Taoufik Habaieb: A condition d’oser
Heureusement qu’au bout du tunnel pointe, enfin, une lueur d’espoir ! Même si...
Dans la pénible série de mauvaises nouvelles qui dépriment les Tunisiens, les dommages n’ont épargné presque personne. Ces jeunes migrants clandestins qui se sont noyés au large de nos côtes alors qu’ils s’aventuraient au prix de leur vie à réaliser l’unique rêve qui leur était resté, celui d’atteindre les portes de l’Europe ;
Cette criminalité de plus en plus sanguinaire et sauvage qui ne se limite plus aux vols et braquages devenus « habituels » pour attenter à la vie même des parents;
Ces viandes et autres aliments avariés que des sans-scrupules nous fourguent, piégeant tout contrôle, achetant la complicité de leurs inspecteurs ;
Cette corruption métastasée qui mine le pays, malgré l’amorce de la lutte contre la malversation, ce délabrement avancé des systèmes de santé, de transport public et d’éducation, cette amorphie qui tétanise l’Administration, cette évasion fiscale qui appauvrit l’Etat, cette insouciance des politiques, cette impunité qui couvre tout manquement aux obligations et dépassements, ce lynchage médiatique sponsorisé, cette course effrénée au pouvoir, à l’enrichissement illicite;
Cette dégringolade du dinar, cette montée de l’inflation, cette hausse des tarifs publics et cette flambée du coût de la vie ;
Cette loi de finances sans vision, sans âme, conçue en mode tableur Excel pour équilibrer une balance recettes/dépenses, en surtaxant les plus fiscalisés et en obérant l’entreprise, petite ou grande, et le contribuable-citoyen, de plus d’impôts, sans se soucier de la cohérence générale macroéconomique et du redoutable effet sismique menaçant l’ensemble du système.
L’unique option laissée ainsi aux Tunisiens est de continuer à endurer, à souffrir. Dépourvu d’imagination, privé de soutien politique effectif, et incapable d’apporter des améliorations concrètes aux conditions de vie, encore moins de présenter un projet d’ensemble réalisable, le gouvernement Youssef Chahed se contente de nous promettre des mesures douloureuses. Le salut est annoncé, pour 2020, c’est-à-dire à l’échéance de son mandat, sans nous en fournir les garanties. Embourbé dans l’incertitude, il ne fait qu’ajouter à l’inquiétude, le désarroi.
L’euphorie des premiers jours de 2011 a rapidement cédé au désenchantement. Toutes les révolutions et transitions démocratiques l’ont démontré : le retour de la confiance et de l’espoir ne s’accomplit que par le changement réel des conditions de vie au quotidien. Tout comme la liberté, la démocratie ne suffit pas pour nourrir son homme. La reprise de la croissance tant escomptée ne sera qu’un indicateur de relance. Ce que les Tunisiens réclament le plus urgemment, c’est l’accès à des soins de qualité, un transport public fiable et sécurisé, une école du savoir et de la modernité, un pouvoir d’achat suffisant, et le respect du citoyen. Ceux qui s’acharnent dès à présent à capter le verdict des urnes pour les élections municipales sans cesse reportées, et surtout les législatives et la présidentielle de 2019, sont d’ores et déjà lourdement sanctionnés par le taux élevé d’intention d’abstention. La confiance est rompue, le faussé se creuse.
L’unique bonne nouvelle, depuis cet été, c’est le tiercé gagnant remporté par le président Béji Caïd Essebsi. Appel à l’égalité homme/femme dans l’héritage ,levée de l’interdiction du mariage de femmes musulmanes avec des non-musulmans et loi de la réconciliation administrative. Trois grandes mesures avant-gardistes qui feront date et serviront de référence à de nombreux autres pays. Les deux premières ancrent la Tunisie dans la modernité, en rompant avec une lecture désuète de l’Islam. La troisième vient tourner une page décriée, sauver des milliers de hauts fonctionnaires d’une justice qui risquait d’être acharnée, inique et redonner à l’Administration les compétences dont elle a le plus besoin.
Rien n’a été facile pour engager ce processus général salutaire. Plus d’une fois, le président Caïd Essebsi s’est trouvé seul, faisant face à un barrage de feu nourri déclenché par une conjonction d’obscurantistes et de revanchards. Ligués contre l’affranchissement de la femme et la réconciliation nationale, ils ont multiplié pressions et manœuvres pour tenter de tout faire avorter et failli bloquer l’Etat.
Sans lâcher prise, BCE, qui a osé ces grandes initiatives, a persévéré pour les faire aboutir. Nourri d’une vision d’avenir, déterminé à sortir le pays de son enlisement, il a osé, il a réussi. D’ailleurs, qui d’autre que lui l’aurait fait ?
Vision, détermination et audace : trois préceptes que le gouvernement Chahed doit ériger en mode de fonctionnement. Pour que l’espoir soit permis.
Taoufik Habaieb
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