Jalloul Sghari : Pour une stratégie de maitrise des inondations en Tunisie
Les inondations se succèdent en Tunisie: Nabeul le 22 septembre 2018 et le Kef, Kasserine et Gafsa le 17 octobre 2018. Chaque inondation amène son lot de destruction, d’où l’urgence de doter notre pays d’une véritable stratégie de maîtrise des inondations(1).
I. Comment se forment les inondations
Il y a deux types d’inondations selon les origines du phénomène: des inondations provoquées par le ruissellement et d’autres entrainées par le débordement des cours d’eau(2). La Tunisie est sujette au premier type d’inondations. En effet, la saison des pluiess’étend de Septembre à Mai, période durant laquelle, les pluies se concentrent en un petit nombre de jours, en moyenne une journée ou deux, suivi par une longue période de sécheresse.Ce processus, lié au climat du pays, génère souvent des averses violentes et de courte durée ne permettant pas à l’eau suffisamment de temps pour s’infiltrer dans le sol. Ce qui provoque des inondations de ruissellement avec leurs conséquences sur l’érosion des terres, le transport des solides et l’envasement des barrages.Ces inondations ont les caractéristiques suivantes:
- souvent très localisées dans l’espace;
- rapides et soudaines: le temps de montée des eaux peut varier de quelques dizaines de minutes à quelques heures et peut être en décalage par rapport à l’événement pluvieux;
- elles peuvent survenir même loin de tout cours d’eau, où on ne s’attend généralement pas à être inondé;
- elles peuvent être violentes avec une énergie de flots qui entraîne souvent de nombreux dégâts matériels, ainsi qu’une érosion des sols, avec des coulées de boue.
Les inondations se traduisent par des milliards de m3 d’eau transportés par un réseau d’une multitude d’oueds que la nature a façonné au cours des siècles, les uns alimentant les autres selon le schéma suivant:
Carte 1 : carte des oueds
II. Comment maîtriser les inondations
Ainsi, le travail de la nature en’estniparfaitni complet, d’où la nécessité d’établir une stratégie pour maitriser ces forces de la nature. Cette stratégie devrait aussi permettre decapter le maximum de cette richesse hydrique et de bien la répartir entre les différentes régions dupays. Dans ce sens, plusieurs idées pourraient être exploitées. On pourrait s’inspirer du Canal Medjerda-Cap-Bon (CMCB) qui longe la côte Est du pays, ayant une capacité de transfert de l’ordre de 450 millions dem3 d’eau. L’idée serait de mettre au point un autre axe de transfert qui longerait l’autoroute côtière Tunis-Sousse-Sfax-Gabes. On peut même rêver que ce nouveau canal serait à ciel ouvert: un grand fleuve capable de transporter des quantités énormes d’eau annuellement.
Une autre idée serait d’envisager une conduite en polyéthylène posée au fond de la mer. Elle prendrait le fleuve de Medjerda à son embouchure comme point de départ et longerait les côtes Est Tunisiennes. Enfin, pour ne pas priver les régions de la Tunisie profonde, un grand projet consisterait en un quadrillage de tout le territoire par un réseau de canaux Nord-Sud. Celui-ci transporterait le surplus d’eau des bassins de la Medjerda qui sont bien arrosés et dont l’excès d’eau cause souvent des inondations dévastatrices dans toute la vallée de l’oued Medjerda. De même, il serait nécessaire de doter les villes d’une protection optimale: des digues canaux et des canaux à ciel ouvert.Ce réseau de canaux relierait les oueds asséchés entre eux par des canaux parallèles, selon le schéma de transfert Nord-Sud suivant:
Carte2 : schéma de transfert Nord-Sud
On remarque que le schéma de transfert prendrait le fleuve de Medjerda comme point de départ et relierait les oueds entre eux pour créer un réseau de canaux orienté selon un axe Nord-Sud par rapport au fleuve. Ainsi, ce système de canaux (carte 2) viendrait en renforcement des oueds existants (carte 1) pour aboutir à un immense réseau de canaux capable de capter la totalité de l’eau afin de la transférer vers le centre et le Sud du pays.
Les sebkhas sont des dépressions constituées en zones humides qui sont des bassins naturels de récupération des eaux pluviales. Elles se forment dans les hauts plateaux, lorsque le cours d’eau n’est pas assez fort pour creuser un oued. Elles se forment également dans les dépressions pour se transformer en un grand réservoir d’eau en période de pluie et des sebkhas, asséchées et salées le reste de l’année. Il serait également opportun de connecter les chotts et les sebkhas afin de les utiliser comme des bassins naturels de stockage d’eau.
La Tunisie est dotée de plusieurs zones humides (lacs et chotts) qui totalisent 11 160 km² et qui sont à fond plat, inondables et peu profondes, dépassant rarement 4m de profondeur. Parmi ces zones, 41 sont inscrites sur la liste Ramsar: https://www.ramsar.org/fr/zone-humide/tunisie. Ces cuvettes naturelles ont des capacités de mobilisation et de stockage d’eau qui ne sont malheureusement pas exploitées. En les aménageant avec des barrages à sable, on peut augmenter leur capacité de stockage. De plus, le nécessaire et préalable dessalement leur ferait gagner en profondeur. Nous pouvons donc faire l’hypothèse d’une profondeur moyenne de 4 mètres sur l’ensemble de ces zones humides, permettant de stocker 44,64 milliards de Mm3.
En définitif, c’est en prenant en compte tous ces éléments naturels et en s’inspirant des cartes 1 et 2 qu’une nouvelle infrastructure hydrique optimale pourrait se dessiner.
Jalloul Sghari
(1) Pour plus de détail, se reporter au livre de SghariJalloul: «Tunisie postrévolutionnaire, urgences en suspens, plan économique et social », édition Nirvana, 2018.
(2) On distingue également les inondations selon leurs probabilités d’apparition: décennale, centennale ou milléniale.