News - 09.10.2018

Aïssa Baccouche : Quand la nature se rebiffe

Aïssa Baccouche : Quand la nature se rebiffe

Après la pluie, le beau temps. C’est un moment propice à la réflexion. Profitons-en.(1)

Ainsi donc, face à des intempéries par définition imprévisibles mais que par intuition on pouvait pressentir, plusieursde nos concitoyens ont dû peiner. Des logis submergés d'eau et de boue, une infrastructure défoncée, un réseau de transport urbain impraticable, une journée scolaire reportée, bref le cours de lavie ce jeudi gris n’était pas ordinaire.

Pourtant, ce jour-là -Dieu soit loué-une manne céleste arrosa la terre. Des moyennes journalières de 200 millimètres au mois de septembre ne sont pas courantes dans notre contrée. Trop d'eau !clament certains. On en redemande ! jubilent quelques autres. N’a-t-on pas coutume de dire « abondance de bienne nuit guère » ? Certes ! Sauf que nos cités réceptacles de ces trombes ne sont nullement, dans l’état actuel deschoses, aptes à filtrer le trop plein providentiel.

Trop de libertés ont été prisesdans l’aménagement de nosvilles. Nous n’avons pas étésuffisamment attentifs auxenseignements de l’histoireni aux impératifs de la géographie. On a longtemps faitfi des capacités potentielles de Dame Nature, souvent capricieuse. Les oueds dormants ont toujours un réveil brutal. C’est la raison pourlaquelle il ne faut jamais « attenter » à leur lit. Une plaine imbibée d'eau comme celle de la Soukrapeut-elle setransformer impunément en un laps detemps en un conglomérat d'acier et debéton ? Des collines comme cellesd’Ennasr doivent-elles supporter- au risque de subir un effet boomerang- cette densification à outrance qui autorise 1’entassement des êtres vivants maisqui ne laisse point de place aux morts puisqu'aucun cimetière n’y est projeté !

La ville de l'Ariana, dont j'ai accompagné le développement urbain durant un demi-siècle, offre un exemple édifiant d'une méconnaissance totale du relief de ce qui fut jadis un village de roses. Jusqu’aux années 60, la Cité Ennouzha, la zone de BorjLouzir, l'étendue de Jaâfar constituaient le déversoir des oueds qui gravitaient autour des Djebels Nahli. Rous El Hraieg et Borj Turki.

C’est pourquoi nos ancêtres, non seulement évitaient d'entraver ce cours des choses mais en profitaient pour créer iciun potager, là une prairie et là-bas un vaste champ d’oliviers ou d'abricotiers.

L’équilibre physique était sauf. On se demande alors pourquoi l’avoir transgressé.

Des besoins vitaux de constructions pour y loger le plus grand nombre? Des coûts relativement peu élevés que masquaient les entorses à une viabilisation préalable? Une production foncièreabondante et bon marché qui suscitait l’engouement des lotisseurs qui pullulaient ? Autant de questions qui ont étémagistralement traitées par MorchedChebbi, auteur d’une thèse sur l'habitat spontané péri-urbain.
Mais il en est une qui taraude nos esprits. Y-a-t-il réellement une culture de l’urbanisme, c’est-à-dire une culture qui tienne compte à la fois des enseignements des temps, au passé comme au présent, et qui intègre intelligemment la dimension prospective.

Les perspectives parisiennes du Préfet Haussman offrent à cet égard un cas d’école. Elles ont traversé allègrement deux siècles déjà. On dirait qu’elles avaient été conçues pour durer une éternité!

Pourtant la Tunisie s’enorgueillit d’être le pays d’Ibn Khaldoun, le maître à penser de tous les urbanistes. Dommage qu’on ne le lise pas assez! Dans son «Livre des exemples», il consacre le premier chapitre à l’aménagement des villes en insistant sur ce qu`il y a lieu d’entreprendre et particulièrement sur ce dont il faut prendre garde de ne pas entreprendre pour ne pas nuire au confort des habitants.

Mais aujourd'hui que le temps n’a pas cessé son vol et que les choses sont cequ'elles sont, il faut aller de l'avant etenvisager l’avenir avec sérénité.

In fine, il ne fait guère de doute qu'au regard de ce qui passe sous nos yeux, la problématique de l’urbanisme est d'actualité. Naguère creuset de civilisations et lieu de brassage de cultures, la ville au 21ème siècle peut-elle devenir unendroit où les hommes et les femmes auront la sagesse de savourer leur bonheur d’héritiers sur cette terre en vivant en bonne intelligence et en parfaite symbiose avec la nature?

Aïssa Baccouche

(1) Cet article a été écrit en 2003 ; manifestement, il n’a guère perdu de son actualité.




 

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