Saber Oueslati: Homme de théâtre reconverti dans la satire politique
Certains le trouvent «lourd», d’autres drôle et pertinent dans ses analyses satiriques sur la situation politique.
Saber Oueslati, chroniqueur à IFM, est avant tout homme de théâtre. Disciple de Taoufik Jebali, à qui il doit une part de son parcours artistique sur scène, le chroniqueur satiriste a puisé sa soif d’écriture dans le vivier de ses expériences théâtrale dans le cadre desquelles il a aussi bien confirmé son talent d’acteur qu’endossé les costumesd’auteur et de metteur en scène.
Saber Oueslati n’aime pas être qualifié d’humoriste. «Aux antipodes des humoristes qui font des blagues apolitiques et parfois, il faut le dire, un peu niaises, j’estime que ma conception de l’humour est plus recherchée», insiste- t-il.
L’homme de 38 ans a des convictions. Car en plus de s’être forgé une culture politique en rejoignant les rangs de l’opposition de gauche sous le régime de Ben Ali, Oueslati est doté de cette propension à la provocation propre aux artistes. Pourtant, après l’obtention de son bac Lettres, c’est dans le domaine de l’informatique (à l’Imset) qu’il décide de poursuivre ses études universitaires, estimant qu’il s’agit d’un secteur économique prometteur pour les jeunes diplômés. Après un bref passage par la Téléperformance, il rejoint le service relations clients de Tunisiana, au moment où la compagnie inaugurait son club de théâtre.
Apparition sur scène
C’est là que tout se joue pour le futur acteur et scénariste. Friand de quatrième art, il s’y inscrit hâtivement et développe un talent d’acteur et d’auteur qui sera très vite reconnu par les professionnels de la scène. Car le club accueille les chevronnés du théâtre tunisien, parmi lesquels Atef Ben Hassine, pour initier les aspirants acteurs aux arcanes du métier. Petit à petit, il se fait entraîner par un condisciple au club du Teatro pour prendre des cours approfondis. Oueslati se met alors à collaborer avec Taoufik Jebali dans le jeu et l’écriture – il contribue à la conception scénaristique des pièces jouées par la troupe.
«En seulement quelques mois, je me suis retrouvé sur scène, en 2009, à l’amphithéâtre de Hammamet pour jouer dans ‘Manifesto Essourour’, pièce écrite par Taoufik Jebali dans le cadre du centenaire d’Ali Douagi», explique l’acteur. S’il campe un rôle mineur, la représentation de la pièce au Festival international de Carthage lui garantira tout de même le plébiscite du public et le décollage de sa carrière.
En 2010, il figure parmi les comédiens de «Dernier Soupir» de Soumaya Bouallagui et de «Danse avec le singe» de Taoufik Jebali– dont il coécrira le scénario. La production de «L’isoloir» (Al-Khalwa), dans laquelle il déploiera autant d’énergie que de créativité au côté de son mentor Jebali, sera pour lui l’occasion de révéler sa vocation d’auteur et de se découvrir un penchant marqué pour des genres particuliers de jeu, en particulier celui qui recourt à l’humour décalé. «C’est une pièce d’humour noir qui traite des élections et de la démocratie. On l’a jouée plus de cent fois, dont plusieurs à l’étranger», se réjouit-il.
«Le couffin et la gamelle» (qu’il a écrite), «Etre noir dans la verte», «Klem Ellil Zéro Virgule» ou encore «L’isoloir 2» figureront parmi ses prestations les plus acclamées.
Irruption médiatique
Son écriture s’améliore, son jeu s’affine et ses prestations pullulent. La popularité de l’acteur monte en flèche. Abordé en 2012 par Boubaker Ben Akacha, qui souhaite devenir son acolyte, Saber Oueslati accepte le défi consistant à construire un personnage satirique pour la radio. «Il a fallu que je fasse appel à ́l’aventurier qui sommeillait en moi, explique- t-il. Car la difficulté de la tâche me paraissait rédhibitoire. Les codes d’écriture de chroniques de format radio sont en tout point différents du style scénaristique de théâtre, plus littéraire et moins dépouillé.»
Mais défi accepté. Il se met à chroniquer au sein de la rubrique «Al Mouhannak Assyessi» de l’émission «A la page» animée par Boubaker Ben Akacha sur Mosaïque FM. Chroniques dont la préparation occupera tous ses week- ends, jusqu’à 2014, et qui constitueront surtout un prétexte à l’expression d’opinions tranchées et railleuses visant à la dérobée l’ensemble de la classe politique.
Passage réussi à la télévision
La télévision lui fait également du pied et veut tirer profit de ses talents de dialoguiste et d’acteur. Entre 2013 et 2015, il jouera dans des sitcoms sur Nessma TV («Nsibti Laziza»), Attessia TV («Ambulance») et Hannibal TV («Dépanini» et «Dar al Ozzeb»). En mai 2013, il rejoint de nouveau – mais pour seulement deux mois- celui qu’il considère comme le mentor qui l’a familiarisé avec l’univers codifié de la radio, Boubaker Ben Akacha, dans son émission «Chokran ala al Houdhour», diffusée sur al-Wataniya.
Des anecdotes croustillantes, l’acteur en a à la pelle. Celle qu’il préfère concerne Béji Caïd Essebsi. Au cours d’une chronique tenue en sa présence, Oueslati, prononçant sans le savoir des oracles, demande au futur chef de l’Etat s’il ne serait pas disposé un jour à placer son fils à un poste de responsabilité politique s’il était élu président. «‘Non, jamais!’, avait répondu le futur président», rit-il.
En mai 2015, c’est dans «Klem Enness» qu’il chronique, sur al-Hiwar Ettounsi. «Je mettais l’accent sur les détails que les gens ne voient pas pour en exploiter l’absurde et la drôlerie au service de mes narrations, explique-t-il. Dans cette émission, j’ai aussi développé le concept d’Al-Koffa adhahabiyya, que je décernais aux flagorneurs et aux personnages les plus complaisants de la scène politico-médiatique.»
Depuis Ramadan 2015, Saber est chroniqueur à IFM, au sein de laquelle il tient une rubrique politique satirique quotidienne baptisée «Saber wou barra». Fidèle à sa méthode de travail, il use de la satire comme enveloppe du commentaire politique.
La suite en solo?
Actuellement, Saber prépare un show en solo qu’il n’arrive pas encore à définir. Sera-ce un one-man-show? Un monodrame? Un stand- up ? Il ne le sait pas encore, mais il compte bien continuer à faire usage de l’humour noir. «Aucune arme n’est plus percutante pour dénoncer adroitement le ridicule et l’injustice».
Nejiba Belkadi