News - 04.01.2017

Dans l’intérêt national, Youssef Chahed maintiendra-t-il les diplomates arrivés à l’âge de la retraite

Le grand casse-tête de Jhinaoui

Youssef Chahed doit prendre son courage à deux mains et trancher ! La diplomatie tunisienne ne peut pas se permettre le luxe aujourd’hui de se départir de ses meilleurs éléments sous prétexte d’atteinte de la fatidique limite d’âge de 60 ans pour partir à la retraite. Pas moins de quatre ambassadeurs (à Ankara, Vienne, Abu Dhabi et Amman) se sont vu notifier courant décembre dernier leur fin de mission. Leur a-t-on laissé le temps pour faire leurs adieux en pleine période de fêtes de fin d’année et autres. A-t-on pris en considération l’importance de leur mission dans leurs pays d’accréditation ? A-t-on songé à d’imminents grands évènements tels que le sommet arabe, devant se réunir dans l’une des capitales concernées ? S’est-on soucié de la scolarité de leurs enfants et de la perturbation qu’on leur cause, surtout pour ceux qui préparent le Bac cette année? 

Mais, aussi, leurs successeurs sont-ils désignés et leurs demandes d’agrément envoyées.

Cinglante ingratitude

Ce couperet des 60 ans n’a pas touché uniquement des ambassadeurs en poste à l’étranger. L’un de leurs collègues, en charge d’une grande direction au siège du département ne s’est pas encore remis de sa surprise. Revenant d’une mission à l’étranger fin décembre, il a renoncé à aller se reposer à la maison, préférant regagner son bureau immédiatement dès son arrivée à l’aéroport. Pour tous remerciements de son ardeur et de ses bons et loyaux services, il a trouvé une lettre sommaire l’invitant à constituer son dossier de retraite avant le 31/12. Nous connaissons l’ingratitude de la fonction publique, mais il est difficile de l’imaginer aussi mécanique, aussi décapante. Il ne faudrait plus déplorer que les meilleures compétences fuient le service public.

Jhinaoui était passé lui-même par cette injustice

Le ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, diplomate de carrière, avait lui-même enduré pareille épreuve, lorsqu’il avait atteint en 2014, l’âge de la retraite. Une procédure de maintien en activité avait alors été prise en sa faveur par le chef du gouvernement (pour exercer en tant que directeur de l’Institut diplomatique). Puis un poste de représentant de la Ligue arabe à Madrid avait été sollicité par la Tunisie en sa faveur. Il avait failli l’obtenir, mais l’élection de Béji Caïd Essebsi à la Présidence de la République l’avait conduit à le rejoindre à Carthage, en janvier 2015, avant d’être nommé ministre en février 2016. Deux enseignements à tirer : la Tunisie ne laissait pas partir automatiquement ses compétences, et à la limite, s’employait à leur trouver d’autres affectations dans des organisations régionales et internationales.

Pas moins d’une vingtaine de grands diplomates tunisiens en poste à l’étranger et dans des positions élevées au siège, quitteront leurs fonctions au cours de l’année 2017. Quand on sait que sur les effectifs totaux du ministère des Affaires étrangères au nombre bien limité de 1162 agents, techniciens et autres catégories de fonctionnaires, couvrant plus de 90 pays, les diplomates ne sont que 455 seulement, dont moins de 160 sont affectés au siège, on réalise la modestie des ressources humaines dont dispose notre diplomatie. (Lire le cours inaugural magistral du ministre, à la Faculté de Droit de Tunis, le 18 octobre 2016).

Chahed dans son plein droit

Le ministre Jhinaoui a-t-il bien défendu le cas de ses collègues sous avis de départ, auprès du chef du Gouvernement ? Sans doute. C’est ce qu’on nous affirme à la Kasbah. Youssef Chahed y sera-t-il compréhensif pour donner suite à cette démarche ? Tout porte à le croire. Même s’il a été intransigeant quant à la stricte application de sa décision générale du départ à la retraite à l’âge de 60 ans, il a tous les arguments sur son bureau pour procéder à une dérogation spéciale en faveur des compétences concernées. Au cas par cas, s’il le faut, avec d’autres affectations utiles, si nécessaire et ce en attendant de réviser la législation en vigueur pour proroger l’âge de la retraite des diplomates à 65 ans, à l’instar des enseignants universitaires et des magistrats. On ne forme pas facilement un grand diplomate, on ne doit pas s’en séparer automatiquement. 

En pleine guerre contre le terrorisme, et au vu de la forte demande de relance des investissements extérieurs, la Tunisie a besoin de mobiliser un soutien politique, économique et sécuritaire significatif en sa faveur. Dans ce nouveau monde en pleines mutations (Brexit, Trump, Poutine, les élections en France et en Allemagne, l’Union européenne ...), la diplomatie constitue un atout majeur pour notre pays qu’il convient de consolider en compétences, comme en ressources budgétaires.

60 ans, c’est l’âge où le diplomate, ayant accumulé les expériences et affirmé sa connaissance des dossiers internationaux devient encore plus opérationnel, et plus utile à l’encadrement de ses jeunes collègues. Un capital d’expertise à ne guère dilapider. De nombreux pays, notamment occidentaux, l’ont compris. Les Nations-Unies et de grandes institutions internationales aussi. 

Ne privons pas la Tunisie de sa prestigieuse et efficace diplomatie, qui célèbre son soixantenaire fière de méritoires accomplissments, ne privons pas notre diplomatie de ses vaillants serviteurs.

Taoufik Habaïeb

 

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