La situation économique en Tunisie vue par un expatrié
De retour au pays pour un bref séjour, j’ai pris plaisir à prendre part à une séance des «matinales de l’IHEC» organisées par l’association « Alumni IHEC Carthage » et qui portaient sur la thématique de l’après Tunisia 2020 avec un panel de choix constitué de Fadhel Abedelkefi, ministre du développement, de l’investissement et de la coopération internationale et de Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA.
Eloquent dans son verbe et maitrisant son sujet, M. Abdelkefi a tenu un discours clair et franc rompant avec la langue de bois de jadis en évitant de se prêter à un discours pompeux sur son fait d’armes, celui de la réussite de la conférence internationale sur l’investissement.
le ministre a entamé son intervention par un constat sur la situation économique qui le résume avec une formule (qui risque de devenir célèbre si les choses ne changent pas) « les équilibres macroéconomique du pays sont au bord de la rupture ». Une situation qui, selon lui, tient à la politique expansionniste poursuivie après l’avènement du 14 janvier et dont le corollaire est le creusement du déficit public. Il a évoqué ensuite la conférence de la Tunisie 2020 en se gardant de tout triomphalisme. Certes la conférence fut une réussite compte tenu de la qualité des participants et des projets adoptés, mais surtout en termes d’amélioration de l’image du pays. Toutefois, cet optimisme a besoin d’être consolidé par l’exécution de ces projets qui se heurte à une machine administrative lourde. Le ministre a avancé que « les premiers coups de pioche pourraient pourraient être donnés fin 2017 ou au début de l’année prochaine ». Il a aussi tenu à préciser que l’image positive du novembre a été écornée par les derniers attentats terroristes comme celui de Berlin notamment.
Le ministre a conclu son intervention par la confirmation que les décrets d’application du le nouveau code d’investissement ont été pris. Toutefois, il a tenu à rappeler qu’ils peuvent être modifiés en cas de besoin, rassurant ainsi, tous ceux qui portaient un regard critique sur le nouveau code et sur ses textes réglementaires.
Pour sa part, la présidente de l'Utica à tenu à rappeler l’apport de la syndicat patronal dans le processus du développement du pays aussi bien au niveau de l’investissement dans un contexte très difficile, mais surtout dans le maintien de la paix sociale notamment avec le rôle majeur joué par l’UTICA lors du dialogue nationale et de l’adoption de la feuille de Carthage. . Elle était dans son rôle de défenderesse des hommes et femmes d’affaires tunisiens et dans sa critique sur la loi de finances et notamment la contribution conjoncturelle et du climat difficile pour la conduite des affaires dans un pays où chacun donne l’impression de défendre son petit carré sans se soucier de la situation très fragile du pays.
A la suite de ces deux interventions, la parole à été donnée à la salle. Les participants ont convergé sur le constat affligeant d’une image de plus en plus déplorable que donne la Tunisie sur la scène internationale et dont les conséquences sont désastreuses sur son attractivité. Le gouvernement en a pris pour son grade puisque nombreux sont ceux qui ont pointé un manque d’autorité et de défaillance au niveau de la gestion sécuritaire et économique du pays en prenant pour exemple les derniers évènements de Kasserine et le cas Petrofac.
Un constat que le ministre «comprend» mais dont il ne partage pas forcément toute la teneur rappelant ainsi qu’il y aussi la moitié pleine au verre qu’il faut aussi prendre en considération et que l’action publique reste sujette à des contraintes, mais surtout à des réalités que l’approche coercitive ne peut constituer l’unique réponse.
Ce que je retiens de cette rencontre:
- Il y a visiblement une crise de confiance entre le monde des affaires et le gouvernement auquel on reproche un manque de fermeté et un certain laxisme à traiter les questions de sécurité. Les femmes et hommes d’affaires demandent que le gouvernement assume sa responsabilité pour favoriser un climat plus propice pour l’investissement.
- L’image du pays était la préoccupation majeure des participants. Toutefois, j’ai l’impression qu’on perd de vue que le souci majeur de l’investisseur reste l’opportunité. Longtemps l’opportunité qu’offrait le pays était celle d’une main d’œuvre pas chère couplée avec un arsenal législatif favorisant l’implantation des investissements étrangers notamment avec des avantages fiscaux substantiels. Aujourd’hui, il est temps de créer de nouvelles opportunités dans le domaine de l’infrastructure, des technologies d’information, etc. D’autres pays ont une image plus déplorable que le nôtre, pourtant les investisseurs s’y ruent car ils présentent des atouts que ce soit au niveau de la taille du marché, des ressources naturelles ou de la qualité des projets publics.
- « Le travailler ensemble » semble de plus en plus un vœu pieux avec des intérêts corporatistes de plus en plus marqués. Or, la situation exceptionnelle implique une approche exceptionnelle où chacun devra y mettre du sien. Le ministre l’a clairement dit, si le gouvernement d’union nationale tombe, celui qui le remplacera portera le nom du « salut national » pointant ainsi la nécessite impérieuse de converger sur une vision et une action commune
- La vision commune est justement celle qui fait défaut. Il y a un manque de cohérence évident dans l’action gouvernementale comme l’a évoqué, à juste titre, une participante au colloque.
- Il faut rompre avec le discours alarmiste et négatif que nous véhiculons sur le pays et sur nous-même, faire preuve d’optimisme et de positivisme sans évidemment tomber dans l’excès. Mais il est évident l’amélioration de l’image reste aussi une question de perception qui gagnerait à être plus positive.
Je rentre avec une impression très positive sur Fadhe lAbdelkafi était impressionnant dans son discours et pertinent dans ses analyses. Il comprend parfaitement les problèmes des hommes d’affaires (étant lui-même un homme d’affaire), et reste habité par l’esprit d’équipe dont il fait partie (C’est tout en son honneur). Il défend l’action gouvernementale mais se gardant de toute langue de bois. Une valeur sûre pour le pays et nous devons nous féliciter qu’il soit au gouvernement. C’est le calibre dont la Tunisie a besoin.
Mohamed Fayçal Charfeddine