Raidh Zghal : Quel avenir après la révolution dans un monde perturbé ?
Le contexte géopolitique actuel perturbé et instable est le théâtre de changements profonds annonciateurs d’une nouvelle ère comparable à celle provoquée par la révolution industrielle au XIXe siècle. Les changements sont certes d’ordre scientifique et technologique mais ils concernent aussi le transfert du centre de gravité économique du monde de l’ouest vers l’est, du fait de l’énorme et rapide croissance qu’a connue la Chine. Ce pays a tiré le meilleur profit de la globalisation en attirant vers lui les investissements directs étrangers accompagnés des technologies avancées. En signant les accords de libre-échange avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine a pu envahir les marchés du monde avec des produits dont les prix défient toute concurrence. Le succès de ce pays a stimulé une confiance dans les bienfaits de la globalisation économique du fait de l’abaissement des barrières douanières et la libéralisation du commerce international, ce qui ouvre de larges perspectives et crée des opportunités infinies pour les pays en développement qui s’inscrivent dans ce courant.
Même s’il y a une part de vérité dans cette appréciation, il faut reconnaître que la concurrence économique au niveau de la planète se fait à armes inégales. C’est une concurrence entre des économies développées qui se distinguent par des produits et des services à haute valeur ajoutée, s’appuyant sur des technologies très avancées, des capacités et des techniques de gestion sophistiquées aussi bien en ce qui concerne l’organisation, les processus de production que, surtout, la commercialisation. Si l’intégration dans une économie globalisée offre des opportunités, elle expose également au danger d’expansion des crises comme cela a été le cas lors de la crise des subprimes en 2008 lorsque les bourses se sont effondrées dans plusieurs pays de l’ouest comme de l’est. Parmi les retombées de cette crise, on note la révélation de l’absence flagrante d’une bonne gouvernance équitable du phénomène de la globalisation.
Parmi les principes d’une bonne gouvernance, il y a ceux de la participation des concernés à la prise de décision, la transparence de la gestion des affaires publiques et la redevabilité. Mais quid de la capacité du système mondial à demander des comptes? Demander des comptes à ceux qui sont à l’origine de la crise? Quelle redevabilité exiger d’institutions financières qui ont joué dans le passé et continuent à jouer un rôle dans l’orientation des politiques des Etats, particulièrement ceux qui sont pauvres, vers l’endettement pour investir dans des projets gigantesques qui dépassent leurs capacités de remboursement? De tels projets sont souvent et avant tout des opportunités de gain offertes aux grandes entreprises et aux multinationales nonobstant les bénéfices que peuvent en retirer les populations des pays endettés. Dans son livre Confessions of An Economic Hit Man, l’Américain John Perkins a dénoncé de telles pratiques. En tant qu’employé d’une compagnie de conseil, il a servi comme intermédiaire chargé de convaincre les gouvernements d’investir dans des projets grandioses. Il a publié ce livre après la seconde guerre contre l’Irak où il relate les interventions de sa compagnie dans plusieurs pays dont l’Arabie Saoudite et des pays d’Amérique latine. Il rapporte à titre d’exemple le plan qui a été présenté par les Américains à la famille saoudienne régnante dans le but de réinjecter l’argent de l’exploitation du pétrole dans l’économie américaine à travers la réalisation de projets d’infrastructure, voire la construction de villes entières par des entreprises américaines. En échange, ils offrent la protection du régime, sinon les Saoudiens sont prévenus qu’ils s’exposeront au même sort que celui de l’Iranien Mossadegh quand il a osé la nationalisation des entreprises pétrolières anglaises qui opéraient dans son pays.
Quelle redevabilité exiger des Etats-Unis d’Amérique, première puissance mondiale qui, comme l’a montré Naomi Klein dans son livre The Shock Doctrine, provoque des chocs et des catastrophes pour favoriser des opportunités d’investissements juteux, en plus d’alimenter les foyers de conflits dans le monde, générant des crises et des guerres comme au Vietnam et en Irak? Et peut-on demander des comptes aux pays du G7 et du G20 dont on pouvait attendre l’implémentation d’un nouveau système de gouvernance du monde? Que peut-on en attendre en l’absence d’un contre-pouvoir qui les oblige à la redevabilité? Ils nous parlent de valeurs comme s’ils en avaient le monopole mais seuls leurs intérêts commandent leurs politiques de destruction de pays comme la Libye, l’Irak, le Yémen et la Syrie et Dieu sait quel autre pays arabe est sur leur agenda.
En revanche, n’est-ce pas la perte de valeurs dans nos pays dits du Tiers Monde qui est à l’origine de leur faiblesse, ce qui a fait d’eux une proie facile pour les pays forts par leur économie, leur armement, leurs capacités institutionnelles et stratégiques? N’est-ce pas l’absence d’éthique qui a permis à des gouvernants de garder le pouvoir durant des décennies, usant de la force pour étouffer toute contestation de leur pouvoir, usant et abusant des arrestations des opposants, des privations d’emploi et des liquidations physiques ? Seulement, les effets de cette oppression ne s’arrêtent pas avec le départ des dictateurs mais durent dans le temps. C’est que la vie sous la dictature étouffe la liberté d’expression et d’organisation, elle handicape la capacité des peuples à renouveler leur leadership et prive les jeunes des chances d’expérimenter les responsabilités politiques. Le propre du pouvoir dictatorial est de traverser tous les secteurs dont l’éducation et l’information. Les orientations politiques dans ces secteurs ont contribué à décourager l’initiative et la prise de risque, ce qui ralentit le flux de création d’entreprises. A cela s’ajoute l’absence d’équité dans l’application des lois qui ouvre la voie à l’expansion et à l’aggravation de la corruption. C’est alors que domine l’économie de la rente, chute la productivité et se renforce la dépendance du pays des institutions financières, des multinationales et des Etats qui protègent leurs intérêts.
Et lorsque la crise s’intensifie et qu’éclatent des révoltes spontanées ou téléguidées, arrivent au pouvoir les anciens opposants dont beaucoup ont été gardés au chaud dans des pays européens. Les nouveaux gouvernants commencent par écarter tous ceux qui ont occupé des postes de responsabilité avant la révolte quelles que soient leurs compétences et leur probité, puis placent leurs proches et ceux qui leur prêtent allégeance. La plupart de ces nouveaux gouvernants manquent d’expérience, du sens de l’Etat et de la gestion des affaires publiques. Ils sont plutôt préoccupés par une soif de vengeance et une guerre de positions entre les partis, mêlée de conflits idéologiques. Ainsi se creuse et s’aggrave une crise économique, sociale et politique dont on ne voit pas, du moins à court terme, la fin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas parmi ceux qui ont gouverné après la révolte des nationalistes qui croient en des principes, respectent une éthique gouvernementale et œuvrent dans l’intérêt général. Mais il semble que le changement des rapports de force en leur faveur nécessite beaucoup, beaucoup de temps.
Riadh Zghal
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