Hamda Dniden: Les femmes et tout le reste
Etait-il né un pinceau à la main ? Quand on ouvre ses yeux, comme Hamda Dniden, à Sidi Bou Saïd, baigne dans cette luminosité unique au monde, vit dès sa prime enfance au milieu de tant de poètes, peintres et autres artistes, on ne peut qu’être talentueux. Du café de son père, Am Chedly, juste en face de la ‘’Kahwa el Alia’’, il avait appris à observer tout ce monde et du haut de la colline à admirer la vue sur la Méditerranée. Ce peintre de vocation ira, après l’Ecole des beaux-arts de Tunis, sur recommandation d’Abdelaziz Gorgi, affiner son talent à Paris. A l’Académie de la Grande Chaumière, mais surtout de ses déambulations dans la Ville lumière, il affirmera son style. A 73 ans, il aligne une superbe œuvre qui reste encore à explorer. Peintre de son village, peintre des femmes, Dniden nous réserve d’autres surprises.
Sous le titre de Hamda Dniden, peintre de Sidi Bou Saïd, les éditions Nirvana lui consacrent un livre d’art tout à fait remarquable, à plus d’un titre. D’abord, de par le texte soigneusement rédigé par Houcine Tlili, l’un des meilleurs spécialistes de l’art moderne et contemporain. Avant d’y plonger, et en guise de ‘’mise en bouche’’, de sa belle plume, Alya Hamza nous introduit dans l’univers du peintre. Ensuite, de par le choix des œuvres et la qualité de leur traitement chromatique, guère aisé. Enfin, de par une maquette aérée et une impression de qualité (Simpact).
Un très beau livre.
Hamda Dniden
Peintre de Sidi Bou Saïd
Editions Nirvana, avril 2018, 182 p. 100 DT.
Bonnes feuilles
Une addiction assumée
On pourrait volontiers adapter l’adage du Petit prince et de son renard en évoquant Hamda Dniden.
Au creux de la colline de Sidi Bou Saïd, derrière la seule porte jaune du village, dans son minuscule atelier, le plus discret de nos peintres poursuit dans le calme et la sérénité un parcours fait de belles fulgurances. Prix et consécrations, hommages et sollicitations n’entament en rien les choix qu’il s’est donnés. On le rencontre au rythme qu’il a fixé, fidèle à la galerie qu’il a privilégiée dans les vergers de La Soukra.
Et suivre son parcours n’est pas dénué de surprises. Des constantes dans son travail. Une addiction assumée à ses géantes, femmes antiques, déesses tutélaires, que l’on a pu comparer à tort à Botero, mais qui, récusant l’anecdote, s’affirment en majesté, idoles terriennes, telluriques, à la puissance sourdement inquiétante. Une complaisance affirmée pour les portraits de familles, les tableaux de foules, les agrégats compacts de personnages imbriqués, impliqués dans des alliances fœtales, soudés dans des fusions primaires.
Et puis de temps en temps, au fil d’une exposition, au détour d’une rencontre, des échappées qui feraient douter de ce que l’on croit savoir de lui si l’on ne retrouvait en filigrane, en clins d’œil, quelques signes du langage secret de Hamda Dniden : des compositions à la Arcimboldo où toujours apparaît en icône ou en signes de piste la femme toujours renouvelée. Des natures mortes, des paysages ouverts d’une étrange familiarité, et dans lesquels on retrouve le vocabulaire de l’artiste : cette rondeur généreuse, cette matière compacte, cette ampleur du geste qui lui viennent peut-être d’un passé de céramiste, et que l’on appelle simplement le talent.
Alya Hamza
Des performances esthétiques et humanistes
Le vrai sens de l’œuvre de Dniden est celui qu’il a choisi d’opérer dans le déplacement de l’axe de ses préoccupations artistiques et esthétiques. Ce déplacement conscient a constitué un moment crucial de sa rupture avec l’exotisme et a illustré son glissement du spécifique vers l’universel. Ce glissement est une sorte de descente symbolique effectuée par le peintre du haut de sa colline vers d’autres espaces et d’autres cieux moins sereins et plus turbulents. Ces expressions atteintes par le peintre sont devenues moins anecdotiques et davantage noyées dans l’âpreté du réel et dans la violence de l’histoire.
Les scènes des femmes robustes, très rarement érotiques mais sympathiques, sont remplacées de plus en plus par des représentations plus dures où les drames affleurent alors à l’occasion des « haraga », des rassemblements humains dramatiques et moins «jolis» que ceux des fêtes populaires d’antan. Dniden n’est plus seulement amateur de rondeurs féminines, du reste savoureuses, il devient de plus en plus sensible à des préoccupations humanistes. C’est ainsi qu’il a tenté, surtout dans cette deuxième partie de son œuvre, touche après touche, progressivement, de s’éloigner quelque peu du spécifique et du folklorique vers des expressions plus humaines et plus universelles.
Nous constatons cela et nous saluons le peintre en lui rendant ainsi un grand hommage pour ses performances esthétiques et humanistes. Hamda Dniden s’ouvre ainsi au monde, mais pas seulement au monde de Sidi Bou Saïd et à son environnement traditionnel, mais il nous amène plus loin que le golfe de Tunis et Boukornine et nous ouvre ainsi une nouvelle fenêtre sur d’autres rivages, des rivages d’une Tunisie profonde.
Houcine Tlili