Manger… la peur au ventre: Sommes-nous en danger alimentaire ?
Les scandales alimentaires se succèdent, plus ou moins bien fondés mais fortement médiatisés. Ils créent un climat de psychose et suscitent une perte de confiance. Les différents acteurs de la filière alimentaire sont concernés : éleveurs, producteurs, industriels, distributeurs, institutions publiques... Tous coupables?
Quelle est la réalité du risque alimentaire aujourd’hui en Tunisie? Qui contrôle ce qui arrive dans nos assiettes? Quel rôle joue l’Etat, et par quels moyens?
Manger est bien plus qu’un banal acte de consommation quotidienne, c’est un lien social et un repère culturel. Comment retrouver du sens et une confiance face aux images choquantes et aux chiffres anxiogènes?
Les indicateurs statistiques sont affligeants. De janvier à août 2017, le ministère de la Santé a effectué 240 123 opérations de contrôle et d’inspection qui ont permis de relever plus de 20 000 infractions sanctionnées, saisir 180 tonnes de denrées alimentaires avariées, dresser 1 640 procès-verbaux et décider la fermeture de 1055 établissements.
Rien qu’à Tunis (plus de 2 444 500 habitants), les services municipaux, aux effectifs limités à 74 agents, ont effectué durant les huit premiers mois de cette année pas moins de 32.443 opérations de contrôle. Ils ont signalé des défaillances dans 12 000 établissements, notifié 14 000 avertissements, prélevé pour analyse 5 385 échantillons, infligé 2 600 amendes et ordonné 163 décisions de fermeture.
Dans les abattoirs, la situation est «catastrophique », confirment les spécialistes. Le décret 2010-360 du 1er mars 2010 portant approbation du plan directeur des abattoirs est resté à ce jour lettre morte. En appliquant rigoureusement ses exigences, 206 abattoirs municipaux seraient remplacés par 51 abattoirs régionaux mais remis à niveau. Les municipalités concernées craignent ainsi de perdre d’importantes ressources financières. La situation a empiré: 208 abattoirs en deçà des normes, ne disposant ni de station de traitement des eaux usées, ni d’un vétérinaire présent en permanence. De plus, 60% des abattages se font en dehors de ces «abattoirs», de façon anarchique et en l’absence de tout contrôle.
Le ministère du Commerce ne dispose que de 350 agents sur le terrain pour contrôler, avec 600 agents du ministère de la Santé,
582 000 détaillants, 75 000 grossistes et 24 000 cafés sur tout le territoire!
Dans «une société à risque» qui exige le risque zéro, quel rôle les médias doivent-ils jouer?
Tout commence par un «scoop» sur l’utilisation d’une viande de chat par un restaurant de la capitale. La révélation a eu l’effet d’un choc, les directions centrales et communales de l’hygiène avec des renforts sécuritaires ont investi les lieux pour enquêter, sans trouver l’ombre d’un chat. La saisie orchestrée de viande d’âne (dans une boucherie asine, ce qui est normal et habituel) a mis à nu une réalité plus grave, celle d’une filière hautement sinistrée : la viande rouge et les abattoirs insalubres. Le gouvernement a aussitôt réagi en organisant des campagnes nationales de contrôle, avec des équipes conjointes composées d’agents des cinq corps de contrôle. Ils relèvent de cinq ministères différents (Santé, Agriculture et Ressources hydrauliques, Environnement et Collectivités locales, Commerce et Intérieur), avec des prérogatives et des spécialités différentes, complémentaires mais qui peuvent se chevaucher, entravant ainsi l’efficacité des contrôles.
Deux projets de loi ont été soumis à l’Assemblée des représentants du peuple.
- Le premier porte sur la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. Il institue la création d’un office national de la sécurité alimentaire regroupant tous les acteurs du contrôle de ce secteur.
- Le second projet de loi concerne la sécurité des produits industriels et prévoit la création d’une agence nationale de la sécurité des produits industriels qui regroupera également les agents de contrôle issus des différents ministères.
Une nouvelle race de commerçants peu scrupuleux s’adonne à des pratiques mafieuses, profitant d’un épisode de la faiblesse de l’Etat. Des pratiques de corruption manifeste ont nourri le sentiment d’impunité et pérennisé un phénomène destructeur et menaçant pour la sécurité du Tunisien. La porosité commerciale, notamment entretenue par la contrebande, a favorisé la mise sur les marchés organisés et informels de produits alimentaires et de consommation hors de tout contrôle sanitaire.
Renforcer le contrôle, sévir sans la moindre tolérance et responsabiliser le consommateur ne peuvent constituer les règles de base d’une stratégie nationale intégrée.
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