Jhinaoui à Palerme pour le lancement du programme «Italie, Cultures, Méditerranée »... et plus
Les deux ministres tunisien et italien des Affaires étrangères ont présidé lundi à Palerme le lancement du programme «Italie, Cultures, Méditerranée ». Dans un discours prononcé en présence de son homologue, Angelino Alfano et du maire de la Ville, Leoluca Orlando, Khemaies Jhinaoui a salué «cette importante initiative de diplomatie culturelle (qui) mettra en valeur, j’en suis certain, la richesse de notre patrimoine commun et permettra de rapprocher davantage nos peuples amis. » En marge de cet évènement, les deux ministres devaient s’entretenir des différents aspects de la coopération bilatérale ainsi que des dernières vagues d’émigration clandestine vers l’Italie et de la situation de migrants tunisiens récemment arrivés à Lampedusa. Nous reproduisons ci-après le discours de Khemaies Jhinaoui:
Permettez-moi tout d’abord de vous exprimer mon immense plaisir d’être parmi vous dans cette belle ville, « Palerme », fondée par les Phéniciens de Carthage au VIIème siècle avant Jésus Christ et aujourd’hui flamboyant chef-lieu de la Sicile.
En m’invitant à lancer conjointement cette grande initiative « Italie, Culture, Méditerranée », vous m’avez à la fois comblé et accablé. Comment peut-on ne pas répondre positivement à cette amicale sollicitation qui illustre l’excellence des relations millénaires entre nos deux pays, et particulièrement en Sicile, creuset des cultures et lieu par excellence du brassage humain et de l’amitié qui a toujours lié les deux peuples tunisien et italien.
Mais avant d’aborder le thème du jour, je voudrais simplement rappeler que pour la Tunisie, l’Italie a été de tout temps un partenaire de choix. Elle occupe aujourd’hui la 2ème position en tant que partenaire économique et commercial, le 2ème pourvoyeur d’investissements, le 4ème marché touristique et l’un de ses principaux bailleurs de fonds. Mais au-delà de ces chiffres, certes significatifs, nos deux pays partagent, désormais, les mêmes valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’Homme.
Mais, aussi dois-je souligner que la Tunisie et l’Italie, et la Sicile particulièrement, entretiennent des relations d’amitié et de coopération denses, profondes et stratégiques puisant leur fondement dans une longue histoire commune et une culture fondée sur l’ouverture, la tolérance et l’interaction.
La Tunisie et l’Italie ont réussi, grâce à leurs efforts communs, à bâtir des fondements solides d’un partenariat multidimensionnel qui puise ses racines dans les liens historiques, économiques, culturels, sociaux et humains.
Aujourd’hui, les bases d’un partenariat stratégique tuniso-italien sont, plus que jamais, présentes. Le succès de la dernière visite d’Etat du Président tunisien en Italie en février dernier en est la plus éloquente illustration.
Mesdames et Messieurs,
Nos deux pays ont toujours œuvré pour faire de la Méditerranée un véritable pont pour renforcer notre amitié, consolider notre partenariat et créer une aire de paix et de prospérité partagée.
Or, l’emprise de l’actualité sur les esprits est telle que, souvent, la richesse de notre histoire commune et l’exemplarité de notre coopération aujourd’hui viennent à être en quelque sorte occultée. Ainsi, lorsque l’on évoque l’Italie, et plus particulièrement, la Sicile dans ses relations avec la Tunisie, a-t-on tendance à songer d’emblée à son rôle comme terre d’accueil pour les immigrés tunisiens, alors qu’historiquement, les flux humains dans un sens comme dans l’autre remontent à la plus haute antiquité.
Mesdames et Messieurs,
En dépit des difficultés économiques, sécuritaires et sociales et un contexte régional instable et imprévisible, la Tunisie vit aujourd’hui une expérience sans précédent. Elle œuvre inlassablement depuis presque sept ans à instaurer un système démocratique ambitieux fondé bien évidemment sur la primauté de l’Etat de droit, le respect des droits de l’Homme et des libertés individuelles mais consacrant aussi à la dimension sociale la place qui lui sied dans une société juste et égalitaire.
Notre ambition est non seulement de démontrer que « Démocratie » n’est pas antinomique avec l’Islam mais également de créer les conditions pour que notre jeunesse soit une force de créativité, le moteur pour faire de la Tunisie un pays démocratique et prospère, un carrefour de dialogue et un véritable hub pour les affaires en pleine Méditerranée. L’Italie, pays proche et ami, continuera, j’en suis persuadé, à contribuer à la réalisation de ces objectifs.
Dans un autre registre, et devant la Ministre tunisienne de la Femme ici présente, je ne pourrais pas ne pas évoquer la ferme volonté de Monsieur le Président de la République Beji CAID ESSEBSI de poursuivre l’œuvre avant-gardiste qu’a toujours assumée la Tunisie sur le chemin de l’égalité totale entre l’homme et la femme. Le récent appel à la réflexion sur l’égalité dans l’héritage et la décision courageuse au sujet du mariage de la Tunisienne avec un non musulman, constituent autant de mesures révolutionnaires ancrant notre pays dans la modernité.
Mesdames et Messieurs,
La Tunisie et l’Italie partagent un patrimoine commun riche qui repose sur trois piliers : historique, spirituel et humain.
Notre patrimoine historique commun est vivant depuis les temps reculés de l’antiquité ; ce sont bien les Phéniciens de Carthage qui ont fondé cette belle ville de Palerme et, au-delà de la fin tragique des Guerres Puniques, Carthage fut reconstruite et s’est vite érigée comme deuxième cité de l’Empire Romain.
L’attribution de la citoyenneté aux Carthaginois et la propagation de la langue et des humanités latines finirent par créer chez nos ancêtres, la conscience et la fierté d’appartenir à la romanité et là, je ne peux que rendre hommage à l’excellence du modèle d’intégration, secret de la réussite exceptionnelle de l’Empire romain. En effet, près de 300 sénateurs étaient issus de l’Afrique proconsulaire qui couvrait pour l’essentiel le territoire de la Tunisie, ont participé à l’exercice des plus hautes fonctions civiles et militaires à Rome, prélude à l’ascension de Septime Sévère et de la dynastie sévérienne au trône impérial.
Mesdames et Messieurs,
Au-delà de la romanité, le christianisme tout comme l’islam constitue un patrimoine commun. En effet, Carthage a été, pendant plus de cinq siècles, chrétienne ; Tertullien, Cyprien, et Saint Augustin, l’un des pères de l’église catholique, pour ne citer qu’eux, ont été des emblèmes du christianisme sans oublier les trois Papes nés en Tunisie, Victor, Miltiade et Gélase.
En Sicile, la présence arabo-musulmane est en réalité une présence tunisienne. Ce sont les Aghlabides de Kairouan qui ont fait de la Sicile un foyer de civilisation au IXème siècle grâce à l’introduction des techniques agraires et l’essor du commerce, des sciences, des arts et de la langue arabe dont le dialecte et le nom des villes et des monuments siciliens en portent encore les stigmates.
Pour revenir à la culture, je ne peux pas omettre les réalisations artistiques qui se manifestèrent dans la sculpture et atteignirent leur apogée dans la mosaïque ici en Sicile à Piazza Armerina et comme on peut en contempler les splendeurs au Musée du Bardo, qui abrite la plus grande collection de mosaïque dans le monde.
Les monuments historiques comme le Palais de Zisa ou le Minaret de la grande Mosquée de Kairouan témoignent également d’une étonnante identité culturelle commune.
Mesdames et Messieurs,
Si la Sicile, aujourd’hui, fait rêver bien des jeunes tunisiens victimes du chômage et de la crise économique, au XIXème siècle, de nombreux italiens dont une majorité de siciliens quittèrent également leur terre pour chercher un meilleur sort en Tunisie. Pêcheurs, maçons, ouvriers, petits artisans travaillaient dur et côtoyaient les citoyens tunisiens dans une parfaite harmonie.
Cette population paisible et laborieuse constituait au début du XXème siècle la plus forte communauté étrangère en Tunisie (près de 100 mille) à telle enseigne que des quartiers entiers ainsi que des villes côtières comptaient une population italienne majoritaire.
La Sicile d’aujourd’hui abrite une importante communauté tunisienne, près de 40.000 personnes. Ces migrants arrivés depuis les années 60 travaillent surtout comme ouvriers agricoles, mais aussi comme pêcheurs à Mazara del Vallo, essentiellement.
Cibler cette communauté par des programmes culturels ne fera que faciliter leur intégration dans le tissu économique et social italien.
Mesdames et Messieurs,
Cette importante initiative de diplomatie culturelle mettra en valeur, j’en suis certain, la richesse de notre patrimoine commun et permettra de rapprocher davantage nos peuples amis. Elle permettra aux femmes et aux hommes des deux rives de mieux se connaître, de mieux se comprendre et de mieux vivre ensemble.