Sadok Korbi - Les développements des ressources humaines : Cri d’alarme d’un citoyen tunisien
I- Préambule
Depuis le 14 janvier 2011, j’ai choisi garder le mutisme et ne pas m’initier aux affaires de l’état avec l’espoir de voir les choses s’améliorer grâce aux nouveaux gouverneurs qui nous ont fait rêver de liberté, démocratie et joie de vivre.
Sans entrer dans des polémiques, ô combien nombreuses, deux indicateurs ont motivé mon intervention que je fais avec tristesse et amertume.
Le premier qui a été annoncé par le gouvernement, et qui consiste à nous informer que nous avons atteint un record d’analphabétisme depuis l’indépendance (≈ 20%) ; le 2ème le classement du « world economic forum » qui distingue les universités selon leur qualité et je constate que le Qatar occupe la 6ème place mondiale, les UAE, la 9ème place et la Tunisie, non classée !!!!
Personne ne peut nier que depuis l’indépendance, feu Bourguiba, Paix à son âme a fait de l’éducation de la santé et du droit de la femme un choix stratégique. Personne ne peut nier que nous avons soutenu les pays frères et amis du Golfe dans l’installation de leurs systèmes éducatifs grâce aux instituteurs, professeurs, inspecteurs, gestionnaires et experts tunisiens.
Sauf ceux qui ont la mémoire courte, peuvent oublier que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MESRS) a été crée en 1979 et a connu une évolution spectaculaire tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif, puisque ses établissements abritent 316000 étudiants environ encadrés par 22000 enseignants repartis sur 13 universités et 198 institutions dont 25 instituts sup des études stratégiques (ISET).
Le secteur privé totalise universités agréées par le MESRS et forme étudiants dont étrangers et principalement nos frères et amis africains dont le nombre ne cesse de croitre (de 16000 à 25000) et ce grâce à l’image de marque de certains universités privées et à la qualité de nos enseignants.
Toutefois, le secteur connaissait davantage(avant 2011) des difficultés dont le système de gouvernance des universités, la non habilitation des diplômés d’enseignement supérieur à la vie professionnelle, le déclin flagrant de la recherche scientifique qui était dotée de 1,25% du PIB en 2005, la marginalisation du secteur privé et pourtant il joue un rôle important dans le système de développement de ressources humaines et contribue à doter le pays d’un bon budget en devises dans le cadre d’exportation des services.
1. Contrairement à la plupart des universités dans la majorité des pays du monde, où les étudiants et les enseignants sont directement affectés à leurs établissements, l’université tunisienne se présente plutôt comme un consortium d’établissement et joue le rôle d’une direction régionale au départementale du MESRS, ce qui expliquait la nomination de leur président avant janvier 2011. Toutefois, après 2011, les présidents des universités et les membres de leurs conseils sont devenus élus, mais, hélas, aucune décision n’est prise sans l’approbation de l’administration centrale (MESRS, Ministère des finances, ministère du domaine de l’état, ministère de l’agriculture et même la présidence du gouvernement).
Comment veut-on alors qu’un président d’université puisse dresser son bilan à ses électeurs alors qu’il se trouve sans la dépendance des textes qui le lient directement aux services centraux cités plus haut?
Certains peuvent dire que nous, les anciens, nous avons travaillé avec ce système … la réponse est oui mais où sont les reformes de l’après 14 janvier?
Comment veut-on que l’université puisse doter ses établissement d’équipements pédagogiques et de la recherche scientifique de première nécessité et à caractère urgent alors qu’elle garde toujours le statut de l’établissement public à caractère administratif (EPA) c’est-à-dire qu’elle est soumise à la règlementation du code du marché public, un dispositif connu par sa complexité et la diversité des départements qui y interviennent, ce qui est en non-conformité totale avec les exigences de ce secteur.
Il est à rappeler que depuis 2003, il a été décidé de créer une APRICE (Agence de Promotion de la Recherche Innovation et Création d’Entreprises) à Tunis, Sousse et Sfax qui devrait avoir le statut d’EPNA (Etablissement Public à caractère non Administratif) et qui devrait permettre d’économiser beaucoup de crédit en regroupant les achats entre facultés et entreprises ; mais rien n’a été fait …
Comment veut-on que l’université puisse atteindre ses objectifs quand le recrutement de son personnel administratif et de ses enseignants permanents ou contractuels est réalisé par les services centraux du MESRS ?sous prétexte de la transparence ; or nombreuses sont les expériences dans le monde où les universités organisent leurs propres concours.
2. Qu’en est-il pour les affaires pédagogiques?
Il est vrai qu’une dynamique a été créée depuis 2006, date d’adoption de la Tunisie au processus de Bologne en vue de mettre à niveau notre système universitaire et l’aligner aux standards internationaux ; cependant les textes de loi de 2006 ainsi que ceux de 2008 sont restés lettres mortes ; comment pouvons-nous être compétitifs aux autres universités ? Quand nos décideurs politiques mettront-ils ces textes en application?
Environ 316000 étudiants inscrits régulièrement dans les facultés en application au principe «université pour tous» à l’instar de «l’école pour tous», mais en contrepartie on parle d’environ 250.000 demandeurs d’emplois parmi les diplômés des universités?
Faut-il procéder à l’évaluation du système «LMD» et son rapport avec le marché de l’emploi notamment dans les filières à faible potentiel d’emploi?
Faut-il se poser la question si ce système «LMD» est la cause de la crise de chômage ou la victime de sa mauvaise application?
Faut-il se poser la question sur la nécessite d’adaptation de notre enseignement supérieur aux exiges de notre pays et surtout aux besoins des pays frères et amis et dynamiser le dialogue et la collaboration entre les universités et leur environnement socio-économique?
Quand est-ce verrons-nous le jour où les acteurs du système du développement humain décident de réviser le système d’orientation scolaire et universitaire en intégrant la formation professionnelle conformément au texte de la loi relatif à la reforme de formation, en 2008?
Avons-nous réellement besoin de 316000 étudiants par an alors que le pays manque de main d’œuvre intelligente et qualifiée, dans tous les domaines sans exception, aucune; satisfaire ces besoins ne peut être effectue que par le biais de la formation professionnelle.
D’ailleurs la loi 2008, qui était les résultante d’une large consertation nationale avec les participation de tous les partis sans exception aucune , de l’UGTT, de l’UTICA… et qui avait pour objectif de rentabiliser le système éducatif en diminuant le taux d’échec d’abandon scolaire qui coutait 600 millions de dinars en 2007-2008, de valoriser la formation professionnelle qui devrait être un choix préférentiel devant sa forte employabilité, de créer un bac professionnel pour ouvrir les horizons à ceux qui le méritent, de décongestionner les espaces universitaires en vue de s’occuper de l’enseignement de qualité, en améliorant le taux d’encadrement, la production scientifique… Il n’est pas acceptable que l’université tunisienne de 2018 manque encore des encadreurs de PFE ou de thèses de doctorat dans certains filières où le professeur prend en charge jusqu’à 30 étudiants à encadrer.
Ne faut-il pas passer en application la loi 2008 qui a fixé comme objectif d’orienter 50% des élèves vers la formation professionnelle et 50% vers l’enseignement classique, objectif qui devrait être atteint en 2015 ; mais ce n’est jamais trop tard si la volonté politique existe.
3. La coopération internationale constitue un choix fondamental pour la qualité de la formation des ressources humaines, l’image de marque de la Tunisie était excellente auprès des instances internationales: européens, africains, arabo-musulmans etc…, les enseignants tunisiens, les chercheurs, leurs résultats de recherche ont honoré le pays là où ils sont installés; des milliers de nos enseignants chercheurs à l’étranger ont manifesté un patriotisme exceptionnel en ayant accepté de participer à l’encadrement des étudiants, en Tunisie, sans conditions, aucune et ont ouvert leur laboratoires de recherche à l’étranger aux jeunes tunisiens.
Avons-nous continué à profiter de la coopération internationale?
Avons-nous su entretenir nos relations avec nos compétences à l’étranger?
Avons-nous prospecté les besoins des pays euro-méditerranéens dans certains secteurs et notamment celui du paramédical à titre d’exemple avant d’interdire aux secteurs privés d’inscrire des étudiants dans ces spécialités; sommes-nous conscients que le marché de l’emploi en Tunisie est de plus en plus petit et que notre salut est dans l’exportation d’une main d’œuvre qualifiée par le biais de la formation professionnelle.
Avons-nous continué à participer aux programmes de recherche développement de l’Union européenne en adoptant les mesures prises le 9 mai 2005 qui mettaient le chercheur tunisien au même niveau que l’européen ?
Où sommes-nous dans la concrétisation du programme des technopôles : Jendouba – Bizerte – Sidi Thabet – Borj Cedria- El Ghazala – Monastir – Sousse– Gafsa – Boughrara (Médenine) et le technopôle multifocale des produits de la mer autours de l’institut de Salamboo.
N’importe quel citoyen, qui aime ce pays devient triste devant la situation des ces technopôles qui étaient les prototypes de l’innovation et qui sont devenues maintenant une vache à téter sans aucun résultat et pourtant une grande partie de financement était disponible (100.000 000$ du japon pour borj cedria – 20.000000$ de Qatar pour sidi thabet – 1,5M euro pour cnstn sidi thabet – 50 millions d’euro don de la BEI – 70 millions d’euro ligne de crédit pour les banques tunisiennes en vue financier les startups dans les pépinières d'entreprises des technopoles…….)
4. Le secteur privé dans le domaine universitaire se développe davantage et il a fait ses preuves tant sur le plan local que sur le plan international. Il compte des centaines d’établissements agréés par le MESRS tunisien et des milliers d’étudiants dont au moins 60% étrangers et majoritairement africains.
Ce secteur ne cesse d’être intrus par des gens qui ne sont pas du domaine et qui donnent une très mauvaise image de marque; peut-on permettre à quelqu’un qui est professeur adjoint dans un lycée technique de se présenter comme président d’université alors qu’il ignore les a- b- c de l’université.
D’autre part, les universités privées sont victimes de mesures improvisées prises par les ministères de tutelle sans concertation, aucune.
Enfin le ministère de l’enseignement supérieur régit le secteur public et le secteur privé ; pourquoi donc ne pas impliquer les privés dans les élections du président de l’université et son conseil ? Pourquoi ne pas intensifier l’inspection des universités privées? Est-il normal qu’on choisisse un enseignant «écran» pour avoir l’autorisation de création de l’université alors qu’il n y met jamais les pieds sauf pour avoir son salaire ? Est-il normal de laisser les universités privées se baser majoritairement sur des jeunes enseignants non doctorants?
La Tunisie a connu en 2003 une véritable révolution dans le domaine des œuvres universitaires en incitant les investisseurs privés, ce qui a permis de résoudre une grande partie de problèmes d’hébergement des étudiants avec le moindre coût pour l’état et sans toucher à la cotisation de l’étudiant.
En effet, le ministère n’investissait plus dans les bâtiments et a établi un cahier de charge parfait et a instauré un système de contrôle adéquat et a établi une convention avec les propriétaires des foyers qui abritent les étudiants recommandés par le MESRS qui paye la différence.
Après 15 ans d’expérience, le coût de la prise en charge de l’étudiant est devenu moins cher, la qualité de l’hébergement s est améliorée, l’état a économisé un grand budget destiné aux bâtiments.
Aujourd’hui après l’adoption de la loi «ppp» pourquoi ne pas généraliser cet expérience aux universités et notamment celles dignes de confiance et qui garantissent la qualité ? Un examen national peut-être envisagé pour éviter la formation au «rabais».
L’application du «ppp» peut se faire de la manière suivante : l’état s’épargne de construire de nouveaux établissements surtout que la tendance démographique est en baisse et que le coût des bâtiments devient très élevé devant le glissement du dinars ; un comité de pilotage public/privé sera installé et aura comme mission de contrôler, évaluer et sélectionner les universités privées dignes de ce partenariat ; l’étudiant paye les mêmes frais d’inscription et la différence sera payée par le ministère pour les nécessiteux.
Une simple étude montre que ce système est très rentable pour l’État et encourage les investisseurs avec tout ce que peut suivre comme création d’emplois directs et indirects.
- En vue de permettre aux universités privées d’évoluer, faut-il que le ministère instaure un système souple mais non « au rabais » pour homologation des certificats et des diplômes en collaboration avec les organismes des métiers?.
- Il y a lieu à encourager les facultés privées et les inciter à faire des plateformes d’enseignement à distance, un des moyens innovants pour la formation de base et celle tout au long de la vie en Tunisie et ailleurs.
- Le secrétariat d’état chargé de la diplomatie économique, est appelé à ouvrir des bureaux de représentation dans les pays africains en vue de recruter les étudiants ou au moins de faciliter le contact avec les principaux responsables de leurs pays d’origine.
J’espère que ces réflexions modestes soient-elles contribuent à permettre à nos universités d’occuper des bonnes places dans les classements mondiaux et que le taux d’analphabétisme, honteux, ne verra plus le jour en rappelant que la dite école de deuxième chance pour diminuer l'analphabétisme ne me semble pas la meilleure solution; une expérience identique a été faite en2001 par le ministère de l'enseignement supérieur n a pas été d une grande performance…. d autres solutions sont possibles a condition qu'elles se basent sur le rapport établi en 2007 sur l'abandon et l'échec scolaire…. que Dieu protège la Tunisie et ses enfants
Professeur Sadok Korbi