Le Pr Mustapha Besbes reçu en séance solennelle de l'Académie des sciences
Sous la Coupole de l’Institut de France à Paris, le Pr Mustapha Besbes devait faire le 15 juin dernier son entrée à l’Académie des Sciences, lors de la solennelle séance d’admission des nouveaux associés étrangers.
Dans l’allocution qu’il a prononcée à cette occasion, l’éminent hydrogéologue tunisien, s’est déclaré honoré par son élection qui s’inscrit dans un double mouvement d’ouverture en faveur de l’hydrogéologie et des pays du Sud. « Un double mouvement, dit-il, car à travers ma nationalité tunisienne, l’Académie signe son engagement envers la recherche conduite dans les pays du Sud, confortant nos efforts pour une contribution effective aux progrès de la connaissance universelle. Pour nos jeunes générations, votre signal offre un nouveau souffle, un nouveau challenge, une source de dépassement. » Extraits.
« J’aurais difficilement imaginé être admis un jour dans le cercle où a siégé l’illustre Darcy, inventeur de l’hydrogéologie moderne.
Jeune géologue formé à la Sorbonne au début des années 60, je n’avais pas de projet scientifique particulier, mais le souci d’être un acteur du développement de mon pays. J’ai ainsi vécu plusieurs années des joies des populations à la découverte d’eau dans des régions totalement dépourvues, avec toujours cette part de doute, d’angoisse stimulante que procure la responsabilité solitaire du forage profond.
Quelques années auparavant, l’UNESCO faisait de l’Hydrologie de la zone aride son projet scientifique majeur. Mon arrivée sur la scène coïncidait avec les brassages qu’ambitionnait cette première mondialisation scientifique. Ces échanges allaient imprégner ma vie professionnelle et susciter une vocation scientifique durable.
La plaine de Kairouan était mon laboratoire. Méthodiquement, j’y avais tissé un réseau d’observation dont je savais qu’il servirait à découvrir les mystères de la recharge par infiltration des crues d’oueds, source d’alimentation des nappes dans cette région aride. Et en 1969 survint la crue la plus importante.
La concomitance de ce phénomène exceptionnel et d’un système d’observation préexistant impulsa une avancée considérable des connaissances, permit l’identification du processus et le développement de nouveaux modèles.
Je pressentais que la modélisation allait révolutionner les méthodes de l’hydrogéologie. J’émigrai à l’École des Mines de Paris qui en était devenue le Temple. La grande force de ce groupe était sa polyvalence : à l’hydrologie mathématique, j’apportais mon regard de géologue et ma perception du terrain. Immergé dans ce bouillon de culture, je devins vite le grand spécialiste de la modélisation des nappes.
En 1999, je fus appelé à coordonner le projet de modélisation des grandes nappes sahariennes : un projet gigantesque pour un continent aquifère. Avec une équipe acharnée, nous avons conçu le Modèle du Sahara comme un outil pédagogique, un instrument de médiation internationale autour duquel a pu s’organiser la concertation entre les pays. Les retombées scientifiques notables furent la construction stratigraphique et hydrologique du Multicouche saharien, et l’établissement d’une recharge des nappes réputées fossiles.
L’avenir de l’eau constitue certainement l’un des grands défis des pays arides comme la Tunisie, où toutes les ressources sont utilisées, où il faut en gaspiller le moins, dessaler et recycler les eaux; mais ces palliatifs ont une limite, physique ou économique. Les pays arides sont certes confrontés à la rareté, mais le concept de stress hydrique acquiert une nouvelle perspective lorsque le paradigme de l’eau douce est élargi, notamment à l’eau utilisée par les cultures pluviales, qui constitue une réserve gigantesque bien qu’aléatoire, et à l’eau que représentent les produits alimentaires échangés entre les nations. Avec un groupe de collègues, nous développons cette recherche depuis des années et les perspectives sont prometteuses.
L’hydrogéologie est certes jeune. C’est au milieu du 20ème Siècle qu’elle apparaît comme discipline scientifique avec ses théories, ses applications, sa communauté. Elle est enseignée dans les universités dès la fin des années 50, puis se trouvera pleinement consacrée avec l’élection de Ghislain de Marsily à l’Académie des sciences. Depuis, l’Académie ne cesse de conjuguer l’hydrologie aux autres disciplines.
Je suis honoré que mon élection s’inscrive dans ce mouvement d’ouverture. Un double mouvement car à travers ma nationalité tunisienne, l’Académie signe son engagement envers la recherche conduite dans les pays du Sud, confortant nos efforts pour une contribution effective aux progrès de la connaissance universelle. Pour nos jeunes générations, votre signal offre un nouveau souffle, un nouveau challenge, une source de dépassement. »