Quelle réponse de Youssef Chahed à Rached Ghannouchi ?
Gros pavé jeté dans la mare par Rached Ghannouchi en pressant Youssef Chahed d’annoncer sa non-candidature à la présidentielle de 2019. Il ne lui laisse que le choix qu’entre la démission de la présidence du gouvernement (pour se préparer à la course vers Carthage, s'il y songe) ou le confinement dans le simple rôle d’un chef-intendant de l’exécutif, sans la moindre ambition politique. Au mieux, « pour qu’il s'attelle à la gestion des affaires publiques et s’y consacre pleinement». Ou, et ce n'est pas dit ouvertement, parce qu’il peut constituer un compétiteur très sérieux tant pour ceux d’Ennahdha que pour ceux bénéficiant de son soutien.
Clairement, le verdict d’Ennahdha est prononcé, sans appel: Youssef Chahed doit s’éclipser de la scène politique, du moins provisoirement, au lendemain de l’élection présidentielle de 2019. D’une manière ou d’une autre. En tant que chef de gouvernement sortant qui a rempli son contrat avec abnégation. Ou candidat battu qui, trop ambitieux et trop pressé, n’a pas compris les règles du jeu.
Les constats ne manquent pas
- A moins de 35 mois du scrutin présidentiel (en deux tours probablement) de novembre – décembre 2019, la campagne a d’ores et déjà commencé.
- Cherchant à garder la haute main sur ces élections, Rached Ghannouchi en fixe les premières règles : qui peut postuler et qui ne saurait y prétendre.
- Youssef Chahed constitue un phénomène à prendre au sérieux et à « gérer » immédiatement, sans lui laisser le temps de prendre plus d’ampleur, s’organiser en mouvement et gagner en popularité.
Les questions aussi !
- Béji Caïd Essebsi compte-t-il rempiler pour un second mandat ? Dans son interview à Leaders qui est publiée dans l’édition de ce mois d’Août, il avait répondu à sa manière, très nuancée : « D’abord, qui vous dit que je serai encore parmi vous ? Chaque décision sera prise en son temps. Mais, n’oubliez pas, je suis un homme sérieux. Je ne saurais m’aventurer avec les affaires de l’Etat. » Mais, il avait tenu à souligner clairement : « Bien malin celui qui aujourd’hui peut prévoir qui sera au rendez-vous. Ceux qui sont pressés et se hâtent dès à présent ne doivent pas polluer l’atmosphère politique. D’ici 2019, j’espère que le peuple tunisien sera plus uni, et la situation générale dans le pays meilleure. Seul le verdict des urnes comptera. »
- Youssef Chahed a-t-il contracté le virus de Carthage et songe-t-il y postuler ? Sa réponse est connue : « Je n’ai que 41 ans (il les bouclera en fait ce 18 septembre) et tout le temps devant moi ! » C’est ce qu’il a toujours répété dans des déclarations à la presse, affirmant qu’il n’est guère pressé et qu’il se concentrait « pour le moment » sur ses accaparantes tâches à la Kasbah. Maintenant, rien ne dit qu’il ne va pas changer d’avis.
- Youssef Chahed paye-t-il le prix de son offensive énergique contre la corruption ? Il savait d’avance que dans cette guerre, son intégrité physique serait dangereusement exposée. Mais, voilà que son « intégrité politique » de candidat potentiel à la magistrature suprême est clairement pointée.
- Youssef Chahed constitue-t-il une menace pour Ennahdha et ses affidés ? Pour le moment, c’est un «partenaire» au sein d’une coalition au pouvoir. Tout sera jugé par Montplaisir à l’aune de ses actions et de ses intentions. Politiquement, c’est un « adversaire potentiel de taille et de poids», affirme un connaisseur.
- Quelle sera la réponse de Youssef Chahed à l’oukase de Rached Ghannouchi ? Ceux qui le connaissent de près affirment que c’est un «taiseux». «Quand il n’a pas de réponse, il se tait. Et quand il a la réponse, il se tait, aussi. Il se déclenchera, quand il le décidera et à sa manière.Parfois, d’une phrase en couperet» disent-ils.
La course à Carthage ne fait que commencer pour les nombreux prétendants. Tout risque d’être détourné du quotidien pourtant crucial, pourtant urgent. Qui va s’en occuper ? Si Youssef Chahed démissionne de suite, nous voilà repartis pour des mois de consultations, de négociations, d’investiture et d’entrée en service. S’il cède aux pressions et renonce dès maintenant à 2019, les esprits vont s’échauffer et la course s’accélérer immédiatement. Tout y sera focalisé. Qui s’occupera alors de la Tunisie et des Tunisiens d’ici fin 2019, élections municipales et crise économique comprises, en attendant l’installation des nouveaux pouvoirs, début 2020 ?