Une BD d’Alain Gresh : Un chant d’amour. Israel-Palestine, une histoire française
Par Mohamed Larbi Bouguerra - De prime abord, on est un peu surpris. Traiter le problème israélo-palestinien au moyen d’une BD serait-ce le survoler pour des lecteurs pressés ? Mais on ne tarde pas à tomber sous le charme et à apprendre beaucoup de cette BD d’Alain Gresh, illustrée par la talentueuse dessinatrice Hélène Aldeguer (Editions la Découverte, Paris, 2017). Alain Gresh est un spécialiste renommé du Proche-Orient et est le directeur de la revue Orient XXI.
Pour l’auteur, le conflit israélo-palestinien est une passion française…qui va de de Gaulle- opposé farouchement à l’agression de 1967- à l’obsession sioniste de Manuel Valls, en passant par Nicolas Sarkozy, le CRIF (lobby français pro-israélien) et l’incroyable chant d’amour pour Israël de François Hollande lors d’un dîner chez Netanyahou (Lire sur le site de Leaders notre article du 30 novembre 2013).
DES ANECDOTES ORIGINALES
De fait, depuis 1967, en France, ce conflit déchire les partis politiques, divise les milieux diplomatiques, agite les intellectuels et les médias, mobilise les artistes et scandalise souvent l’opinion publique. Ce livre fait œuvre utile car il raconte clairement les diverses péripétie cette histoire – moins connue qu’on ne croit.
Le livre fourmille d’anecdotes originales comme ce dessin de Tim dans l’Express : au grand dam des soutiens d’Israël, Michel Jobert, ministre des Affaires Etrangères, refuse de condamner l’attaque égypto-syrienne du 6 octobre 1973 visant à récupérer le Sinaï et le Golan. Le dessinateur représente alors Jobert babouches aux pieds et piétinant le drapeau israélien. Ce dernier avait osé déclarer : « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue une agression imprévue ? » Cette BD nous remet en mémoire un énorme mensonge : la scandaleuse Une de France Soir au matin du 5 juin 1967 « Les Egyptiens attaquent Israël » alors que l’aviation égyptienne avait été détruite au sol. Comme on le voit, les « fake news » ne sont pas nées avec Donald Trump ! Cette BD révèle que Serge Gainsbourg en 1967 avait rencontré l’ambassadeur d’Israël à Paris qui lui demandait une chanson. L’artiste se pliera à cette injonction mais son œuvre ne sera jamais chantée** !
Ce livre évoque la position du général de Gaulle qui a condamné la guerre menée par les sionistes qui ont tiré les premiers- n’en déplaise à France Soir. Il a ainsi inscrit pour longtemps la question israélo-palestinienne dans le débat et l’horizon politique des Français. Le général se met ainsi toute la classe politique sur le dos à l’exception notable des communistes. Contrairement à l’immense majorité des médias, à une grande partie de l’opinion publique et des politiciens, de Gaulle condamne une guerre qu’il voit comme une guerre d’agression. Ce qui ne l’empêchera pas de dire à des délégués arabes venus à l’Elysée : « Vous, les Arabes, vous êtes nombreux et vous êtes rassemblés. Mais il vous manque beaucoup de choses si vous avez affaire à Israël ».
Tous ceux qui succéderont à de Gaulle suivront la même voie- y compris Giscard d’Estaing étiqueté pro-israélien pourtant. Depuis une dizaine d’années, une inflexion notable s’est opérée dans la position française même si les principes sont apparemment saufs : la France se dit toujours opposée à la colonisation et pour la solution à deux Etats mais elle a développé des relations privilégiées – comme ces exercices militaires aériens conjoints fin 2016- avec l’Etat sioniste occupant en fermant les yeux sur ses innombrables agressions contre les Palestiniens et leurs droits. Sur la guerre contre le terrorisme, le discours français épouse les thèses israéliennes, quasiment sans nuance. Cette BD dissèque la compétition Chirac- Jospin sur le conflit du Moyen-Orient et si le premier houspille rageusement les flics israéliens lors de sa visite à Jérusalem, le second se fait caillasser à l’Université Bir Zeit puis se fait cadrer par le président à son retour à Paris à cause de ses déclarations sur le Hezbollah. L’ouvrage nous fait revivre les manifestations parisiennes à chaque agression contre Gaza.
L’ABSURDE ET DANGEREUSE CONFUSION DU PRESIDENT
Le discours assimilant antisémitisme et antisionisme vient d’être officialisé par le président Macron qui a déclaré le 16 juillet 2017 : « L’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Marchant sur les brisées de Manuel Valls, le nouveau locataire de l’Elysée vise à arrêter toute critique de la politique extrémiste et raciste de l’occupant sioniste. Comme en son temps Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur et grande amie de Ben Ali devant l’Eternel !
Alain Gresh relève à ce propos : « La réception par Macron de Netanyahou a été très loin : c’est la première fois qu’un président de la République fait cette assimilation entre antisionisme et antisémitisme On a franchi une nouvelle étape inquiétante. La politique depuis Sarkozy, c’est de dire qu’il faut être proche des Israéliens pour avoir une influence sur eux. Or, on n’a aucune influence sur leur politique…Concernant Macron, c’est très dangereux : le Vel’ d’Hiv est une affaire qui concerne la France. En invitant Netanyahou, il y a l’idée qu’Israël représente les juifs français. » Dans la BD, on trouve cet appel d’Ariel Sharon aux juifs de France à émigrer en Israël… car « le fait que 10% de la population française soit constituée de musulmans fournit un terreau à une nouvelle forme d’antisémitisme ». Sharon n’a jamais entendu parler de Mohammed V et de Moncef Bey qui ont arraché leurs concitoyens juifs des griffes du nazisme et les ont protégés. Il y a encore cette rencontre entre Giscard d’Estaing et Yitzhak Shamir, Premier ministre israélien, qui lui dit, en parlant des juifs de France : « Nous avons rencontré notre communauté » Giscard lui répond : « Non, c’est notre communauté .»
C’est important, il y a cet amalgame entre juifs et Israël qui est dangereux et qui est le résultat entre autres, de la politique du CRIF, qui soutient de façon inconditionnelle Israël. » Le journaliste et historien Dominique Vidal abonde dans le même sens quand il affirme que par sa déclaration « Emmanuel Macron crée une confusion absurde et dangereuse entre antisémitisme et antisionisme. On ne peut mettre sur un même pied d’égalité les deux. Etre antisémite, c’est haïr les juifs. Etre antisioniste, c’est s’opposer à un mouvement politique : ce n’est donc pas du racisme. » (Interview in Courrier de l’Atlas, 21 juillet 2017) ? Faut-il rappeler ici que « cette absurdité » a été proférée en 2014 par Manuel Valls alors Premier Ministre français ? Comme on est loin de Michel Jobert et de ses justes remarques en faveur du droit et de la justice !
NETANYAHOU ET LE FRONT DES DROITES
Facétie de l’histoire ! La déclaration de M. Macron ne pouvait plus mal tomber. Après Paris, Netanyahou est parti en Hongrie jetant par-dessus bord tous les ismes. Le métro de Budapest est tapissé de photos de Georges Soros avec des textes clairement antisémites. L’ambassade israélienne à Budapest a protesté mais Netanyahou a vite fait de la faire taire…pour pouvoir rencontrer une brochette de dirigeants de la droite décomplexée d’Europe Centrale, les Premiers Ministres hongrois, slovaque, tchèque et polonais en fermant les yeux sur les relents d’antisémitisme de ce beau monde.
Juif d’origine hongroise, le milliardaire Soros – qui aide les ONG démocratiques en Israël et ailleurs et est un opposant à l’occupation de la Cisjordanie - n’est pas en odeur de sainteté chez le Premier Ministre hongrois de droite Viktor Orban ni chez Benjamin Netanyahou. A Budapest, Netanyahou a appelé ses homologues européens de l’Est à « fermer leurs frontières aux réfugiés d’Afrique et du monde arabe ». Il a aussi fustigé la « folle » politique de l’UE qui ose critiquer sa politique et son manque total de respect des droits des Palestiniens (Lire The Times of Israël, 19 juillet 2017). Netanyahou cherche à recruter les droites – même antisémites- pourvu qu’elles ferment les yeux sur l’occupation et le sort réservé aux Palestiniens.
Le premier ministre israélien veut rejoindre Poutine et Trump dans leurs attaques contre la démocratie libérale (Haaretz, 21 juillet 2017). C’est pourquoi il est très heureux d’avoir récemment accueilli en Israël le premier ministre de l’Inde Narendra Modi, hindouiste extrémiste et féroce antimusulman. Il va même jusqu’à prétendre avoir recruté pour ce club de l’extrême en politique le premier responsable chinois. Ce qui est faux car si les Chinois peuvent travailler en Israël, leur pays leur interdit la moindre activité en Cisjordanie et au Golan. En fait, toutes ces gesticulations pitoyables de Netanyahou à l’étranger n’ont qu’un but : faire oublier qu’une très sérieuse enquête pour corruption le vise en Israël (Lire Aluf Benn, « Le message de Netanyahou au monde : acceptez Israël tel qu’il est : occupant et colon », Haaretz, 22 juillet 2017).
La BD de Gresh donne une belle grille de lecture qui permet de comprendre les tortueux arcanes de la politique d’Israël non seulement avec la France mais aussi sous d’autres cieux. Elle montre à quel point le Conseil municipal de Paris et la maire Anne Hidalgo sont pro-israéliens (Affaire Hammouri-Shalit). Il rappelle les prises de position courageuses de M. Théo Klein, ancien président du CRIF qui dit à Sharon –via une tribune dans le Monde- « Ce n’est pas la force qui fait le vainqueur » et poursuit en affirmant qu’Israël doit reconnaître et partager « la terre commune » avec un Etat palestinien. Sous l’impulsion des réseaux sociaux et d’Internet, le conflit israélo-palestinien se transforme en conflit mondial, note Alain Gresh.
On ne peut refermer cette BD instructive sans mettre en exergue la déclaration du président du CRIF, Roger Cukierman, à l’occasion de la présidentielle française du 21 avril 2002 qui a opposé l’antisémite notoire qu’est Jean-Marie Le Pen, le tortionnaire des Algériens, à Jacques Chirac. Cukierman avait alors déclaré : « Le succès de Le Pen et un message aux musulmans de se tenir tranquilles, puisqu’il est connu pour être quelqu’un qui s’est toujours opposé à l’émigration musulmane ». Ce sioniste français oublie que le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit religieux. Il s’agit de colonisation et de dépossession. Il s’agit de dizaines de décisions de l’ONU non appliquées. Il s’agit de crimes contre l’Humanité.
A lire de toute urgence ! Un évènement éditorial !
Mohamed Larbi Bouguerra
** L’auteur de la bien parisienne chanson « Le poinçonneur des Lilas » n’hésitera pas à troquer les pavés de Pigalle…pour le sable de l’Etat sioniste : « Oui, je défends le sable d’Israël, la terre d’Israël, les enfants d’Israël. Quitte à mourir pour le sable d’Israël, la terre d’Israël, les enfants d’Israël. Je défendrai contre tout ennemi, le sable et la terre qui m’étaient promis. Tous les Goliath venus des pyramides reculeront devant l’étoile de David. »