News - 05.10.2018

C’était Chaker, An 1

C’était Chaker, An 1

Sa furtive disparition, il y a bientôt un an, dimanche 8 octobre 2017, avait déclenché une profonde onde de choc qui a affligé la Tunisie entière. Et bien au-delà. Terrassé par un arrêt cardiaque en plein marathon à Nabeul en faveur de la lutte contre le cancer, Slim Chaker, l’ami et le ministre de la Santé, était subitement ravi à l’affection de tous. Plongé dans le deuil, le pays, officiel, celui de ses proches et amis, comme celui d’humbles citoyens, lui rendra un hommage solennel. Un an après son décès, difficile encore de faire son deuil. Tous inconsolables.

Slim Chaker était fusionnel. A sa bonté naturelle, il alliait cette vertu cardinale de partager la moitié de lui-même avec la patrie, et l’autre, avec sa famille. Petite et grande. Ses parents, M’hammed et Leila Chaker, étaient son moule. Son épouse, Amel Miled Chaker, et ses trois enfants, Mariem, Hajer et Mohamed Ali, ses balises, son havre de paix, le gisement de ses joies, les ressorts de son endurance. Pour eux, le choc de son décès dépasse toute épreuve. Inconsolables. Amel l’attendait pour l’un des rares déjeuners à la maison, c’était un dimanche. Mariem, médecin, jeune mariée, se promettait de passer l’embrasser, avec son époux, Mehdi. Mohamed Ali et Hajer poussaient leurs études supérieures, l’un en France et l’autre en Hongrie. Inutile de décrire leur état, abasourdis qu’ils ont été par la triste nouvelle.

Sous les pieds de chacun, la vie, en un seul instant, a subitement basculé. La mort vient de frapper ce qu’ils avaient de plus cher, de les priver de ce qui était pour eux l’affection généreuse, le réconfort permanent, le soutien indéfectible, l’étoile du Nord. Amel accourait à l’Hôpital militaire, n’arrivant pas à y croire, espérant un miracle qui le sauverait. Mariem ne pouvait l’admettre facilement. Mohamed Ali et Hajer, surpris et choqués, devaient rattraper, dans le désarroi total, le premier vol pour Tunis. Tous ne réalisaient pas encore comment leur vie, soudainement bouleversée, allait complètement changer. Inconsolables.

Être veuve est déjà lourd à porter. Être veuve de Slim Chaker est à chaque instant pour Amel une souffrance encore plus grande qui obère davantage sa peine, la fige. En une fraction de seconde, c’est une fusion de 32 ans qui s’est évaporée. Recluse chez elle depuis lors, elle n’arrive pas encore à émerger. Comment être veuve de Slim Chaker ? Comment rester digne ? Comment entretenir son souvenir ? Comment faire aboutir ses idéaux et réaliser ses rêves ? Pour son pays, pour sa famille, pour ses enfants? Tant de questionnements les taraudent. N’était-elle pas sa seconde moitié qui avait tout partagé avec lui. Et la voilà investie par le destin, veuve de martyr de la nation. Si elle n’a jamais cessé de lui parler en son for intérieur, Amel Miled Chaker n’a pas encore eu la force d’écrire à son mari défunt. Non sans courage et résolution, elle a fini par s’y accomplir, marquant ainsi le premier anniversaire de son arrachement. La lettre posthume qu’elle lui adresse (voir ci-contre) est un message poignant, structuré, qui dépasse l’émotion et exprime le ‘’ridicule et ‘’l’absurde’’ en ce qu’il y a de pire dans la souffrance. C’est le premier geste de sa vie d’après Slim.

L’apprentissage de cette nouvelle vie que lui impose le triste sort, ainsi qu’à ses parents et à ses enfants, se fait dans la douleur. Il prendra du temps. Comme son grand père, le leader du néo-destour Hédi Chaker, lâchement assassiné, il y a 65 ans, le 13 septembre 1953, Slim Chaker a, lui aussi, payé de sa vie, pour la patrie. Chacun gardera de lui l’image qu’il retiendra le plus. Sa compétence, son intégrité, son patriotisme et sa bonté étaient son ADN.

Allah Yerhamou.

Taoufik Habaieb

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