Agrumes: pourquoi les agriculteurs du Cap bon ne s'orienteraient-ils pas vers d’autres produits plus rémunérateurs
La production mondiale d’agrumes en cours,s’élève à 110 millions de tonnes, sur 7,5 millions d’ha, soit plus du double que les quantités annuelles récoltées à la fin des années 1980.
Le rendement mondial moyen s’élève à 6 tonnes par hectare. Pour les pays aux cultures intensives, les moyennes nationales varient entre 11 et 15 tonnes à l’ha, avec des pointes de 25 t/ha.
Le Brésil est en tête des pays producteurs avec près du quart de la production mondiale d’agrumes dont 75% sont transformés en jus. La Chine et les USA sont aussi des producteurs de taille, avec respectivement 17 et 11 millions de tonnes.
Les pays méditerranéens produisent près de 20 millions de tonnes, destinées essentiellement à la consommation locale en frais. Les principaux producteurs sont: l’Espagne et l’Italie, ainsi que: la Turquie, la Grèce, l’Egypte, et les pays de l’Afrique du nord.
Baisse de la récolte brésilienne
La dernière récolte brésilienne, du 2ème semestre 2016, a enregistré une baisse de l’ordre de 20%. Ceci s’est traduit par un quadruplement des prix à la production du fruit, qui sont passés à 4,39$ la caisse contre 1,14$ en 2015.
Ceci a eu une répercussion immédiate sur le volume et les prix du concentré d’orange, dont les destinataires sont les fabricants de jus, notamment ceux des pays de l’Europe occidentale, où la consommation par tête est des plus élevées.
Les oranges de Tunisie
La Tunisie dispose d’une large gamme d’oranges, dont la plus réputée et la plus demandée à l’étranger, est la variété: Maltaise de Tunisie.Au cours des 15 dernières campagnes, la production et l’exportation d’oranges fraiches ont évolué comme suit:
Campagnes | Production | Marché local | % Marché Local/Prod | Exportations | % Export/Prod |
1999/2000 | 225 500 | 198 510 | 88 | 26 990 | 12 |
2000/2001 | 240 000 | 216 523 | 90 | 23 477 | 10 |
2001/2002 | 240 000 | 217 944 | 91 | 22 056 | 9 |
2002/2003 | 224 000 | 206 768 | 92 | 17 232 | 8 |
2003/2004 | 209 000 | 190 423 | 91 | 18 577 | 9 |
2004/2005 | 243 000 | 223 795 | 92 | 19 205 | 8 |
2005/2006 | 262 000 | 242 689 | 93 | 19 311 | 7 |
2006/2007 | 247 000 | 230 679 | 93 | 16 321 | 7 |
2007/2008 | 300 000 | 272 555 | 91 | 27 445 | 9 |
2008/2009 | 297 000 | 273 583 | 92 | 23 417 | 8 |
2009/2010 | 308 500 | 282 273 | 91 | 26 227 | 9 |
2010/2011 | 352 000 | 328 702 | 93 | 23 298 | 7 |
2011/2012 | 360 000 | 341 905 | 95 | 18 095 | 5 |
2012/2013 | 330 000 | 309 470 | 94 | 20 530 | 6 |
2013/2014 | 355 000 | 333 647 | 94 | 21 353 | 6 |
2014/2015 | 440 000 | 415 600 | 94 | 24 400 | 6 |
2015/2016 | 380 000 | 359 400 | 95 | 20 600 | 5 |
2016/2017 | 560 000(*) | 534 000 | 95 | 26 000(*) | 5 |
Totaux | 5 573 000 | 5 178 466 | 93 | 394 534 | 7 |
(*) Estimations
En l’absence de statistiques précises, nous avons considéré que la consommation globale est égale à la différence entre la production et les exportations pour chacune des campagnes considérées.
Evolution des principaux indicateurs quantitatifs au cours de la période:
Campagne | Production | Marché local/consommation | Exportation |
1999/2000 | 225 500 | 198 510 | 26 990 |
2016/2017 | 560 000 | 534 000 | 26 000 |
Variation | + 170% | + 170% | -3,8% |
L’analyse des tableaux ci-dessus fait ressortir que:
- La production et la consommation ont évolué au même rythme enregistrant une augmentation similaire de 170% ;
- Les exportations ont connu des fluctuations importantes, et s’établiraient à la fin de la campagne en cours, au même niveau que celui de la campagne 1999/2000;
- Entre le début et la fin de la période considérée, la part des exportations par rapport à la production annuelle est passée de 12% à 6%.
La première conclusion qui vient à l’esprit, est que les produits proposés à l’exportation, ne se sont probablement pas bien adaptés aux besoins des marchés extérieurs, soit au niveau de la gamme, soit au niveau des prix.
L’évolution récente de la production locale et des prix
Au cours des dernières campagnes, les apports d’orange ont connu une croissance notable et ce en raison de l’entrée en production de nouvelles plantations aussi bien au niveau des zones traditionnelles (le Cap Bon), qu’au niveau d’autres régions à savoir: Béjà, Jendouba et Sidi Bouzid.
Les nouveaux apports ont porté aussi bien sur des variétés traditionnelles, - dont le marché est saturé en Tunisie, et peu élastique au niveau des destinations étrangères traditionnelles (principalement la France)-, que de nouvelles variétés telles que la Clémentine.
La campagne en cours enregistrera un record de production estimé à près de 560 000 tonnes.
En raison de l’insuffisance de la demande extérieure, cette abondance de l’offre s’est répercutée négativement sur les prix.
Ainsi, la comparaison des prix actuels du marché de gros de Bir El Kassaaavec ceux de l’année 2016, fait ressortir une baisse notabledes prix pour les catégories ci-après :
- Thomson: - 30%
- Maltaise: - 33%
- Clémentine: - 45%
Les consommateurs diront que cette baisse a touché sensiblement les producteurs, mais n’a été répercutée que partiellement sur le prix de vente au public, ce qui est vrai.
A ce rythme, il est possible que certains producteurs désabusés,abandonnent la culture de l’oranger, pour s’orienter vers d’autres cultures, avec les pertes que l’on peut imaginer.
Au niveau des exportations, il y a lieu de signaler queles variétés actuellement cultivées voyagent mal, du fait qu’elles doivent être consommées dans les jours qui suivent la récolte.
S’agissant d’un produit frais, et dans les conditions optimales, le délai entre la récolte et le consommateur final ne doivent pas dépasser cinq jours. Autrement, le goût et l’aspect extérieur sont altérés.
Ainsi, nos marchés les plus importants sont les plus proches géographiquement et en particulier,le Sud de la France.
Pour les destinations éloignées, seul le transport aérien est envisageable. Or, ce mode de transport est exclu en raison de son coût prohibitif par rapport à celui du produit à transporter.
De ce fait, et dans la situation actuelle des choses, les marchés extérieurs les plus recommandés sont ceux de la France et de la Libye, une fois la situation politique stabilisée dans ce pays.
Pour la sauvegarde de la filière
Au niveau de la distribution locale
En plus des actions déjà engagées par la profession et les pouvoirs publics en la matière, les entreprises desGrandes Surfaces qui disposent de réseaux étendus sur l’ensemble du territoire, peuvent apporter une contribution utile.
En effet, et en plus de la gamme d’agrumes disponible sur les rayons de fruits et légumes, les magasins concernés peuvent organiser, en concertation avec les structures professionnelles de la filière, des promotions, dégustations, communications, et autres actions promotionnelles spécifiques.
Au niveau de la transformation
L’appel récent à l’investissement dans la production de concentré de jus d’orange est à prendre avec précautions. En effet, l’implantation d’une nouvelle unité moderne et intégrée, nécessiterait un investissement qui dépasserait les 200 millions de dinars, et ce pour une activité saisonnière.
L’unité partira dès le départ avec un handicap de taille, à savoir:
- Le prix d’achat de l’orange fraiche qui est nettement plus élevé que celui des principaux pays grands producteurs de concentré d’orange (cf. le cas du Brésil cité plus haut);
- L’irrégularité de l’offre;
- La courte saison de production, qui se répercutera sur les coûts.
Pour ces mêmes raisons, les unités qui ont vu le jour en Tunisie après l’indépendance ont toutes périclité.
Il serait néanmoins possible d’intéresser, les entreprises locales intervenant dans le secteur du conditionnement des jus de fruits à partir de concentré importé. Un investissement complémentaire leur permettrait de se positionner sur ce créneau, pour produire du concentré à partir de la Maltaise de Tunisie, qui jouit d’une bonne image aussi bien sur le marché local que sur les marchés extérieurs.
La fabrication de concentré à partir d’autres variétés et fruits, pourrait alors être envisagée, en fonction de la régularité des apports et des contrats à conclure avec les producteurs.
Entretemps, les pouvoirs publics et les structures professionnelles, gagneraient à sensibiliser les agriculteurs à limiter l’extension des plantations d’orangers, et à utiliser l’eau si précieuse, à la culture d’autres produits plus rémunérateurs.
(1) La famille des agrumes comprend trois sous-familles: les oranges (63% du volume global), les mandarines, clémentines, et similaires (23%), le reste est constitué de citrons, limes, pamplemousse et pomelos.
(2) La Caisse contient 44,8 kg d’oranges.
(3) Source: Site du gifruits, page portant sur la comparaison entre les prix pratiqués en date du jeudi 19 janvier 2017 et ceux du jeudi 21 janvier 2016
Taoufik Ben Salah
Consultant en Commerce International