A Carthage : les secrets d'une maison qui intrigue les passants, fait s’arrêter les touristes, et désole les riverains
Nous sommes à Carthage, à l’aplomb de la colline la plus célèbre de l’antiquité: celle d’où l’on vit arriver dans les ports puniques la flotte d’Elyssa, la princesse fugitive. Celle que cette rusée bâtisseuse de civilisations entreprit de cerner d’une peau de vache. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, blancheur étincelante et luxuriance maitrisée.
Insolite dans ces lieux, balafrée, dégradée, malmenée, par le temps mais surtout par les hommes, une grande maison intrigue les passants, fait s’arrêter les touristes, et désole les riverains.
Dominant le site, ancrée dans la montée, accessible par un escalier de pierres plates aujourd’hui dévoré par les mauvaises herbes, cette demeure a pourtant du avoir un passé prestigieux. Une plaque de marbre en donne la date de naissance: 1914, soit la veille de la première guerre mondiale. Le nom de la demeure, «Sainte Anne», gravé sur cette même plaque, laisse supposer des liens étroits avec la cathédrale proche. Ceci pour le passé ancien. Le passé proche est, hélas, beaucoup plus chaotique, et moins glorieux.
La maison a été acquise il y a quarante ans par une citoyenne tunisienne. Amie des arts, mélomane passionnée, musicienne et amie des musiciens, elle souhaitait, et souhaite toujours, créer, dans ce lieu privilégié, au pied de l’Acropolium, à un jet de pierre du Palais d'Erlanger, un lieu de rencontre et d’échanges. Elle avait pour projet de réunir en ces murs les anciens musiciens souvent oubliés du public et les jeunes avides de savoir. Elle souhaitait permettre aux uns de transmettre leur expérience aux autres, et aux seconds de recueillir cette mémoire en une filiation bien comprise.
Ceci, c’est le rêve, bien conçu, bien construit, bien pensé, structuré, étudié, et aisément réalisable.
A l’arrivée, un cauchemar: quarante années de procédures, de procès, de vaines querelles, de mauvaise foi, de spoliations avérées, d’influences de réseaux occultes, de petites combines et de grandes malversations.
La maison était occupée lors de l’acquisition, certes. Les locataires ont refusé leur droit de priorité à l’achat, mais depuis se sont curieusement multipliés, ont joyeusement sous loué les lieux, fait hériter leurs proches du droit d’occuper les espaces, ont grignoté tout ce qu’il y avait à occuper, ont même construit maisons et dépendances dans le jardin, mais surtout, surtout ont honteusement dégradé la maison. On ne parle même pas des statues arrachées, des revêtements de marbres et de céramiques, décollés. Celle-ci, aujourd’hui, menace ruine: plafonds éventrés, sols arrachés, escaliers branlants, murs troués, portes démontées ou sommairement barricadées, balcons tenant à un fil, couloirs effondrés, l’état de la maison est innommable, et surtout dangereux. Rien ne reste de ce qui aurait du être une bâtisse classée, de ce qui aurait pu devenir un magnifique espace culturel, lieu de transmission du savoir et du patrimoine musical.
Aujourd’hui, l’urgence est de sauver la demeure avant qu’elle ne s’effondre sur ses habitants.
La propriétaire des lieux ne baisse pas les bras. Nullement découragée par quarante années de vains efforts, elle continue de porter son rêve, et d’espérer pouvoir un jour voir ses droits reconnus, et son rêve musical réalisé.