Education formation emplois et métiers: Qui préparera la Tunisie pour la 4ème révolution industrielle?
Éduquer du latin ex-ducere veut dire conduire, l’éducateur est donc celui qui tout simplement conduit l’enfant. Dans l’absolu, toute chose étant égale par ailleurs, les adultes conduisent quotidiennement, leurs enfants à l’école pour qu’ils deviennent meilleurs qu’eux. Plus instruits, plus intelligents, plus performants, plus cultivés, plus habiles, plus heureux, plus riches …ce principe semble prendre le chemin inverse en Tunisie. Baisse du niveau scolaire, manque de compétences à la sortie de l’université, pénurie ou précarité des emplois, dégradation du pouvoir d’achat, violence…L’avenir de nos enfants n’a jamais été aussi incertain. Malgré son caractère fondamentalement subjectif la question de l’éducation n’est pas uniquement personnelle ou familiale. L’éducation est une affaire publique hautement stratégique. Les nations façonnent leur avenir par l’éducation. Les plus puissantes d’entre elles façonnent l’avenir des autres nations aussi par l’éducation. Nous en Tunisie, nous avons résolument fait le choix d’être parmi les nations pour lesquelles les autres décident.
En effet, alors que le ministère de l’éducation et les syndicats de l’enseignement en Tunisie se livrent à une guerre destructrice globale sans fin et sans retenue, alors que nos élèves, pour les plus brillants d’entre eux, excellent à apprendre des contenus qui leur seront complètement inutiles dans un avenir très proche. Alors que les parents d’élèves sont occupés à tabasser des enseignants par ci par là, les plus grands décideurs du monde se réunissent encore une fois à Davos pour parler de la quatrième révolution industrielle, ses risques, ses menaces et ses opportunités pour les générations futures.
L’inquiétude à Davos
Comme toujours, le forum annuel de Davos réunit des politiques, des chefs d'État, des chefs d'entreprises, des célébrités, des représentants du monde universitaire, et des responsables d’institutions bancaires et de fonds spéculatifs pour débattre des questions stratégiques dans le domaine économique et social. Cette année, comme l’année précédente, une thématique particulaire occupe une place centrale dans les débats et les réflexions des experts et de la noosphère Comment l’humanité devrait elle se préparer pour faire face aux conséquences troublantes de la 4éme révolution industrielle ?
D’après les experts du travail et de l’économie, la digitalisation et la connectivité, la généralisation des imprimantes 3D transformeront en profondeur l'industrie qui entre dans l'ere du 4.0. L’alerte est donnée à Davos sans réserve. L’évolution technologique fera beaucoup de victimes parmi les métiers et laissera des millions de travailleurs au bord du chemin.
Les rapports de synthèse de l’édition de 2016 l’avaient déjà établi. Dans 10 ans, peut-être même 5, la majorité des créations d’emplois se fera dans des activités ou des métiers qui n’existent pas en 2016. Formulé dans ces termes le constat n’est pas effrayant mais quand les études précisent que 65 % des enfants qui entrent aujourd’hui à l’école primaire exerceront un travail qui n’existe pas en 2016, là il y a de quoi en avoir des insomnies
Une balance négative des emplois
La 4ème révolution industrielle ouvre certainement de nouvelles pistes de business et bien sûr d’emplois. Sans inquiétude, la valorisation des données, l'optimisation des process et la recherche de plus grandes performances, énergétiques notamment, donneront du fil à retordre. Il y aura ceux qui se feront des fortunes et d’autres qui gagneront leurs pains quotidiens de ces métiers.
D’autres domaines plus classiques continueront aussi à offrir des emplois. Dans les 15 pays les plus industrialisés (hors Chine) analysés par le rapport de Davos de 2016, on anticipe la création de 492 000 emplois dans la finance, 416 000 dans le management, 405 000 dans l’informatique ou 339 000 dans l’architecture et l’engineering.
Mais la balance de l’emploi sera tout de même négative. À cause des seuls changements technologiques et d’organisations, 4,7 millions d’emplois seront perdus dans les fonctions de bureaux et des administrations, 1,6 million dans l’industrie manufacturière, et 497 000 dans la construction pour ne parler que des secteurs les plus importants.
Bilan : 7,1 millions d’emplois détruits et 2 millions créés, le solde net est donc de 5,1 millions d’emplois disparus et ce seulement entre 2015 et 2020. Notant que ces estimations ne tiennent pas compte des conséquences d’une éventuelle nouvelle crise économique importante. Les prédictions sont faites sur la base des évolutions technologiques prévues.
Skills, est le maître mot des débats à Davos
Pour les entreprises, la menace est sérieuse, même les plus performantes d’entre elles ne sont pas certaines d’avoir la réactivité nécessaire pour s’adapter rapidement aux évolutions technologiques. Le manque de compétences adaptées aux métiers d'aujourd'hui et surtout de demain est devenu un vrai casse-tête même pour les entreprises les plus visionnaires réunies à Davos pour débattre de la question. Après l'employabilité, le mot clef des ressources humaines devient la « learnability », la capacité à apprendre tout au long de la vie.
La bataille pour les "compétences", sera donc le grand défi auquel le monde de l'entreprise doit se préparer. Une bataille mondiale, qui concerne autant les pays avancés que les pays dits émergents.
Le salut sera dans l’éducation
« C’est l’éducation et la formation qui sauveront la mise » délibèrent les séminaristes de Davos. Les systèmes d’enseignements et de formations doivent préparer les futures générations à la 4ème révolution industrielle.
Pour anticiper les creux en ressources humaines compétentes, il va falloir mettre les bouchées doubles en matière d’éducation et c’est loin d’être une mince affaire. C’est un chantier mondial qui doit être ouvert pour redéfinir les systèmes et les processus éducatifs de fond en comble. Dans un certain sens, la 4ème révolution industrielle sonne la fin de l’ère éducative que nous avons connue jusqu’à présent. Les systèmes éducatifs actuels ont été fondés, conçus et organisés à une autre époque. Ils reposent sur la culture intellectuelle des siècles des lumières et sur la conjoncture économique de la révolution industrielle du XIXème siècle. Un système qui sépare injustement les enfants en deux groupes : les intelligents et les non intelligents. Les uns sont faits pour le travail intellectuel, les autres pour le travail manuel. Cette philosophie éducative n’est plus adaptée. La robotique, les ordinateurs hyper puissants, la connectivité, la nano technologie…. Sont autant capables de remplacer et de dépasser les capacités des Hommes et leurs compétences qu’elles soient intellectuelles ou physiques. D’ailleurs, cette frontière imaginaire entre l’intellect et le moteur est devenue absurde. Ce qui est certain, c’est que les process éducatifs en cours ne sont plus en mesure de satisfaire les besoins du marché, de l’industrie et de la technologie du XXIème. Pour résumer la situation : tout est à refaire dans les systèmes éducatifs si on ne veut pas que la 4ème révolution devienne un désastre pour l’humanité.
De la nonchalance à Tunis
En Tunisie, personne ne semble s’inquiéter de cette situation. Dans un pays encore à l’âge de pierre des outils et supports administratifs : la signature légalisée, la copie certifiée conforme, l’empreinte digitale à l’encre noire…... Dans ce pays ou la poste, la CNAM, la recette des finances, ou même le fournisseur d’internet peuvent fermer guichets à cause d’un réseau qui « TOMBE », on ne voit pas comment ni quand la Tunisie sera prête à affronter la révolution technologique. Quand on rêve il ne faut pas croire qu’on réfléchit faudra-t-il rappeler à monsieur le chef du gouvernement. L’évolution ne se fait pas par des déclarations mais par l’anticipation, la planification et l’action.
Mais allons à l’essentiel. En matière d’éducation, cette première ligne de front face aux menaces de la 4ème révolution industrielle, qui ne va pas nous attendre, la situation du pays n’est pas moins catastrophique.
Le projet de réforme de l’éducation, politisé, syndicalisé et accablé par le manque d’audace et de clairvoyance de ceux qui le dirigent ne vole pas aussi haut. Un projet qui n’ira pas loin à cause des erreurs monumentales qui l’ont fondé.
Les premières erreurs sont méthodologiques. Un projet de réforme de l’enseignement publique doit impérativement répondre à deux questions. La première est économique et elle est de l’ordre de celles qui ont été traitées dans les débats de Davos de 2016 et 2017 : comment instruire nos enfants pour qu’ils trouvent une place dans l’économie du XXIème siècle ? Comment s’y prendre ? Et ce, alors même que nous sommes incapables de prévoir à quoi ressemblera l’économie la semaine prochaine comme l’on démontré les crises de 2008 et celles qui les ont suivies.
La seconde question est culturelle. Dans Tous les pays du monde on se demande comment éduquer nos enfants pour qu’ils acquièrent une certaine identité culturelle. Comment leur transmettre les gènes culturels de notre communauté tout en les habituant à rester ouverts au monde et aux autres cultures. A Davos aussi la question a été abordée. Polarisation et inclusion ont été définit comme principes directeur d’une nouvelle dynamique sociale et culturelle.
Aucune délibération n’a été faite sur ces deux questions dans le cadre des débats sur le projet de la réforme éducative. Les mesurettes présentées comme des étapes d’une grande réforme par le ministre de l’éducation ne se hissent malheureusement pas à ce statut. Endurcir ou assouplir l’évaluation des élèves, organiser l’enseignement en une séance unique ou en double séance, interdire les cours particuliers ou pas, mettre les vacances avant ou après le réveillons sont des questions profondément ridicules si l’on n’a pas répondu en amont aux deux questions principales que nous avons citées :
A vrai dire, quand on réduit un projet de la réforme éducative à une affaire de corporations, de syndicats et qu’on embellit avec une petite touche de société civile, il ne faut pas s’attendre à de gros exploits. Là est la seconde erreur dans la stratégie de la réforme. Le choix des acteurs de la réforme. Dans un monde que les analystes décrivent de VUCA : Volatil, « Uncertain » Incertain, Complexe et ambigu, prédire l’économie et la société de demain n’est pas dans les cordes des syndicats de l’enseignement ni les militants des droits de l’homme, c’est une affaire de spécialistes et d’acteurs du monde économique et pas n’importe lesquels. Un projet de réforme qui exclut les experts de l’économie mondiale et locale, les universités et les universitaires, les sociologues et les philosophes, est un projet qui est d’emblée voué à l’échec. Au lieu d’adopter une vraie stratégie de réforme, le ministre de l’enseignement semble avoir préféré un stratagème pour impliquer les syndicats et la société civile et en faire ainsi un bouclier ou un bouc émissaire selon les circonstances.
Les professionnels de l’enseignement doivent certainement prendre part dans la réforme dès ses premières embauches, cependant il y a un temps pour écouter et un autre pour parler. Le domaine d’intervention des professionnels de l’enseignement est didactique et pédagogique. Nuls n’est mieux placés qu’eux pour répondre aux questions : Quoi enseigner et comment le faire ? Mais il faudrait d’abord qu’ils aient une commande claire entre les mains. Les compétences sociales émotionnelles et professionnelles nécessaires pour réussir sa vie dans 15 ou 20 ans.
Finalement, pour aller au bout des choses il faut reconnaître que ce n’est pas uniquement à cause du ministre que l’éducation va mal en Tunisie et que nous jetons par conséquent nos enfants dans l’inconnu, dépourvus des moindres outils de survie. Dans un pays qui a été classé 65ème dans les évaluations de Pisa en 2016 alors que le ministre de l’éducation est classé premier dans les sondages de l’homme politique le plus apprécié par le peuple, une part de la réalité amère apparait. L’ici et le maintenant nous aveuglent alors que c’est du futur que nous devrions nous inquiéter. Le ministre veut demeurer ministre, les syndicats veulent mettre la main sur tout, les parents veulent de belles notes pour se vanter de l’intelligence de leurs enfants, les élèves veulent un minimum de travail et un maximum de note, mais le futur, personne n’y pense. C’est pourtant là que nous passerons le reste de nos vies… !!!
Fredj Bouslama
Président de l'Association Tunisienne Sport, Santé et Développement
Inspecteur pédagogique en éducation physique et en sport
Commissariat régional de Sousse, Tunisie
Doctorant en sciences de l'éducation.