Blogs - 21.05.2010

"Tunisie, le plus petit Etat d'Afrique du Nord..."

Ouvrez n'importe quelle encyclopédie à la page consacrée à la Tunisie. La présentation commence généralement par ces mots: "Tunisie, le plus petit  État du l'Afrique du Nord... "  Provoquant, chez le Tunisien un certain agacement quand bien même, la suite de l'article, avec le rappel de certains pans de notre histoire (Carthage, Kairouan) ou de quelques noms illustres (Hannibal, Magon, Apulée, Ibn Khaldoun), atténuerait quelque peu ce sentiment. Il faut dire qu'avec le temps, la plupart des Tunisiens ont fini par en prendre leur parti,  car vivre dans un petit pays n'est pas forcément une mauvaise chose. Cela pourrait, même, être une grande chance le fait d'être l'un des peuples les homogènes de la terre, ce qui n'exclut pas une grande diversité dans les traditions et même les paysages.

Remarquez, on aurait pu être plus nombreux, si au lendemain de l'indépendance,  on avait adopté l'idéologie dominante de l'époque. A l'exception de la Chine et de l'Inde qui commençaient à peine à appliquer ce qu'on appelait, alors, le "Birth Control", les autres pays, pour la plupart, nouvellement indépendants, pratiquaient une politique nataliste. C'était à qui  ferait le maximum d'enfants, parce qu'on vivait sur cette idée que la démographie pouvait assurer la pérennité et l'invulnérabilité des jeunes États. Et malheur à ceux qui venaient ternir cette belle unanimité. Ils étaient tout bonnement accusés de "Malthusianisme", terme, qui, dans le jargon de l'époque, équivalait  dans la hiéarchie des ignominies à " valet de l'impérialisme". Je me rappelle du compte rendu d'une entretien entre Nasser et Jean-Paul Sartre qui était accompagné de Simone de Beauvoir paru dans "les Temps Modernes", au début des années 60. L'auteur de "La Nausée" avait essayé de convaincre le président Nasser -sans y parvenir- de la nécessité d'adopter la politique de limitation des naissances. L'Égypte comptait alors 20 millions d'habitants dont près de moitié vivait au dessous du seuil de pauvreté, le Rais égyptien l'estimant prématuré. Aujourd'hui, elle en compte 85 millions, bien qu'elle ait fini par adopter le planning familial depuis le début des années 90 gouverner, c'est aussi prévoir.

A contre-courant, la Tunisie a adopté une politique antinataliste dès le début des années 60 alors que le pays comptait à peine 4 millions d'habitants,  et libéralisait l'avortement, sous certaines conditions, en 1965, soit dix ans avant la loi Veil en France. On ne soulignera jamais assez le pertinence de cette démarche qui avait permis à notre pays de faire l'économie de toutes les crises et les échecs des politiques de développement des pays africains depuis les indépendances. Malgré la parenthèse collectiviste des années 60 et la crise des années 85/86, l'entreprise de développement de la Tunisie, d'une remarquable continuité, pendant un demi siècle s'est déroulée dans un climat apaisé et n'a pas eu à trop souffrir de la contraception, maîtrisée depuis l'aube de l'indépendance. Bien sûr, cela n'a pas empêché les tensions sur le marché de l'emploi, mais la planification familiale les a réduites au minimum. Ceci ne fut pas le cas de nombreux pays dont les résultats économiques, parfois spectaculaires, ont été enrayés par une démographie débridée.

L'expertise tunisienne au service des pays du Sud

"La Syrie et la Tunisie comptaient en 1963 le même nombre d'habitants (4 millions). En 2010, la Syrie en compte 22  et la Tunisie 10"(NDLR: c'est aussi le cas de beaucoup de pays africains comme les pays du Sahel dont les populations avoisinent aujourd'hui les 20 millions).  La remarque est du Dr El Atri, Président du Conseil des Ministres syrien. Venu en Tunisie pour présider la délégation de son pays aux travaux de la Grande Commission Mixte tuniso-syrienne, il n'a pas caché son admiration pour la politique tunisienne en matière de planification familiale. Un aspect de la visite qui n'a pas été très médiatisé mais qui, apparemment, revêtait une grande importance aux yeux de nos hôtes syriens. Et ce n'est certainement pas un hasard si le séjour du Dr El Atri comportait  une visite au siège de l'Office National de la Famille et de la Population. Une visite au terme de laquelle il a annoncé la ferme intention de son pays de lancer un programme similaire avec l'assistance de la Tunisie. Malgré un taux de croissance élevé (5% en moyenne chaque année) ce pays n'arrive pas à décoller compte tenu de sa démographie. Le problème est que les retombées d'une politique de limitation des naissances ne peuvent se faire sentir qu'après une génération. La Syrie ne sera pas le premier à faire appel à l'expertise tunisienne dans ce domaine. D'autres pays confrontés aux mêmes problèmes en ont déjà bénéficié dans le cadre d'opérations triangulaires. C'est le cas, notamment, de Djibouti, du Niger, du Tchad, de la Mauritanie, du Mali et de l'Indonésie.     

Avec un taux d'accroissement démographique de 1,1% et un indice synthétique de fécondité de 1,74% contre 7,5 en 1956, des problèmes liés à la dénatalité  se posent aujourd'hui à la Tunisie, et notamment le vieillissement de la population avec tout ce que cela entraîne comme problèmes aux niveaux de l'emploi et des pensions de retraite.  Preuve de la proactivité des Tunisiens, l'Office du Planning familial  s'est transformé en Office National de la Famille et de la Population avec de nouvelles missions englobant au delà de la  seule  dimension démographique qui était la mission originelle de l'office, "la promotion du bien-être familial et l'équilibre de la société".

Hédi

Lire aussi : Le vieillissement de la population tunisienne entre mythes et réalités