News - 04.04.2017

Le témoignage exceptionnel d’un ancien djihadiste tunisien à Rakka... et sa désillusion

Le témoignage exceptionnel d’un ancien djihadiste tunisien à Rakka... et sa désillusion

Qu’est-ce qui a le plus poussé Mohamed Fahem, ce jeune nabeulien de 23 ans, à partir fin décembre 2014 de rejoindre l’Etat Islamique à Rakka ? L’euphorie de la révolution, puis son désenchantement, les bastonnades subies à Kasserine alors qu’il tentait de s’enfuir vers l’Algérie, puis celles à Bouchoucha et Mornaguia ? Une déception amoureuse ? L’envie d’aller retrouver ses amis de quartiers partis guerroyer avec les djihadistes ? Ou encore, le lavage de cerveau savamment orchestré par son mentor Cheikh El Idrissi et ses disciples. Tout à la fois, sans doute.

C’est ce questionnement profond qui tient en toile de fond le récit exceptionnel rapporté par Hédi Yahmed du parcours de Mohamed Fahem, depuis son départ du pays, jusqu’à ses années d’errance en Syrie et en Irak, avant qu’il ne perdre ses illusions et se décide à fuir l’Etat islamique. Dans son livre intitulé : « J’étais à Rakka, fugitif de l’Etat islamique », l’auteur fait parler longuement ce témoin exceptionnel et précieux. « Ni repentance, ni retour en Tunisie, écrit-il, Fahem fuit l’EI pour l’au-delà de l’EI. » Cherchant à analyser le phénomène des djihadistes tunisiens et comprendre leurs motivations profondes, l’auteur a eu la main heureuse de tomber sur un « spécimen » particulièrement intéressant. Il a été le rencontrer en Turquie pour recueillir son récit. Pendant près de trois semaines, à raison d’entretiens approfondis de 4 à 5 heures par jour, la narration a été limpide, sincère, époustouflante, riche en révélations.

Entre sa prime enfance à Dortmund en Allemagne avec ses parents émigrés, puis de retour à l’âge de 6 ans à Nabeul, son bonheur parmi ses camarades de jeu et d’école, ses années au lycée, sa pratique du football et sa ferveur religieuse, se nouera son destin. Les déceptions seront nombreuses et les ruptures multiples. Envoûté par la propagande de l’EI lui vendant Rakka et le jihad en nirvana passerelle vers le paradis, il succombera au chant des sirènes. Pas à pas, nous suivrons Mohamed Fahem lorsqu’il a débarqué à Istanbul, a été pris en charge par les passeurs, puis infiltré en Syrie. Nous le retrouvons à Rakka ravi de rejoindre ses amis de Nabeul et de Tunis. Le voici engagé dans la formation charaïque puis militaire, envoyé dans des opérations sanglantes, assistant à des scènes sauvages, participant à la lapidation d’une femme cinquantenaire accusée d’accusée d’adultère, découvrant l’organisation de l’EI, ahuri par l’extravagance de ses Emirs, petits et grands, dégoûté par l’envers du décor.

Ni héros, ni victime

Sa décision est prise. En ultime acte de rupture, Fahem vendra son kalachnikov et s’arrangera pour déserter ce cauchemar qui a failli l’emporter.

L’auteur, Hédi Yahmed, a réussi à nous livrer sous une plume alerte et dans un verbe simple mais soigné, un récit qui nous interpelle tous. Sans faire de son témoin ni un héros, ni une victime, il le présente tel qu’il est lui-même, n’en tire ni conclusion, ni enseignements, encore moins des recommandations. Un matériau très riche pour tout lecteur, tout chercheur, tout décisionnaire.

Un livre à ne pas rater.

 

J’étais à Rakka, fugitif de l’Etat islamique 

De Hédi Yahmed,

Arabesques Editions, 2017, 266 p. 15 DT