A propos d’un sondage de Leaders sur l'égalité dans l'héritage
Dans un sondage à l'intention de ses lecteurs sur la question de savoir, êtes-vous pour ou contre l'égalité entre l'homme et la femme en matière d'héritage? les l internet par la revue tunisienne Leaders,(www.leaders.com.tn.), les lecteurs de Leaders se sont prononcés à 24,62% pour et à 75,38% contre.
Comme le prouve ce résultat effarant, l’homme, en général, s’accoutume aux violences et aux goûts étranges de sa génération. Sans en chercher la cause, sans qu’il se pose de problèmes sur la proportion d’inné ou d’acquis qui détermine son comportement.Il en va ainsi pour la culture d’égalité entre hommes et femmes qui se pose aujourd’hui pourtant avec acuité.
A l’heure où tout, ou presque tout, relève de l’urgence, à l’heure où la pensée n’est que modalité de l’action, il nous faut donc scruter les replis les plus noirs de notre conscience, et extérioriser ce que Delacroix appelait « ce vieux levain, ce fonds tout noir » que tout homme possède, inconsciemment, au plus profond de lui-même.C’est à ce prix, c’est-à-dire,pénétrer dans le tréfonds de notre pensée, pour revoir nos jugements et apprécier à leur juste valeur le « poids de vérité humaine », de toutes ces manifestations variées, organisées en faveur de la femme dans le monde entier, à l’occasion de la Journée des Droits de la Femme, le jeudi 7 mars.
En Espagne les femmes ont pris l’initiative de faire grève toute la journée du vendredi 8 mars. En France, pays où le Défenseur des Droits a recensé pour la seule année 2017, pas moins de 2700 affaires touchant directement aux droits de la femme, le gouvernement a décidéde consacrer 420 millions d’euros pour la mise en œuvre de plusieurs mesures en vue de développer la culture d’égalité entre hommes et femmes. Il songe mêmeà pénaliser les entreprises qui ne justifieraient pas les écarts des salaires entre hommes et femmes.
En Tunisie, où l’émancipation de la femme remonte à la promulgation, le 13 août 1956, du Code du Statut,les manifestations sont plutôt calmes.
D’habitude, dans ce pays, du point de vue sociologique du moins, ce sont plutôt les femmes et non le gouvernement, qui parlent de la condition de la femme. Qu’on songe aux travaux de Badra Bchir, Sophie Ferchiou, Alia Gana, Naïma Karoui, et bien d’autres. Il y a aussi, heureusement, quelques sociologues et érudits qui parlent de la femme tunisienne en termes élogieux. Je citerai volontiers le sociologue Laroussi Amri avec son livre La Femme rurale dans l’exploitation familiale, où il met en exergue la centralité de la femme en ces termes :
« La centralité de la femme tiendrait probablement en cela, c’est-à-dire, en somme, à l’essentiel : l’économie et la morale, et à « se débarrasser » du pouvoir symbolique, si telle est la signification profonde du pouvoir politique dont le caractère formel n’a de répondant et de corollaire que la force. »
Puis, étendant cette centralité à la femme paysanne tunisienne, en particulier, il note :
« Du nord au sud du pays, du littoral à l’hinterland, que ce soit en plaine ou à la montagne, dans les zones à culture en sec ou en irrigué, dans les zones pourvues d’infrastructures de base et d’équipements socio collectifs ou des zones plutôt enclavées, le rôle de la femme m’a paru empiriquement et, du premier coup d’œil, central pour maintenir en vie les exploitations agricoles familiales ». (p.20)
Cette centralité, explique-t-il, découle d’une stratégie basée sur la riposte, une riposte qui tire son fondement non seulement par le sol mais également par le sang et les liens de parenté, illustrant ainsi une volonté de survie très forte qui s’oppose aux velléités de séparation et d’indépendance individuelles. Les Anglais utiliseraient une expression fort appropriée : ‘struggle for life’.
Il faut reconnaître que cette théorie, ‘struggle for life’, apparaît, à première vue, comme une gageure dans un monde essentiellement masculin, longtemps considéré fait par l’homme pour l’homme. Mais elle n’est pas sans nous rappeler le positivisme d’Auguste Comte, l’inventeur du mot ‘sociologie’ qui prône un modèle de pensée rationnel et rigoureux, rejetant l’appel au surnaturel et à l’occulte, la connaissance étant celle qui écarte en premier lieu la métaphysique. Seules les sciences humaines et sociales peuvent aider à déchiffrer les lois régissant la nature et l’humanité.
Ainsi donc, bien qu’elle soit l’archétype de l’amour et de la tendresse, la source de vie, la femme, issue de l’homme, ne vit que pour lui, sinon pour lui. Dès lors, que penser de ce sondage en Tunisie ? Comment expliquer, voire justifier cette disparité entre l’homme et la femme ? Que signale-t-il sinon « ce vieux levain, ce fond tout noir » que tout homme possède, inconsciemment, au plus profond de lui-même, et par extension, la haine entre frères et sœurs, des êtres supposés être chers, en d’autres termes,la désintégration de la famille, cette cellule essentielle de la société ? La femme n’est-elle pas la déesse tutélaire, le cœur du foyer, de ce noyau social qu’est la famille ?
Rafik Darragi