont à considérer à l’exemple de l’urbanisation, paramètre d’autant plus judicieux en la circonstance qu’il synthétise l’impact sur la fécondité d’autres paramètres comme le niveau scolaire des femmes ou leur activité. En effet, les différences entre milieux urbain et rural à propos de l’âge du premier mariage étaient nettes à l’indépendance, les femmes en milieu rural se mariant en moyenne un an et 7 mois avant les femmes du milieu urbain tel qu’il ressort du recensement de 1966. Deux décennies plus tard, les femmes du milieu urbain et celles du milieu rural se sont mariées à peu près au même âge, 26,6 ans en moyenne pour les premières et 26,5 ans pour les secondes (Recensement de 1994). Naturellement, la scolarisation en masse des femmes a joué pleinement dans le bouleversement des comportements matrimoniaux par delà le milieu bien que l’âge moyen au mariage augmente avec le niveau d’instruction des femmes, les femmes analphabètes se mariant plus tôt que les femmes scolarisées et qu’il y a plus d’analphabètes en milieu rural. Mais depuis quelques années, l’effet de la scolarisation sur l’âge du premier mariage a transgressé, lui aussi, les frontières du milieu ; de sorte que l’on n’enregistre plus de différence notable entre milieux à cet égard.
Evolution de l’indice synthétique de fécondité
année | ISF |
1966 | 7,2 |
1971 | 6,1 |
1975 | 5,8 |
1980 | 5,3 |
1985 | 4,5 |
1990 | 2,9 |
2000 | 2,1 |
Sources : INS, Annuaires statistiques
A ces diverses interrelations s’ajoute l’effet propre à une permanence socio-culturelle dans la société tunisienne d’aujourd’hui : la procréation reste très marginale hors mariage. C’est dire que la simple élévation de l’âge moyen du premier mariage des femmes exerce une formidable rétention sur la « fécondité » des femmes de la tranche d’âge physiologiquement la plus féconde. A contrario, l’influence proprement religieuse sur la fécondité n’est pas prouvée et ce, contrairement aux allégations de quelques démographes « islamophobes ». Il s’agit en fait d’un parti pris qui voudrait faire croire que l’Islam est doctrinairement « nataliste » et que l’islamisme militant a une influence sociétale directe sur la natalité. Il se trouve que les faits contredisent ce type d’allégations. Ainsi en Iran, pays notoirement « islamiste », la fécondité est aussi en berne puisqu’elle se situe en dessous du seuil de remplacement malgré trois décennies «d’islamisme» forcené. A contrario, deux facteurs semblent décisifs en la matière. Le premier concerne le niveau d’instruction, particulièrement celui des femmes d’âge fécond, de sorte que les femmes instruites auraient tendance à « faire » moins d’enfants. Cela a d’ailleurs des conséquences « transversales » sur les femmes les moins instruites, ou les moins actives qui suivent un « exemple » devenu, peu à peu, un canon. Le second concerne l’adoption quasi généralisée du modèle unique de la famille « nucléaire » de deux enfants, modèle qui transgresse les frontières sociales, lui aussi, puisqu’il semble subjuguer tous les milieux, des plus aisés aux moins aisés.
ISF par niveau d’instruction
Niveau d’instruction | 1975 | 1985 | 1993 |
Sans | 6,60 | 5,10 | 3,90 |
Primaire | 4,30 | 3,92 | 2,72 |
Secondaire et plus | 3,00 | 2,66 | 2,05 |
Sources : Enquêtes fécondité, DHS, PAPCHILD. Les années correspondent au milieu de la période observée.
Le second mythe concerne les liens entre économie et démographie en général, entre prestations familiales et natalité en particulier. Il est vrai que la démographie et l’économie entretiennent depuis les origines des rapports plus subtils et plus conflictuels qu’il n’y paraît. Ces rapports ne sont d’ailleurs pas explicités au point où l’on puisse quantifier les effets de la richesse sur la natalité ou déterminer avec exactitude la proportion de la population dépendante, c'est-à-dire la population en charge par les actifs, phénomène de nature à accélérer ou à freiner la croissance économique (la masse critique démographique en quelque sorte). De surcroît, la démographie s’intéresse, par nature, au long terme (natalité, mortalité) alors que l’économie s’intéresse plutôt au court et au moyen terme (n’est-ce pas Keynes qui disait à ce propos : à long terme nous serons tous morts). Bref, on ne sait pas modéliser les inter-relations économie-démographie, ni y identifier ce qui est exogène et ce qui est endogène, ce qui est expliqué et ce qui est explicatif. L’on se trouve ainsi devant des difficultés méthodologiques et pratiques rédhibitoires. La première intéresse la pertinence même d’une corrélation significative entre revenu familial d’un côté, niveau d’instruction, catégorie socioprofessionnelle, type de métier et catégorie sociale de l’autre. La seconde a trait à l’impossibilité de rapporter ces paramètres supposés influencer la fécondité à une même échelle de grandeur, en raison de leur hétérogénéité « naturelle ».
Du reste le revenu d’un ménage quelconque peut augmenter si le couple prépare financièrement la venue d’un enfant supplémentaire dans le ménage, en travaillant plus par exemple. Difficile d’ailleurs de croire à ce propos que les couples consultent leur compte bancaire ou relisent des tableaux d’amortissement ou des statistiques financières avant de décider de faire un enfant. Le simple bon sens invalide cette prétention puisque ce sont les ménages les plus démunis qui font, relativement, le plus d’enfants. Un autre problème apparaît dès lors qu’il s’agit d’analyser l’impact réel des politiques familiales sur la fécondité. En effet, les politiques familiales des états n’ont jamais été « neutres » et leur mise en place a systématiquement répondu à une demande précise. Dans ce cas de figure la politique familiale devient «endogène» de facto alors qu’elle a été posée au départ comme exogène. Au demeurant, les pays accusant les taux de fécondité les moins élevés (Italie, Espagne) n’ont pas mis en place la politique familiale la plus défavorable à la natalité. Il faut donc se résoudre à accepter cette évidence: la mise en oeuvre d’un système d’aide financière à la natalité (allocations familiales ou dégrèvement fiscal) peut créer un mouvement de reprise de la natalité tout aussi bien qu’un mouvement d’accentuation de la dénatalité. C’est d’ailleurs pourquoi le blocage des prestations familiales qui perdure en Tunisie depuis presque quatre décennies doit être jugé comme suranné, stupide, obsolète et dérisoire d’autant que le pays se trouve, du point de vue de la fécondité, face à la situation exactement inverse par rapport à celle prévalant il y a quarante ans.
Les disparités régionales
Sur le plan régional, l’évolution de la fécondité en Tunisie ne fût guère le fleuve tranquille que l’on imagine. En fait, elle ne se passa ni de façon uniforme, ni de façon linéaire. Ce constat vaut naturellement pour ses principaux «constituants» : âge du premier mariage, taux d’activité spécifique du sexe féminin, statut professionnel, niveau d’instruction, etc. Ainsi l’âge moyen au premier mariage des hommes et des femmes s’est accru plus fortement au cours de la période 1966-1984, mais cette hausse n’a pas connu le même rythme, ni par milieu, ni par région. A Tataouine par exemple, l’âge moyen au mariage est passé de 19,8 ans à 21,0 ans lors de la période indiquée, soit un gain de 1,2 an, contre 5,1 années à Tozeur lors de la même période. Il en a été de même des autres constituants de la fécondité. Or ces constituants sont interdépendants : plus le niveau d’instruction s’élève, plus les femmes travaillent et plus elles se marient tard. Il n’en demeure moins que peu à peu, les écarts régionaux se sont resserrés sauf à Tataouine qui resta en dessous de la moyenne nationale, soit plus de 25 ans d’âge en moyenne pour le premier mariage en 2004. Globalement, on se marie tard dans le Grand Tunis et dans le Centre-Est, c'est-à-dire les régions les plus développées ; on se marie tôt (quand on le peut) dans le reste du pays, c'est-à-dire dans les régions les moins développées. C’est à la fois une question de mœurs, de modèle social dominant et d’opportunités économiques.
Age du premier mariage par région
| 1978 | 1994-1995 |
Grand Tunis | 24,9 | 27,9 |
Nord-Est | 23,5 | 25,1 |
Nord-Ouest | 24,2 | 26,8 |
Centre-Est | 21,1 | 27,4 |
Centre-ouest | 22,5 | 26,1 |
Sud | 22,0 | 25,6 |
Tunisie entière | 23,9 | 26,5 |
Malgré tout, ces nuances se sont estompées au fil du temps, de sorte que du sud au nord du pays, du littoral aux régions de l’intérieur, des régions développées à celles qui le sont moins, les Tunisiens ont adopté, graduellement, le même comportement en matière de nuptialité et de natalité bien que l’on puisse distinguer, régionalement, trois types de transition. Dans le district de Tunis et dans la région du Nord-Est, la transition de la fécondité se passa relativement tôt, effet inhérent au développement socioéconomique et à une évolution encore plus rapide des mœurs (contraception dominante). Par contre, dans les régions du Centre-Est et du Nord-Ouest, la transition fût moins rapide bien que le niveau de développement des deux régions citées ne soit pas similaire (contraception + nuptialité). Dans les régions du Centre-Ouest et du Sud la fécondité resta longtemps plus élevée que la moyenne nationale, et c’est le recul de l’âge au mariage qui prima tout naturellement dans la baisse de la fécondité. Du coup, le parallèle entre développement socioéconomique et transition démographique s’impose, d’autant que la fécondité des tunisiennes est conjointement «contrôlée» tout aussi bien par la contraception, que par le mariage ou les évolutions sociétales et économiques des cinquante dernières années.
ISF par région
| 1978 (1) | 1984 (2) | 1994(3) |
Grand Tunis | 4,12 | 3,70 | 2,21 |
Nord-Est | 4,85 | 4,41 | 3,11 |
Nord-Ouest | 5,41 | 4,35 | 2,98 |
Centre-Est | 4,68 | 4,65 | 2,82 |
Centre-ouest | 7,10 | 6,20 | 4,13 |
Sud-Est | 6,08 | 5,75 | 3,41 |
Sud-ouest | 6,88 | 6,17 | 3,51 |
Tunisie entière | 5,22 | 4,64 | 3,04 |
Sources : (1) ETF : Enquête sur la fécondité de 1978 dans le cadre de l’enquête mondiale de la fécondité-WFS, (2) INS : Vol II, projection régionales 1996, (3) ETSME : Enquête tunisienne sur la santé de la mère et de l’enfant de 1994-1995, Projet PAPCHILD.
Des disparités régionales existent aussi au niveau de la mortalité générale et infantile. En 2004, le taux de mortalité infantile était inférieur à 15 ‰ dans le gouvernorat de Tunis mais s’élevait à 33 ‰ dans le gouvernorat de Tataouine. De façon générale le taux de mortalité infantile dans les régions développées comme les gouvernorats du District de Tunis (Tunis, Ariana, Ben Arous, Manouba) ainsi que dans les gouvernorats de Nabeul, Sousse, Monastir et Sfax se situe en dessous du niveau national tandis que les autres gouvernorats ont une mortalité infantile plus forte que la moyenne nationale (le taux de mortalité infantile en Tunisie atteignait 20,3‰ en 2005 ce qui situe notre pays au-delà de la centième place dans le monde, bien après Qatar, Oman, Bahreïn Jordanie, pour ne citer que les pays arabes). Au niveau des taux bruts de mortalité par gouvernorat, les données de 2004 indiquent que le gouvernorat de Kasserine se place (positivement) à la première place avec un TBM de 4,1‰ contre 10,0‰ à Béja (taux le plus élevé). Cependant avec un TBM de 4,9 ‰ le Gouvernorat de Tunis se place derrière les gouvernorats de Ariana (4,3‰), de Ben Arous (4,2‰) et de Manouba (4,7‰). Dans la région Centre-Est, région la plus développée après le District de Tunis, nous constatons que le TBM se situe en dessous de la moyenne nationale (6,0‰). Ainsi était-il de 5,4‰ à Sousse ; 6,4‰ à Monastir ; 6,5‰ à Mahdia ; 5,5‰ Sfax. Faute d’explications plausibles quant à ce qui peut être considéré comme une anomalie, nous ne pouvons que convenir que ces « discontinuités » ne sont pas explicables par les seuls effets de la migration intérieure par exemple. Quoi qu’il en soit, les gouvernorats du Sud et des régions plus au moins enclavées comme Siliana et une partie de Zaghouan et de Kairouan accusent des TBM bien supérieurs à la moyenne nationale.
Taux brut de mortalité par région de domicile
| 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 |
Grand Tunis | 4,8 | 4,7 | 4,6 | 4,5 | 5,1 | 4,5 | 4,6 |
Nord-Est | 5,4 | 5,6 | 5,5 | 5,4 | 5,8 | 6,3 | 6,4 |
Nord-Ouest | 6,3 | 7,0 | 6,8 | 6,7 | 6,9 | 8,2 | 7,3 |
Centre-Est | 5,5 | 5,7 | 5,6 | 5,4 | 5,8 | 6,6 | 5,8 |
Centre-ouest | 5,6 | 6,0 | 5,8 | 5,7 | 5,8 | 5,5 | 5,7 |
Sud-Est | 6,3 | 6,3 | 6,2 | 6,0 | 6,1 | 6,6 | 6,8 |
Sud-ouest | 5,6 | 5,7 | 5,6 | 5,5 | 5,7 | 6,0 | 7,2 |
Tunisie entière | 5,6 | 5,7 | 5,6 | 5,5 | 5,8 | 6,1 | 6,0 |
En fait, les disparités régionales sur le plan de la mortalité expriment les différences quant au niveau de développement socioéconomique atteint par chaque région (en fait par chaque localité à l’intérieur d’une même région) dans la mesure où le contexte socio-économique et sanitaire est un déterminant essentiel du niveau de la mortalité infantile. En effet, le niveau de la mortalité infantile dépend de plusieurs variables liées à la santé de la mère, la santé de l’enfant et les conditions de l’habitat. Or ces variables sont dépendantes à leur tour des variables socioéconomiques. C’est ainsi que le taux de mortalité infantile suit de très près l’évolution socioéconomique régionale. Le recensement de 2004 nous apporta à cet égard les preuves les plus inattaquables: 8 gouvernorats se situent en dessous du niveau national (Tunis, Ariana, Ben Arous, Manouba, Nabeul, Sousse, Monastir et Sfax) tandis que les autres ont une mortalité infantile plus forte que la moyenne. En se basant sur la relation qui a été définie précédemment on peut supposer que ces différences géographiques de mortalité infantile sont liées à des différences de développement économique, social, sanitaire, culturel, etc. D’évidence, le progrès sanitaire a été plus important dans les gouvernorats les plus favorisées disposant de pôles universitaires, d’infrastructures sanitaires et d’atouts économiques majeurs, tels que Tunis, Ariana, Ben Arous, Manouba
Infrastructures sanitaires par région en Tunisie, source : MSP
| Hôpitaux régionaux | Hôpitaux généraux et instituts spécialisés | Cliniques privées | |||||||
Région | 1986 | 1997 | 2004 | 1986 | 1997 | 2004 | 1986 | 1997 | 2004 | |
District de Tunis | 1 | 1 | 3 | 8 | 15 | 21 | 21 | 30 | 43 | |
Nord-Est | 3 | 6 | 6 | | | 1 | 4 | 5 | 7 | |
Nord-Ouest | 3 | 5 | 5 | | | | 2 | 4 | 5 | |
Centre- Ouest | 2 | 3 | 3 | | | | | | 2 | |
Centre-Est | | 5 | 6 | 3 | 5 | 7 | 7 | 12 | 15 | |
Sud-Ouest | 3 | 4 | 4 | | | | | 1 | 2 | |
Sud-Est | 2 | 5 | 3 | | | | 1 | 6 | 7 | |
Total | 14 | 29 | 33 | 11 | 20 | 29 | 35 | 58 | 81 |
Comme nous le montre le tableau-joint, les disparités régionales au niveau sanitaire sont criardes. La concentration des infrastructures sanitaires dans le littoral est d’autant plus préoccupante qu’elle risque de s’accentuer dans l’avenir en raison du basculement démographique vers le littoral d’une part, des dommages «collatéraux» de la réforme de l’assurance maladie d’autre part. Cette perspective est naturellement risquée dans la mesure où les disparités régionales en matière d’infrastructure sanitaire se sont suffisamment aggravées ces dernières années. En effet, entre 1986 à 2004, le nombre d’établissements hospitaliers autres que les hôpitaux régionaux a très fortement augmenté dans le district de Tunis (+45) et la région Centre-Est (+12) mais presque pas ailleurs (+7 pour tout le reste de la Tunisie).
Il reste à évoquer la troisième composante du vieillissement de la population : les mouvements migratoires. Le recensement de 2004 a confirmé ce qu’on savait déjà à propos du sens et de l’intensité de ces courants. Schématiquement c’est une portion du littoral qui va de Sfax à Tunis qui continue à accueillir l’essentiel de ces mouvements migratoires, le reste du pays continuant à fournir l’essentiel des contingents, en particulier une large bande qui va de Jendouba jusqu’à Kasserine en incluant Sidi-Bouzid et Siliana. Ceci n’exclut pas les effets propres aux mouvements migratoires à double détente comme ceux partant de certaines régions vers Sfax et du Sahel d’abord pour aller ensuite vers le District de Tunis par exemple.
Migration inter-gouvernorat selon le district (1999-2004)
| Entrant | Sortant | Migration nette 1999-2004 | Migration nette 1989-1994 |
Grand Tunis | 200,3 | 141,8 | 58,5 | 47,8 |
Nord-Est | 41,5 | 37,0 | 4,5 | -0,3 |
Nord-Ouest | 25,2 | 70,5 | -45,3 | -35,9 |
Centre-Est | 106,6 | 57,0 | 49,6 | 18,6 |
Centre-Ouest | 22,1 | 74,6 | -52,5 | -23,9 |
Sud-Est | 32,7 | 37,2 | -4,5 | -2,7 |
Sud-Ouest | 16,2 | 26,5 | -10,3 | -3,6 |
Total | 444,6 | 444,6 | 0,0 | 0,0 |
On peut distinguer à ce propos quatre étapes historiques plus au moins distinctes. La première va schématiquement de la colonisation à l’indépendance du pays en 1956. Elle se caractérise par l’apparition et ensuite la pérennisation des effets de la pénétration coloniale agricole sur la donne démographique et économique du pays. Le premier basculement démographique de l’intérieur et du sud vers Tunis et une partie du littoral date en effet du « dégraissage » opéré par les nouveaux maîtres européens dans la population autochtone vivant jusqu’alors sur ces terres. Les nouveaux maîtres avaient vite fait d’élaguer la population trouvée sur place du surplus de population qu’ils estimaient non nécessaire à l’exploitation des terres nouvellement conquises. C’est de cette époque que datent les premières migrations notables vers Tunis ou Sousse. La seconde phase va grossièrement de l’indépendance à la crise de Bizerte et la nationalisation des terres agricoles en 1964. Elle se caractérise par l’exode massif de la population européenne et par le déclenchement d’une migration intérieure «d’attente» d’autre part. En effet, une partie des migrants installés à Tunis lors de cette période ne considéra cette étape que comme une étape pouvant lui faciliter l’accès à la France ou à l’Allemagne. La troisième phase est relative aux conséquences propres à la collectivisation dont le point culminant se situe en 1968-69 et qui devait aboutir à une espèce d’exode de « survie ».
Certains quartiers peuplés de Tunis ont émergé dans ce contexte. En tout état de cause, le principal ressort de l’exode demeure inchangé: la recherche de meilleures opportunités d’emploi, d’éducation et de formation. On va donc des campagnes vers les villes moyennes pour satisfaire ces besoins, et si cela ne suffit pas, on prend la direction du District de Tunis ou de Sousse, Monastir, Sfax ou Nabeul.
Migration intérieure inter-gouvernorat selon la cause principale (1999-2004)
Cause principale | Population en 1000 | Taux |
Travail | 117,1 | 26,40% |
Achat de logement | 15,4 | 3,40% |
Amélioration des conditions d’habitat | 21,2 | 4,80% |
Mariage | 36,8 | 8,30% |
Accompagnement de la famille | 190,5 | 42,80% |
Etudes | 50,8 | 11,40% |
Autres | 12,8 | 2,90% |
Total | 444,6 | 100,00% |
Les disparités régionales au niveau de la natalité, de la mortalité et de la migration intérieure ont conduit tout naturellement à l’émergence de disparités régionales quant au vieillissement démographique prévalant dans les régions. C’est ainsi qu’en 2004, le Gouvernorat du Kef s’est révélé comme étant le plus « vieux » la proportion des 60 ans et plus dans la population totale de la région atteignant 12,1% contre 7,1% dans les Gouvernorats de l’Ariana ; 7,5% à Ben Arous ; 8,1% à Monastir ; 8,4% à Sousse et 9,5% pour la moyenne nationale. A l’opposé, la part des 60 ans et plus dans la population totale du gouvernorat atteignit 11,5% à Béja ; 11,4% à Jendouba ; 11,2% à Siliana. Ce n’est certainement pas un hasard si les gouvernorats les plus «vieux» sont ceux-là mêmes qui connaissent les plus forts courants migratoires alors que les gouvernorats les moins « vieux » sont ceux qui accusent un solde migratoire positif.
Recensement de 2004 : indicateurs démographiques par gouvernorat
Gouvernorat | Population 0-4 ans en % | Population 60 ans et plus en % | Répartition proportionnelle de la population | Taux d’accroissement annuel moyen |
Tunis | 7,0% | 10% | 9,9% | 1,03% |
Ariana | 8,3% | 7,1% | 4,3% | 3,81% |
Ben-Arous | 8,0% | 7,5% | 5,1% | 3,13% |
Mannouba | 7,6% | 8,2% | 3,4% | 1,89% |
Nabeul | 8,2% | 9,5% | 7,0% | 1,83% |
Zaghouan | 8,4% | 9,8% | 1,6% | 1,19% |
Bizerte | 7,7% | 9,8% | 5,3% | 0,82% |
Béja | 7,5% | 11,5% | 3,1% | 0,02% |
Jendouba | 7,6% | 11,4% | 4,2% | 0,29% |
Le Kef | 7,4% | 12,1% | 2,6% | -0,51% |
Siliana | 7,9% | 11,2% | 2,3% | -0,45% |
Kairouan | 9,1% | 9,7% | 5,5% | 0,25% |
Kasserine | 9,8% | 8,6% | 4,2% | 0,64% |
Sidi Bouzid | 8,7% | 9,3% | 4,0% | 0,48% |
Sousse | 8,6% | 8,4% | 5,5% | 2,30% |
Monastir | 9,3% | 8,1% | 4,6% | 2,27% |
Mahdia | 9,0% | 10,1% | 3,8% | 1,19% |
Sfax | 8,0% | 9,9% | 8,6% | 1,54% |
Gafsa | 8,2% | 8,5% | 3,3% | 0,51% |
Tozeur | 8,8% | 9,1% | 1,0% | 0,91% |
Kébili | 7,6% | 10,0% | 1,4% | 0,83% |
Gabès | 8,0% | 9,7% | 3,5% | 0,95% |
Médenine | 8,2% | 9,9% | 4,4% | 1,14% |
Tataouine | 8,4% | 10,2% | 1,4% | 0,56% |
Ensemble | 8,2% | 9,5% | 100,0% | 1,21% |
Les repères et la symbolique
Sur le plan national, l’ISF se situe aujourd’hui en dessous du seuil qui assurerait, en théorie, le renouvellement des générations (en arrondi 2,1 enfants par femme). On peut donc dire que désormais il n’y a pas assez de naissances pour que dans trente ans nous nous trouverions avec le nombre nécessaire de femmes en âge de procréer pour assurer le renouvellement des générations. En un mot, notre capacité de reproduction décline irrémédiablement.
Année | 1990 | 1995 | 2000 | 2005 | 2006 |
Taux brut de natalité pour 1000 habitants | 25,2 | 20,8 | 17,1 | 17,1 | 17,1 |
Taux brut de mortalité pour 1000 habitants | 5,6 | 5,8 | 5,6 | 5,9 | 5,6 |
Taux d’accroissement naturel de la population en % | 1,96 | 1,50 | 1,14 | 1,12 | 1,15 |
Indice synthétique de fécondité | 3,38 | 2,67 | 2,08 | 2,04 | 2,03 |
Taux de mortalité infantile pour 1000 naissances | 37,3 | 30,5 | 24,2 | 20,3 | 19,1 |
Source : INS
En fait, la plupart de nos principaux paramètres démographiques nous situent d’ores et déjà plus près des pays développés que des pays en développement: fécondité et natalité en berne, mortalité infantile en baisse, espérance de vie en hausse, vieillissement de plus en plus prononcé de la population. Dans la mesure où tout laisse à penser que les tunisiennes feront de moins en moins d’enfants en moyenne et que l’espérance de vie continuera à augmenter, le vieillissement démographique s’accentuera en conséquence. L’année 1992 peut-elle être considérée à ce propos comme l’année charnière. C’est en effet en 1992 que le nombre de naissances observées a atteint son apogée : 211.649 naissances. Ce nombre n’a pas cessé de chuter depuis.
Année | 1989 | 1990 | 1991 | 1992 | 1993 | 1994 | 1995 | 2000 |
Population au 1er Juillet en 1000 | 7932,2 | 8099,3 | 8253,0 | 8414,8 | 8572,2 | 8815,3 | 8957,5 | 9563,5 |
Naissances observées | 199459 | 205315 | 207455 | 211649 | 207786 | 200223 | 186416 | 163089 |
Décès corrigés | 44600 | 45700 | 46500 | 46300 | 50300 | 50300 | 52000 | 53700 |
Mariages | 55163 | 55612 | 64700 | 64700 | 54120 | 52431 | 53726 | 63902 |
Source : INS
En fait, les naissances observées sont passées à moins de 200.000 dès 1995 pour atteindre 163.000 en 2000. Naturellement, les effectifs des élèves du 1er cycle de l’école de base ont suivi une pente similaire avec le décalage qui sied. Dans cet ordre, l’année scolaire 1994/1995 est à considérer comme symbolique, elle aussi, dans la mesure où les effectifs des élèves du 1er cycle de l’école de base ont commencé à décliner à partir de cette année-là pour atteindre près d’un million actuellement. Quant à l’effectif des enseignants du primaire, le voilà lui aussi en phase de décrue puisque cet affectif est passé de 60072 enseignants au cours de l’année scolaire 2000/2001 à 57739 au cours de l’année scolaire 2006/2007. Désormais et quel que soit l’effort pour diminuer le nombre moyen d’élèves par enseignant, l’effectif des enseignants de l’école de base est condamné à décroître, soulevant par là même la question des débouchés pour tous ceux qui, en grand nombre, se destinent (ou que leur score au bac destine) à la carrière d’enseignant.
Effectifs du 1er cycle de l’école de base (public)
Année | 1990/91 | 1991/92 | 1992/93 | 1993/94 | 1994/95 | 1995/96 | 2000/01 | 2006/07 |
Nombre d’élèves | 1398119 | 1417803 | 1432112 | 1467411 | 1472844 | 1460101 | 1363393 | 1053416 |
Nombre d’enseignants | 50280 | 53652 | 54560 | 55720 | 58279 | 59432 | 60072 | 57739 |
Nombre moyen d’élèves/enseignant | 27.8 | 26.4 | 26.2 | 26.3 | 25.3 | 24.6 | 22.7 | 18.2 |
Nombre d’écoles | 3841 | 3940 | 4044 | 4164 | 4286 | 4349 | 4465 | 4504 |
Pendant un demi-siècle, la « jeunesse » de la population tunisienne se voyait à la sortie des écoles. Par un malin retournement de situation, c’est le vieillissement de cette même population qui se lit désormais à la sortie de ces mêmes écoles si jamais elles existent encore (du moins en partie). Dans vingt ans, les effectifs du supérieur baisseront aussi en dépit des « corrections » qui pourraient être apportées au nombre de bacheliers par génération, classe d’âge ou cohorte. Quelle dérision alors pour un pays qui aura vieilli aussi rapidement qu’il avait mis du temps à rajeunir.
Conclusion
La Tunisie est entrée de plain-pied dans un nouvel âge démographique caractérisé par des taux de fécondité et de mortalité bas et par une pyramide d’âges dont les « rondeurs » remonteront de plus en plus haut. Dans quelques temps, cela tiendra alors plus du bonhomme Michelin que d’une pyramide. D’aucuns pourraient croire malgré tout que le cours des choses pourrait s’inverser, d’autorité, et qu’il suffit pour ce faire d’agir administrativement, financièrement, socialement ou même « cultuellement », directement ou indirectement, pour re-situer la fécondité au niveau de 3 ou 4 enfants par femme. Cette vue ne constitue qu’un leurre ou une stupidité. Car faire repasser la barre des trois ou quatre enfants par femme à la fécondité requerrait nécessairement (mais pas suffisamment) que les jeunes tunisiennes d’aujourd’hui soient remodelées de force à l’image de nos grands-mères, qu’on leur fassent déserter en masse les bancs de l’école, qu’on les privent d’emplois, qu’elles soient strictement confinées aux travaux domestiques et qu’on leur fassent porter le « safsari » ou le « bakhnoug » pour sortir dans la rue, sans parler de l’interdiction absolue pour elles de conduire une voiture, de voter ou même de porter un pantalon.
Il en résulte que nous devrions prendre définitivement acte du fait que notre démographie, nos canons socioculturels et nos mœurs ont franchi un point de non retour. Ce grand chambardement est évidemment à prendre en considération dans sa globalité car les problèmes engendrés par le vieillissement de la population vont très au-delà des déséquilibres financiers des régimes de retraite ou de l’accroissement des dépenses nationales de santé. En effet, le vieillissement de la population aura nécessairement des impacts redoutables sur tous les aspects de notre vie et sur la totalité des perspectives économiques et sociales de la nation. Cela peut aller de l’investissement à la consommation, du mode de fonctionnement des entreprises à l'organisation du travail et à l'aménagement urbain; ou bien encore à ce que nous avons considéré jusqu’ici comme un tabou absolu : l’accueil et l’accompagnement des personnes très âgées ou handicapées en dehors du cercle familial traditionnel. Cela touchera aussi la culture, la pensée, les transports, les loisirs ou les habitudes alimentaires. Mais au-delà de ces effets mécaniques sur les finances et l’économie, il est à craindre que le vieillissement de la population puisse avoir un impact autrement plus dévastateur sur le moral de la nation. Avec le vieillissement, c’est en effet la mentalité collective qui risque de régresser entraînant ainsi l’inhibition des classes dirigeantes et des élites et par là même la peur d’entreprendre et d’innover. Avec le vieillissement c’est en fait le conservatisme politique et culturel qui prend le dessus. Il y a quelques années, mon maître et ami Alfred SAUVY avait fait, à ma demande, lors des « Journées Z.Essafi » de la faculté de médecine de Tunis, une brillante et taquine digression sur la chute brutale de la natalité et l’affaiblissement politique, militaire et moral de Rome au cours du troisième siècle de notre ère (sans nier pour autant la menace des barbares). Avec le recul, rien ne me paraît plus salvateur et iconoclaste que ce coup de pied dans la fourmilière car nos dirigeants de l’époque étaient farouchement et aveuglement malthusiens.
Bien sûr, le vieillissement de la population ne constitue pas un phénomène spécifique à notre pays puisque les démographes prévoient que d’ici la moitié de ce siècle, les personnes âgées de plus de 65 ans représenteront environ 15% de la population mondiale, contre 7% aujourd'hui. Tous les pays sont ou seront touchés par le vieillissement de leur population. Cependant, ce choc peut être absorbé différemment par les économies nationales. C’est d’ailleurs là que se situe une autre des nombreuses particularités tunisiennes dans la mesure où notre «profil» démographique général est d’ores et déjà proche de celui des pays développés alors qu’on ne peut pas dire autant de notre niveau de développement ou de nos performances économiques. Cela ne veut pas dire que les effets du vieillissement de la population seront forcément plus graves pour nous ni que notre pauvreté relative mettra davantage au supplice nos systèmes de santé et de retraite. En fait, tout dépendra des mesures qui seront prises pour parer à ce bouleversement en posant comme hypothèse de travail que toutes les sociétés modernes sont condamnées à « vieillir » puisqu’il s’agit là d’une évolution inscrite pour ainsi dire dans la «destinée» glorieuse du développement économique et social. Sous cet angle, le vieillissement de la population apparaît du reste comme le tribut que les populations modernes doivent payer pour que les humains puissent vivre plus longtemps ou plus confortablement. Ceci n’exclut pas ce que pourrait charrier pour chacun d’entre nous la fortune ou l’infortune du hasard et l’implacable « résidu » de l’héritage génétique. En fait, la question qui se pose désormais est de savoir quand et comment allons-nous entamer la « révolution culturelle » qui s’impose. Il s’agit, entre autres, de revoir la notion administrative de retraite puisque notre système de retraite, comme tous les autres systèmes d’ailleurs, a retenu jusqu’ici une définition légale de la vieillesse qui correspond de moins en moins à la réalité physiologique du vieillissement. Il est vrai que pour ce faire il nous faudra d’abord réussir à se libérer de l’emprise paralysante de certains dogmes dominants comme cette une vulgate absurde selon laquelle un retraité de plus= un chômeur de moins, alors que la vraie égalité s’établit ainsi: une création d’emploi en plus= un chômeur de moins.