BFT - Le député Marouen Felfel : Mon témoignage sur un scandale d’Etat
L’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT) est un scandale d’Etat aux racines anciennes. Je tiens à apporter mon témoignage pour l'histoire et mes vaines tentatives pour éviter la catastrophe.
Elle est le reflet probant des ravages de la haute corruption dans notre pays et de l’incompétence de l’Etat en matière de conciliation économique. La CIRDI (juridiction internationale rattachée de la Banque mondiale) a rendu hier sa décision sur le litige opposant devant elle l'Etat tunisien à l'investisseur étranger ABCI. Elle déclare l’Etat tunisien coupable de violation du droit de propriété pour expropriation illégale sous contrainte et de déni de justice. En plus de la violation de l’ordre juridique interne, l’Etat tunisien a outrageusement violé l’ordre juridique international en vertu du verdict de la cour.
La suite naturelle du délibéré fut l’application d’une sentence particulièrement lourde pour l’Etat : dommages et intérêts de prêt d’un milliard de dinars tunisiens soit un énième coup de massue sur un corps étatique affaibli par l’endettement et en besoin constant de fonds.
L’interrogation rationnelle qui se pose est la suivante : Aurions-nous pu éviter cette catastrophe ?
La réponse est malheureusement affirmative et permettez-moi de détailler mes humbles contributions au dénouement du litige et à la recherche d’une solution amiable au différend. Depuis plus d'un an, en tant député membre de la commission des finances et dans le cadre de mes fonctions de contrôle parlementaire, j’ai tenté à maintes reprises de sensibiliser les responsables gouvernementaux et les medias sur la gravité et le péril que constituait ce conflit.
J’ai volontairement poussé à l’ajustement de la stratégie gouvernementale en matière de gestion du différend et la dernière tentative fut une question écrite au chef du gouvernement. Dans cette dernière, je le mettait en garde devant sa responsabilité historique à assumer les conséquences financières et juridique de la politique de son gouvernement en matière de règlement des conflits internationaux et de relations internationales d’investissement.
Il en est finalement résulté un traitement désastreux du dossier marqué par un Donquichottisme primaire que je regrette tristement.
Au-delà du dernier avertissement adressé au Premier ministère, j’ai personnellement transmis à travers le bureau de l’Assemblée cinq questions écrites aux ministres des Finances, de la Justice, de l'Investissement et de la Coopération internationale ainsi qu’à Monsieur le Secrétaire d’Etat chargé des domaines de l’Etat et des Affaires foncières et à M. le gouverneur de la Banque centrale. J’ai encore une fois alerté ces derniers de la gravité du dossier et les ai incité à trouver une solution amiable au litige qui garantirait un réinvestissement par l’investisseur étranger des fonds du dédommagement sur le territoire tunisien.
A l’évidence, pour tout spectateur objectif, l'Etat se trouve dans cette affaire en position de faiblesse au vu du caractère non équivoque des faits : gel des avoirs, expropriation irrégulière et utilisation de l’arme pénale contre le représentant légal de l’investisseur. A cela s’ajoute une gestion désastreuse de la banque qui a l’a conduit à une situation de quasi faillite non déclarée. Pourtant les tentatives de conclusion de conclusion d’accord à l’amiable entamées en 2011 ont échoué en 2012 et l’Etat s’est montré totalement non conciliant dans cette affaire malgré sa position fragile.
Avec l’affaire du plateau continental jugée par la Cour internationale de Justice en 1982 durant laquelle la Tunisie a honteusement perdu une partie non négligeable de ses ressources naturelles au profit de la Libye, ce verdict constitue une défaite juridique et politique déshonorante pour la Tunisie. Elle révèle à nouveau l’incapacité de l’Etat à régler ses différends internationaux et à adopter des postures pragmatiques et raisonnée vis à vis de conflits aux conséquences capitales pour son économie et sa relance.
Devant mes multiples alertes et mises en gardes répétées, l’Etat a fait la sourde oreille et son absence de réactivité nous coute aujourd’hui très cher. Il devra assumer matériellement et moralement les conséquences de cette défaite et qui aurait malheureusement pu être évité avec un minimum de prévoyance et de diplomatie.
Derrière ce scandale, ce sont les rouages de la corruption profonde de l’Etat qui transparaissent. Les conflits d’intérêts incessants et le manque de volonté politique en la matière, quoique renforcé récemment, mènent le pays vers un effondrement douloureux sur le long terme et ce type de verdict ne sera pas le dernier si l’on poursuit dans cette voie.
Je suis donc de nouveau contraint de réitérer l’appel à combattre la corruption et tous les comportements dommageables des autorités publiques et politiques qui annihilent de jour en jour le développement de ce pays et ses ambitions pour l’avenir.
Marouen Felfel
Député à l’Assemblée des représentants du Peuple
Membre de la Commission des Finances