Samir Meddeb: Pour que la gestion des déchets soit une plateforme de développement au sein des communes de Tunisie
Quel regard avons-nous sur les déchets ? Quelle place occupent les déchets dans notre quotidien ? Comment traitons-nous les problématiques multiples relatives aux déchets ? Tant de questions auxquelles il est utile d’apporter des réponses afin de saisir et de comprendre la dimension sociale et culturelle qui relie le tunisien avec ses déchets. Dimension qui apparait de plus en plus fondamentale du fait qu’elle conditionne le choix et les modalités de mise en œuvre de toute politique et programmation dans le domaine.
De prime abord et sans trop de démonstration, il est aisé de s’apercevoir et d’affirmer sans aucun détour que la Tunisie, depuis son indépendance, a totalement raté sa politique dans le domaine de la gestion des déchets.
Les déchets continuent d’occuper régulièrement l’espace public urbain et d’envahir de plus en plus l’espace rural. Nous rencontrons régulièrement, depuis que nous quittons l’espace privé pour s’engager dans l’espace commun, des quantités variables de déchets de toute catégorie et ce depuis le petit morceau de papier et le mégot de cigarette jusqu’aux dépôts les plus volumineux de déchets managers, de déchets de construction ou tout autre déchets. Cette image devient incarnée en nous-même, nous la portons de manière continue. Les amateurs de la photographie vous diront qu’il est difficile de cadrer une image en Tunisie, que ce soit en ville ou à la campagne, sans que cette image ne soit polluée par un déchet quelconque. Nous apprenons de plus en plus à vivre avec les déchets, ils font partie intégrante de notre environnement.
Cet état de propreté et de l’esthétique correspondante dans l’espace commun s’oppose toutefois et dans la majorité des cas à celui constaté dans les espaces privés personnels ou même professionnels. Ces derniers espaces sont nettement plus entretenus, ils sont pris en charge par leurs propriétaires ou locataires de manière organisée, régulière et surtout durable. Consciemment, le tunisien et d’une manière presque générale se sent responsable de la propreté essentiellement de son espace d’habitation et à moindre mesure de son espace de travail. En matière de propreté et de gestion des déchets de manière générale, l’opposition est manifeste entre l’espace privé et l’espace public. Le tunisien, contrairement au regard qu’il porte sur l’espace privé, ne se soucie pas de la propreté de son espace public ; pire encore, il contribue à longueur de journée à le salir, le polluer et le dégrader. Le tunisien apparait de ce fait et à travers ce comportement en conflit avec son espace public, il ne se l’approprie pas ; il le rejette, il n’est pas le sien.
Améliorer la propreté de nos villes et de nos campagnes et promouvoir une meilleure gestion des déchets revient de ce fait et en corollaire à ce qui vient d’être avancé à améliorer le relationnel entre le citoyen tunisien et l’espace public d’une manière générale. Le tunisien doit dorénavant considérer l’espace public comme une continuité de son propre espace privé ; il doit renouer avec cet espace et surtout établir une nouvelle relation de confiance et par conséquent d’appartenance. Seule condition pour que le citoyen s’implique concrètement et efficacement dans la propreté de cet espace public qui sera à ce moment le sien.
A qui appartient de ce fait, l’espace public en Tunisie ? Dans l’imaginaire tunisien, cet espace appartient au pouvoir dans toute sa grandeur et aussi sa complexité ! Le pouvoir est tout ce qui n’est pas personnel, privé ; tout ce qui échappe au citoyen commun, tout ce qui est intouchable, tout ce qui ne se soucie pas des difficultés quotidiennes des citoyens, tout ce qui est dans une autre sphère, lointaine, certainement pas celle du commun des tunisiens, tout ce qui fait peur. Tant de contraintes relationnelles qui font que le citoyen commun a des difficultés pour entretenir une relation profitable avec l’espace public et par conséquent avec ses gestionnaires.
Cette relation conflictuelle entre le citoyen et son espace public n’a fait que se développer et s’amplifier depuis l’indépendance. Le pouvoir central a en effet et depuis cette date, écarté et marginalisé de plus en plus le citoyen concentrant à son niveau tous les pouvoirs et les décisions.
Les communes, représentants essentiels des populations et gestionnaires de l’espace public communal et des services de proximité correspondants, particulièrement celui de la gestion des déchets, n’ont pas été épargnées par cette logique politique de marginalisation de tout ce qui est local et proche du citoyen. Elles se sont ainsi et graduellement affaiblies d’un épisode à un autre perdant une part de leurs missions, de leurs moyens tant financiers qu’humains et surtout de leur légitimité et crédibilité vis-à-vis de leurs populations.
Les communes peinent aujourd’hui à répondre aux besoins les plus pressants de leurs villes respectives en matière de propreté. Elles y mettent la grande partie de leurs moyens financier, technique et humain sans toutefois parvenir à gagner la satisfaction de leurs populations.
Les communes et malgré l’effort considérable qu’elles déploient dans le domaine des déchets n’arrivent pas encore à instaurer une réelle logique de gestion des déchets. Elles ne couvrent dans ce domaine qu’un seul maillon de la chaine des déchets en l’occurrence celui de la collecte des déchets et leur acheminement vers des décharges souvent sauvages ou gérées de manière irrationnelles, dans les deux cas néfastes pour l’environnement et la santé humaine.
Aujourd’hui et dans la quasi-totalité des pays avancées et même ceux en voie de développement la question des déchets couvre de plus en plus un spectre beaucoup plus large que la collecte et le rejet des déchets. Le domaine des déchets est ainsi examiné et planifié de manière globale qui inclue les modalités de réduction des quantités de déchets produits en travaillant sur les modes de production et de consommation, les modalités de recyclage et de valorisation de la grande part des déchets produits, les moyens de création d’emplois et de richesse dans le domaine, les moyens d’enfouissement des déchets ultimes dans les meilleures conditions environnementales et sanitaires.
En parallèle, horizontalement et afin que le système globale évoqué ci-dessus soit viable, la commune, premier gestionnaire des déchets et en partenariat avec sa population arrêtera toute les procédures pour planifier de manière rationnelle et concertée ce dispositif, développera un système d’information sur les déchets, mettra en place la programmation et la priorisation nécessaires et cherchera à assurer le meilleur recouvrement financier de la gestion des déchets produits dans son espace communal.
La gestion des déchets, sous cet angle, se positionnera comme une réelle plateforme de développement de la commune et surtout de son ancrage auprès de la population. Elle sera assimilé à ce moment non pas uniquement à un agent qui assure le nettoyage de la ville mais au contraire à un agent de promotion du développement au sein de la ville et d’amélioration des conditions socioéconomiques de la population et d’intégration des quartiers et des couches sociales les plus démunies.
Cette nouvelle dynamique favorisera vraisemblablement les relations entre le citoyen et l’espace public.
Samir Meddeb