En Tunisie, La recherche va Bien ou Mal?
Dans l’ère du temps de la causerie sur la recherche, je souhaiterai partager avec vous mes réflexions et réponses à la question qui m’a été posée: La recherche en Tunisie, Elle va bien ou Mal? Et, si on faisait parler les chiffres pour apporter une réponse à cette question? Qu’à cela ne tienne.
En consultant Scopus, la base de données transdisciplinaire del'éditeur scientifique Elsevier, nous apprenons que la Tunisie est à la 4ème position après l’Afrique du sud, l’Egypte et le Nigéria et ce, quelle que soit la durée d’analyse 20, 10 ou 5 années (l’année butoir étant 2016)Voir Tableau: Classement des pays d’Afrique en fonction de la production d’article ou review de 2011 à 2016 (source: scopus).
1 | South Africa | 85706 |
2 | Egypt | 75170 |
3 | Nigeria | 29737 |
4 | Tunisia | 26635 |
5 | Algeria | 20860 |
6 | Morocco | 18716 |
7 | Kenya | 11576 |
8 | Ethiopia | 8567 |
9 | Ghana | 7311 |
10 | Uganda | 6524 |
Classement des pays d’Afrique en fonction de la production d’article ou review de 2011 à 2016 (source: scopus)
Scopus nous apprend que la recherche en Tunisie a été et reste encore en tête du peloton maghrébinTAM (Tunisie, Algérie et Maroc) et se trouve derrière le peloton de tête constitué par l’Egypte, le Nigéria et l’Afrique du sud. On aura produit sur les 20 ans(voir figure) 49378 publications dont 40546 l’ont été sur les 10 dernières années et 26635 sur les 5 dernières années. En comparaison avec le Nigéria, l’Egypte et l’Afrique du sud, la Tunisie fait moins, au mieux de 10.4%, au pire de 71.2%.
Dans le peloton Maghrébin TAM, la co-affiliation pays est «Francophone» alors que pour le peloton de tête elle est «anglophone». Le pourcentage des publications Tuniso-Francaises est à deux chiffres atteignant le tiers; ce qui dénote d’une forte coopération avec la France. La co-affiliation pays des publications avec l’Arabie saoudite a doublé (actuellement à 6 %) suite à la forte immigration scientifique post-révolution vers cette destination.
Figures. Les publications (article ou review) des 6 premiers pays d’Afrique en fonction de la période d’analyse 20, 10 ou 5 années (source Scopus)
Dans le Peloton de tête, les co-affiliations sont anglophones; homogènes à un chiffre pour le Nigéria (dont la recherche semble ne pas être dépendante des coopérations), privilégiées avec l’Arabie saoudite terre d’exode scientifique pour les égyptiens depuis longtemps, et orientées vers la Grande Bretagne et les états unies d’Amérique pour l’Afrique du sud.
La production Tunisienne à affiliation unique (tunisienne) qui serait le fruit de projets de financement purement tunisien est de 35 % sur les 20 ans, 33% sur les 10 ans et 27% sur les 5 dernières années. Ces résultats nous indiquent que depuis 20 ans la politique de la recherche n’a pas changé et si elle l’a été, elle n’est pas réussie puisqu’elle n’a pas engendré un accroissement de la production. Elle serait même en chute suite aux évènements de 2011vécus par le pays et à mon avis continuerait à l’être du fait de la réduction drastique qu’ont subi les budgets des laboratoires de recherche (divisés par 2).
Nous apprenons également par Scopus que le top 3 des publications par sujet est invariant et que les pourcentages sont 31% pour la Médecine, 16% pour l’Engineering et 14% pour l’Agriculture et restent dans ces ordres de grandeur depuis 20 ans avec un léger glissement vers le bas. Ces infos nous indiquent que les priorités, les budgets alloués et leurs résultats sont vraisemblablement restés les mêmes.
Ce que ne disent pas les chiffres c’est l’éparpillement des moyens matériels (Appareillages lourds et équipements d’analyses) qui ne servent pas une communauté plus large que le labo qui les a. Que ces équipements sont mal et des fois très mal entretenus, probablement par absence des postes de techniciens et ingénieurs de recherche.
Ce que ne disent pas les chiffres c’est les difficultés que rencontrent les enseignants chercheurs à remplir leurs tâches de recherche quand celles de l’enseignant remplies ; les techniciens de laboratoire et les agents de l’administration partis en vacances (universitaires et estivales) freinent la progression des chercheurs même les plus courageux d’entre eux qui bravent la chaleur et rejoignent les labos pour travailler. Heureux sont ceux qui sauvent le mois de juillet en partant à l’étranger dans un laboratoire d’accueil.
Ce que ne disent pas les chiffres c’est le système d’information du ministère qui est obsolète, les infos d’opportunités de projets n’arrivent pas ou quand elles arrivent, tard. La rétention d’information à un niveau ou un autre fait également rater aux chercheurs des opportunités de collaboration et de mise en place de projets.
Les chiffres quand ils n’auront pas dit tout cela, ils ne diront pas non plus la lourdeur administrative que rencontrent les chercheurs pour effectuer des participations à des congrès et des séjours scientifiques sujets à des autorisations préalables nécessitantdans certains cas7 signatures (vous l’avez bien lu 7), à croire qu’on est dans une prison à ciel ouvert. La visibilité du chercheur et de ses travaux est entravée par cela et par le manque de moyens financiers. Je peux témoigner par moi-même que mes contributions ont été acceptées dans des congrès internationaux, et je n’ai pas pu m’y rendresuite à un refus ou dossier non traité dans les temps par l’administration à ses différents niveaux.
Et pour finir, les chiffres ne nous diront pas que le ministère au lieu de discuter de la politique de la recherche en Tunisie, de ses forces et de ses faiblesses avec les chercheurs concernés en place en Tunisie, il va chercher nos confrères tunisiens travaillant à l’étranger (pour lesquels j’ai du respect) pour discuterde choses locales qu’ils ignorent, c’est la réflexion qu’a eu un de ces confrères qui a fait plusieurs éditions de ce RDV tenus dans des hôtels luxueux de la place.
Quand on aura su tout cela et vu comment le ministère de l’enseignement supérieur n’honore pas ses chercheurs ni vivants ni morts, on comprend le malaise de cette famille. Professeur Sassi Ben Nasrallah est parti discrètement, paix à son âme. Il est le deuxième de la liste scopus des scientifiques tunisiens qui ont publié le plus (235 articles et reviews) et a été directeur de plusieurs institutions. A part l’annonce du décès par le ministère reprise par Business News, je n’ai rien lu. Est-ce une défaillance de communication ou une indifférence?
Si je brosse ici un schéma assez sombre de notre vécu, les personnes bien intentionnées sauront que c’est pour mieux agir et corriger et c’est dans ce cadre que je m’inscris.
La question «La recherche en Tunisie va bien ou Mal?» reste posée et à chacun son interprétation.
Nihel Ben Amar
Professeure en Génie Chimique à l’INSAT